Brésil. Les élections et les gauches

Marina Silva et Eduardo Campos
Marina Silva et Eduardo Campos

Par Ricardo Antunes

L’année 2014 sera emblématique pour le Brésil. Lors de la coupe de la FIFA, qui sait si nous vaincrons ou non: nous vivrons donc une année de victoire footballistique avec rébellions ou une année de rébellions sans victoire footballistique.

Mais ce sera également l’année des élections. Depuis la tempête du mois de juin passé, les partis ont récupéré leur espace et ils se sentent à nouveau en pleine forme pour le combat. Beaucoup d’exemples montrent cependant que les révoltes exprimées dans la rue n’ont pas toujours de répercussion directe sur les résultats électoraux.

De l’Espagne au Chili, de l’Italie au Portugal, les soulèvements suivent une logique qui refuse les calendriers électoraux et l’abstentionnisme prend de l’ampleur. Le désenchantement est tel que celui qui décide de voter le fait en faisant alternant ses choix entre les «offres» électorales dominantes, de façon que l’équipe qui gagne une fois se fait désavouer aux élections suivantes.

Au Brésil, la cote de la présidente Dilma Rousseff (Parti des Travailleurs) est remontée dans les sondages, même si la situation économique et les turbulences de l’establishment dans son ensemble restent des inconnues électorales. La crise récente provoquée par l’alliance passée entre le gouvernement PT et le PMDB [Parti démocratique du Brésil, héritier d’un des deux partis qui existaient sous la dictature militaire] ainsi que l’achat par la Petrobras d’une compagnie pétrolière survalorisée [1] aux Etats-Unis démontrent que le cadre électoral peut se troubler encore plus.

Mais l’ex-président Lula et ses candidats sont encore forts partout où le Programme « Bourse famille » agit. Si ce programme permet de diminuer un peu les niveaux de la misère, il est cependant incapable de l’éliminer. Ainsi, la poursuite de ce programme est devenue vitale pour le maintien du PT au pouvoir. Toutefois cela crée un cercle vicieux: la «Bourse famille» est une politique assistentialiste absolument insuffisante. Et plus elle dure, plus le PT en tire de bénéfice, puisque les pauvres craignent le retour des Toucans [soit le PSDB, le parti de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso] avec leur «insensibilité» sociale bien connue.

C’est ainsi que le PT a trouvé son principal soutien électoral. Il a donc trouvé sa place et jouit du pouvoir tout en garantissant une vie agréable aux grands capitaux. Ce n’est pas sans motifs qu’un ponte de l’entreprenariat a affirmé récemment : « Dilma a des qualités intéressantes pour administrer et est d’un sérieux exceptionnel. Nous devrions savoir profiter d’elle. » (Valor Econômico, 23.12.2013).

De son côté, le PSDB a perdu son audience depuis que le PT lui a volé son programme. Il est effarant de voir le sénateur Aéio Neves en chevalier de l’opposition. Le petit-fils de Tancredo Neves [président de la République fédérative du Brésil de mars 1985 à avril 1985, date de son décès; politicien du Minais Gerais, il avait été un des porte-parole bourgeois de la campagne pour des élections présidentielles au suffrage direct] a vieilli précocement et ne s’en est pas rendu compte. Il a offert de l’espace à Eduardo Campos (PSB, gouverneur de l’Etat de Pernambuco, lié au secteur rural) et à Marina Silva (PSB, ancienne ministre de l’Environnement du premier gouvernement Lula a rejoint les rangs du PSB; Héloisa Helena lui est très proche actuellement), dans cette bizarre alliance entre certains verts et de jeunes et vieux ruralistes. Cette alliance Campos et Marina Silva a bien perçu la fragilité du Aéio Neves (le «mineiro»), mais ils le veulent comme allié.

Est-ce que les gauches qui sont dans l’opposition seront capables d’entendre la voix profonde qui a à peine commencé à jaillir lors des rébellions de juin 2013? Parviendront-elles à trouver une alternative qui entre en dialogue avec les mouvements sociaux et le mécontentement des banlieues? Comprendront-elles que ces gens refusent la marchandisation des biens publics et s’opposent à la voie strictement électoraliste et emprisonnante d’une institutionnalité viciée? Seront-elles capables de créer des liens effectifs avec la jeunesse et avec la nouvelle génération de jeunes travailleurs?

Puisque l’axe des luttes sociales passe aujourd’hui par les places et les rues, les gauches pourraient au moins, malgré leur expression électorale limitée et le fait que les élections présidentielles ne soient rien d’autre qu’une danse entre les partis de l’ordre, montrer qu’il y a encore quelque chose de distinct à dire en direction de «ceux d’en bas». (Traduction par A l’Encontre)

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[1] En 2006 Petrobras, la compagnie pétrolière étatique, a racheté une raffinerie à Pasadena, aux Etats-Unis (Etat de Californie). A l’époque Dilma Rousseff dirigeait le conseil d’administration en tant qu’adjointe du président Luiz Inacio Lula da Silva. Suite à un arbitrage privé (aux Etats-Unis), Petrobras a dû racheter la totalité des actions (ce qui était conforme à des clauses du contrat) et débourser 1,1 milliard de dollars. Le détail de cette «opération» à fait la une de la presse. Cette question fait l’objet d’un débat politique, non seulement en vue de l’élection présidentielle (octobre 2014), mais aussi en relation avec la chute de la capitalisation boursière, en 2013, de Petrobras. (Rédaction A l’Encontre)

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