Brésil. «Un gouvernement militarisé»

Eric Nepomuceno (Rio de Janeiro)

Depuis la re-démocratisation du Brésil en 1985 et après 21 ans de régime militaire [depuis 1964], jamais comme aujourd’hui – avec l’ultra-droitier Jair Bolsonaro à la présidence depuis 2019 – les casernes n’ont eu autant de poids et d’influence sur les gouvernements issus des urnes.

Certainement, depuis «les casernes» s’exprimeront des messages et une influence, mais cela s’effectuera toujours de manière discrète et indirecte. Un précédent particulièrement grave a été enregistré en 2018 [le 3 avril 2018], lorsque le Commandant général de l’armée [à la tête des FAB du 5 février 2015 au 11 janvier 2019] Eduardo Villas Boas a lancé un ultimatum aux membres de la Cour suprême fédérale, cela à la veille d’un vote sur une demande d’habeas corpus de Lula da Silva afin d’éviter l’emprisonnement décidé par le juge de l’époque [1]. Par la suite, il a été prouvé que Sergio Moro avait été partial et manipulateur. Il agissait en accord avec les procureurs dans le procès contre l’ancien président.

Eduardo Villas Boas a exprimé le «désaveu de l’impunité» par l’armée. Avec cela, et grâce à la lâche abstention des membres de la Cour suprême – qui deux ans plus tard reconnaîtront l’innocence de Lula – l’ancien président Lula a été envoyé en prison. La voie était ouverte, dès lors, pour que le capitaine à la retraite Jair Bolsonaro soit élu président. Ce que l’on n’a su que plus tard, c’est que deux ans auparavant, Bolsonaro avait obtenu le soutien de l’armée pour une candidature à la présidence qui semblait impossible.

Indiscipline et insubordination

Il s’agissait [Bolsonaro] d’un obscur membre du Congrès, connu pour sa grossièreté et pour son système particulier de récolte d’argent à son propre profit. Pourquoi un militaire informé et lucide comme Eduardo Villas Boas soutiendrait-il un tel personnage? D’abord, en raison de son acrimonie envers Lula, envers le Parti des travailleurs (PT) et la gauche en général. Et ensuite, parce que connaissant la médiocrité et la stupidité de Bolsonaro, il était sûr qu’en l’entourant d’autres généraux lucides, il contrôlerait son irrémédiable folie.

Or, le résultat est clair: la situation d’un pays déchiré par le pire président de l’histoire. Bolsonaro, beaucoup plus vif que ses partisans, s’est rapidement débarrassé des généraux qui étaient censés le contrôler. Il choisit quelques généraux à la retraite pour le seconder aux postes décisifs. Il répartit plus de six mille militaires dans son appareil gouvernemental et leur assura une vie de prince. Aujourd’hui, en plein affrontement électoral, nous assistons au Brésil à une implication des forces armées dans le processus comme jamais auparavant.

En 2022, les forces armées brésiliennes – essentiellement l’armée de terre – ont demandé à participer au processus de dépouillement des suffrages. De manière pathétique, le ministre de la Défense, un général à la retraite, a exigé – littéralement: exigé – que la Cour supérieure électorale (TSE) permette l’accès de l’armée à plusieurs points du système de décompte des votes.

La réponse à cette demande a été vaseuse: le ministre a été informé que, selon la loi, un tel accès est ouvert à toute institution brésilienne, depuis des années. Bolsonaro a exigé qu’un rapport soit établi sur la «transparence» du système électronique de vote, système qu’il dénonce avec force. Dans ses menaces de putsch, il ne cesse de répéter qu’il n’acceptera la défaite que si ont lieu des «élections propres», autrement dit si elles lui attribuent la victoire. Et le rapport sur la «transparence»? Eh bien, il a été produit, mais Bolsonaro a empêché sa diffusion. Bien sûr, si l’armée avait détecté une quelconque fraude possible, le rapport aurait été diffusé dans le monde entier.

Il reste à voir ce que Lula da Silva fera s’il est élu président, ce qu’annoncent tous les sondages [2]. Face à une telle situation, comment va-t-il se débarrasser des milliers et des milliers de militaires dispersés par le gouvernement précédent et qui perdraient leurs énormes avantages?

Comment peut-il réaliser ce que tous les présidents élus depuis la re-démocratisation – y compris lui-même – ont réalisé, à savoir maintenir les forces armées au service de l’Etat brésilien et non d’un gouvernement particulier? Que feront les militaires d’active si Bolsonaro fait réellement ce qu’il annonce chaque jour: refuser d’accepter la défaite et tenter une initiative golpiste? Comment les forces armées entendent-elles redorer leur image, qui était solide avant de se compromettre avec une aussi affreuse créature et d’intégrer le gouvernement d’une manière souvent dégoûtante, en participant – il faut noter qu’il s’agit d’officiers à la retraite – à des tentatives grossières de corruption généralisée?

La réponse sera donnée dans quelques semaines. (Article publié par le quotidien argentin Pagina 12, en date du 16 octobre 2022; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

Notes

[1] Le 3 avril 2018, un jour avant le procès de l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, le général, sans citer le procès ou l’ancien président, a déclaré:

«J’assure la Nation que l’Armée brésilienne croit partager le désir de tous les bons citoyens de désavouer l’impunité et de respecter la Constitution, la Paix sociale et la Démocratie, et qu’elle reste attentive à ses missions institutionnelles. Dans la situation dans laquelle se trouve le Brésil, nous devons nous adresser aux institutions et aux personnes qui pensent réellement au bien du pays et des générations futures et qui ne se préoccupent que de leurs intérêts personnels…».

Ces mots ont provoqué des remous dans certains secteurs de la société, beaucoup de partisans et beaucoup de détracteurs. Malgré tout le tapage provoqué par cette déclaration, des généraux d’active et de réserve ont publiquement soutenu les discours du général. En outre, le général a également reçu le soutien du alors candidat à la présidence, le capitaine de réserve Jair Bolsonaro. Le commandant des FAB, Nivaldo Rossato, a déclaré que «ce n’est pas le moment d’imposer notre volonté». En plus, il a passé aux membres de l’institution un message: de ne pas s’emporter. En parlant de manière conciliante il clarifia qu’il n’y aura pas d’intervention militaire. Outre le commandant des FAB, le général de réserve Roberto Sebastião Peternelli Junior a déclaré que les militaires devraient avoir le droit de s’exprimer sur les questions politiques. Le général Augusto Heleno, également de la réserve, a approuvé la déclaration de son collègue et a déclaré que les militaires peuvent avoir une opinion sur la situation politique du pays et qu’ils ne sont pas des «pigeons pacifiques, silencieux et sans cervelle». (Réd. A l’Encontre)

[2] Le 14 octobre 2022, selon le sondage de Datafolha, Lula obtenait 53% des suffrages valides (excluant donc les votes blancs et nuls, ce qui est la norme pour le calcul du résultat final) et Bolsonaro 47%. (Réd. A l’Encontre)

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