Brésil. Les agro-élections d’octobre 2014

Katia Abreu, présidente de la CNAPB, sénatrice de l'Etat du Tocantins, proche de Monsanto
Katia Abreu, présidente de la CNAPB, sénatrice de l’Etat du Tocantins, proche de Monsanto

Par La Diaria

Des candidats brésiliens ont été présents à divers rendez-vous en compagnie de représentants de l’agronégoce.

Dilma Rousseff [du Parti des Travailleurs et présidente actuelle], Aécio Neves [Parti de la social-démocratie brésilienne, sénateur du Minais Gerais, ex-gouverneur de cet Etat, petit-fils de Tancredo Neves: président qui disparut au moment de prendre sa charge] et Eduardo Campos [1] ont sorti le grand jeu pour séduire les principaux représentants de l’agro-industrie brésilienne. Ce secteur, après avoir connu une croissance explosive au cours de la dernière décennie, représente aujourd’hui 22% du PIB brésilien et 44% des exportations. Au cours de cette «rencontre» avec les agroentrepreneurs, il a été remis aux candidats le document intitulé: «Ce que nous attendons du prochain président 2015-2019».

Ces trois candidats, ceux qui ont le plus de chances de gagner les élections brésiliennes, ont vécu une semaine pleine d’activités en lien avec l’agronégoce. D’abord, ce fut le 13e Congrès brésilien de l’agronégoce, le 5 août dernier. Ensuite, la «rencontre» [très officielle et qui mérite un R majuscule dans la presse au Brésil] des présidentiables organisée par la Confédération nationale de l’agriculture et de l’élevage du Brésil [CNAPB selon l’acronyme en portugais], qui réunit les fédérations des Etats fédéraux et agit en défense des intérêts des grands producteurs ruraux; une force socio-politique très puissante au Brésil Au cours de ces deux «rencontres», la présidente Dilma Rousseff, qui cherche à être réélue, le sénateur Aécio Neves, le candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne, et Eduardo Campos, l’ex-gouverneur de l’Etat de Pernambuco qui représente le Parti socialiste brésilien, ont exposé leurs promesses pour le secteur.

La relation entre les entrepreneurs «ruralistes» et le gouvernement avait été affectée par les changements introduits dans le dernier Programme du secteur agropécuaire 2014-2015. Ce programme qui incluait une augmentation de la moyenne des impôts sur les bénéfices de 5,5% à 6,5% dans ce secteur. Le gouvernement avait argué qu’on projetait que ces bénéfices subiraient une croissance de 14,7% en 2014 par rapport à 2013. Cette hausse de la «charge fiscale» serait largement compensée par une plus offre plus ample de lignes de crédit à taux d’intérêt bas (taux d’intérêt négatifs probablement, étant donné le taux d’inflation).

Ces «rencontres» ont eu lieu alors qu’il existe une crainte que le ralentissement de l’économie brésilienne ait un impact sur l’agronégoce. Les projections pour ce secteur: une croissance de 0,6% en 2014; ce qui est inférieur aux indices des dernières années. Les «ruralistes» ont remis en question le fait que la charge fiscale totale de l’agro ne s’ajuste pas à la croissance que ce secteur connaît.

Revendications des «ruralistes»

Plus d’infrastructure, plus de flexibilité de la part de l’Etat et plus de ressources pour la recherche et l’innovation technologique, ce sont là quelques-unes des réclamations des ruralistes. Ils demandent aussi des mesures qui découragent les occupations de terres, l’adoption de définitions plus claires pour déclarer que des terres sont des territoires indigènes ou des zones de protection environnementale et des changements permettant que la loi qui établit des limites et des restrictions à l’achat de terres par les étrangers soit plus souple.

Lors  des deux «rencontres», la revendication centrale de la CNAPB fut celle de la «sécurité agropécuaire». Dans ce concept, les «ruralistes» englobent une série de conflits qui pourraient se diviser en deux grands groupes: d’un côté, ceux qui affectent la terre, comme les occupations, les expropriations [constitutionnelles et donnant lieu à des compensations significatives] et les délimitations de terres ancestrales ou de zones protégées qui ne peuvent être exploitées, de l’autre, ceux qui concernent les «ressources humaines», comme la régularisation – fixation légale – du temps de travail ou les pénalisations pour le travail esclavagiste.

Parmi les mesures réclamées au prochain président, il y a celle visant à réintroduire une loi de l’époque du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso [janvier 1995-janvier 2003] qui avait cessé d’être appliquée lors de l’accession au pouvoir de Luiz Inacio Lula de Silva, en 2003. Selon cette loi, les terres occupées ne pouvaient être démarquées [considérées légalement comme potentiellement «expropriables»] officiellement avant que l’occupation prenne fin. Les «ruralistes» exigent également que l’approbation d’une norme actuellement en discussion devant le Congrès soit assouplie, une norme qui veut retirer à l’exécutif la compétence de démarquer des terres afin de transférer ce pouvoir au législatif, là où siège un puissant groupe parlementaire ruraliste. De ce groupe parlementaire fait partie, entre autres, la présidente de la CNAPB, la sénatrice Katia Abreu, qui se charge de défendre les intérêts du secteur, dans un pays où 16% des «producteurs» ruraux sont de grands propriétaires terriens, alors qu’ils détiennent 76% de la terre.

Dilma Rousseff et Katia Abreu vont annoncer «la récolte sucrière» 2012-2013
Dilma Rousseff et Katia Abreu vont annoncer «la récolte sucrière» 2012-2013

Les revendications avancées par ces instances constituent les revendications historiques de l’agro-négoce. A chaque fois, elles occupent une place certaine dans les campagnes électorales. Ce qui n’est pas le cas de celles des peuples indigènes ou du Mouvement des sans-terre (MST). Elles ont eu une présence dans quelques campagnes du Parti des travailleurs (PT). Elles ont maintenant disparu de la campagne, à tel point que ce parti du gouvernement ne promet même plus dans son programme la réforme agraire tant attendue.

La loi que demandent les «ruralistes», à savoir que ce soit le Congrès qui détermine le fait qu’une terre appartienne ou non à une communauté indigène, est refusée par ces peuples parce qu’ils considèrent que si cette loi est approuvée, il sera alors presque impossible de faire reconnaître leurs territoires en raison du poids qu’occupe le groupe «ruraliste». Cela s’ajoute au fait que la démarcation de terres ancestrales est pratiquement au point mort: le gouvernement en a concrétisé une seule en 2013. Cela a généré une augmentation des occupations de terres par des peuples indigènes.

Au cours des dernières années, il y a également eu une augmentation des cas dans lesquels des entrepreneurs occupent illégalement des territoires déclarés indigènes afin d’en exploiter les ressources naturelles. Ce phénomène n’occupe cependant pas de place importante dans l’agenda politique ou dans les médias traditionnels.

Les communautés indigènes sont victimes d’une augmentation exponentielle de l’agronégoce, mais aussi des projets en lien avec l’infrastructure et la construction de centrales hydro-électriques. Ces projets qui affectent leurs territoires et les obligent à se mobiliser. Et souvent ils sont réprimés. Le Brésil a été dénoncé par des organismes internationaux pour le fait de ne pas appliquer de consultation préalable auprès de ces communautés indigènes lorsque sont planifiés des projets qui vont les affecter.

Les communautés indigènes demandent que le gouvernement fasse cesser le «génocide» dont elles disent être les victimes: en 2103, 53 leaders indigènes ont été assassinés, il y a eu des tentatives d’assassinat contre 29 autres, 10 menaces de mort ont été dénoncées et non concrétisées et 10 autres violations ont encore eu lieu, selon le «Rapport sur la violence contre les peuples indigènes», publié par le Conseil indigène missionnaire, lié à la Conférence nationales des Evêques du Brésil. Voici ce que l’on peut lire dans ce rapport: «Soutenus par l’Etat et conscients des dépendances qui résultent du modèle de développement [qui priorise l’agronégoce], ces secteurs exercent une pression politique et économique afin que leurs intérêts soient encore plus fortement privilégiés dans les décisions gouvernementales».

Les revendications des entrepreneurs du secteur de l’agro ont été débattues devant le Congrès brésilien de l’agronégoce et présentées aux candidats lors de la «rencontre» des présidentiables. A ce Congrès, le vice-président brésilien (et colistier de Rousseff pour octobre 2014), Michel Temer, a qualifié l’agro-industrie comme étant «l’un des moteurs de l’économie nationale» et a assuré que le gouvernement le soutenait au «moyen de taux d’intérêt très bas et d’incitations de toutes sortes».

Lors de la même «rencontre», un fonctionnaire envoyé en représentation de Rousseff, Odacir Klein, s’est exprimé dans le même sens en déclarant: «Le secteur de l’agronégoce est prioritaire pour le gouvernement et continuera à l’être dans le cadre d’un éventuel deuxième mandat». Et il a ajouté: «Si on examine n’importe quelle donnée statistique, on voit que l’augmentation de ressources [destinées au secteur] est constante; et cela va continuer ainsi.»

En campagne

«Je désire réaffirmer mon engagement en faveur d’un environnement juridiquement sûr pour le producteur. Nous nous battons pour cela», a dit Rousseff, toujours dans le cadre de cette «rencontre» des présidentiables, dans une de ses promesses faites au secteur. Le reste de son discours a été consacré à la défense de sa gestion et au Mercosur (voir l’encart ci-dessous, intitulé : «Ce sont eux»).

Le cas de Campos est particulier, parce qu’il a fait, lui, des promesses au secteur de l’agronégoce, alors que sa colistière est Marina Silva, une écologiste qui s’est opposée aux «ruralistes» et à leurs revendications. Le candidat a réglé cette question en assurant que son tandem électoral «avait la capacité de savoir vivre dans la divergence».

Campos a inclus dans son discours une grande partie des revendications des «ruralistes»: il a promis des investissements dans les infrastructures permettant d’augmenter le développement du secteur ainsi que d’autres mesures allant dans le même sens. Il a soutenu que le gouvernement devait allouer plus de budget à l’agronégoce parce que, selon les observations de divers analystes, ce secteur avait amorti les impacts de la crise économique. De plus, il a promis que, s’il devenait président, il s’occuperait personnellement des dossiers liés à ce secteur.

Neves a également promis plus de ressources destinées au secteur de l’agro et à celui de la construction d’infrastructures, ainsi que la réforme du Ministère de l’agriculture qu’il prévoyait de convertir en un «super-ministère». Il a également promis qu’il traiterait avec «courage et sens du leadership» le dossier de terres, ainsi que celui de l’exonération fiscale partielle des exportations et des investissements du secteur.

Le successeur de Fernando Henrique Cardoso à la tête du PSDB a également mentionné la poursuite de l’octroi de crédits ruraux et une réforme visant à simplifier le système fiscal dans le secteur. Autant Campos que Neves ont remis en cause le Mercosur  et ont plaidé pour une ouverture du Brésil au commerce avec «tous les pays du monde». (Voir encart ci-dessous)

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«Ce sont eux», les responsables

Le Mercosur a été identifié par les «ruralistes» comme étant l’un des obstacles à une croissance plus forte du secteur. Dans le document «Ce que nous attendons du prochain président 2015-2019», les grands producteurs ruraux demandent des politiques différenciées en faveur de ceux qui disposent de positions effectives à l’intérieur de ce «bloc». Ils réclament également une politique commerciale «claire et objective, qui récupère l’autonomie du Brésil pour négocier des accords commerciaux indépendamment du Mercosur», et demandent que soit accélérée la conclusion de l’accord bilatéral entre ce bloc et l’Union européenne.

Les candidats à la présidence Eduardo Campos et Aécio Neves ont assuré, comme l’ont fait de leur côté plusieurs «ruralistes», que le manque d’«indépendance» du Brésil par rapport au Mercosur était ce qui empêchait un meilleur positionnement sur le marché international. Ils ont reproché à la présidente Dilma Rousseff son «acceptation» du fait que le Mercosur mette des bâtons dans les roues sur la question de l’accord avec l’UE (Union européenne).

Le Brésil doit avoir la «liberté commerciale», «ouvrir un peu plus son économie» et avoir accès à de «nouveaux marchés», a dit Neves, alors que Campos a de son côté assuré que le pays devait «débloquer la capacité d’expansion» de son commerce.

Quant à elle, Rousseff a dit que ce n’était pas le Mercosur qui était responsable du fait que l’accord avec l’UE ne soit pas conclu, assurant qu’il y avait «en France, en Hongrie et en Irlande» une résistance, et que certains secteurs politiques européens voyaient dans l’ouverture commerciale un des facteurs ayant généré la crise économique. (Traduction A l’Encontre; La Diara, Montevideo, 13 août 2014)

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[1] Eduardo Campos est décédé à l’âge de 49 ans, dans un accident d’avion, le 13 août 2014. Il formait, avec Marina Silva, le ticket présidentiel dudit Parti socialiste Brésilien (PSB). Marina Silva prendra très certainement la direction de cette liste. M. Silva était sénatrice de l’Etat d’Acre, avant d’être ministre de l’Environnement du premier gouvernement Lula de 2003-2008; elle fut candidate du Parti vert et a obtenu 20% des voix lors de la présidentielle de 2010.

Eduardo Campos était issu d’une famille de dirigeants politiques de l’Etat de Pernambuco (Pernambouc). Eduardo Campos fut de 1995 à 2006 député au Congrès et en lien direct avec Lula car il dirigeait le Parti socialiste brésilien (PSB), allié parlementaire et gouvernemental du PT. En 2006, il postula au poste de gouverneur de l’Etat de Pernambuco. Il fut élu. En 2010, avec l’appui de Lula, il gagna à nouveau cette élection avec 83% des voix, un record historique. En 2012, il se profila comme candidat à la présidentielle et il a réussi une alliance importante avec l’écologiste Marina Silva. Cette dernière, après 2010, avait monté son propre parti: le Réseau durabilité (Rede Sustentabilidade). Elle avait établi des liens souples avec des firmes «écologistes» et son audience populaire est réelle. Dès lors, Marina Silva, en tant que telle, est une concurrente sérieuse de Dilma; ce qui aura un effet probable sur le premier tour des élections. Avec le décès d’Eduardo Campos, le PSB n’a plus de leadership. Dans les enquêtes d’opinion, Campos était loin derrière Aécio Neves qui dispose d’un appareil puissant. Lula a fait un éloge soutenu de Campos. (Rédaction A l’Encontre)

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