Brésil. «La réélection de Bolsonaro»

Par Frei Betto

Je sais que le titre ressemble à un cauchemar, mais nous devons faire face à cette possibilité avec réalisme. La droite, y compris les barons du marché financier, sait combien il est difficile d’avoir un candidat capable d’atteindre le second tour. Ce qui les intéresse, c’est de garnir leurs coffres. Elle se soucie peu des diatribes de Bolsonaro, des milices, du «génocide» pandémique, de l’explosion du chômage et de la misère. Ils ne s’intéressent qu’aux indices de la bourse et du taux de change.

Le centre – une qualification relevant de la pure rhétorique – a été surpris à l’annonce que Lula soit éligible. Tout le château de cartes qui était monté [en vue des élections d’octobre 2022] autour de Sergio Moro [l’ex-juge et ex-ministre de la Justice], João Doria [gouverneur de São Paulo, membre du PSDB-Parti de la social-démocratie brésilienne], Luiz Henrique Mandetta [ex-ministre de la Santé de Bolsonaro] et Ciro Gomes [du Parti démocratique travailliste] s’effondre maintenant devant l’inévitable polarisation entre Bolsonaro et Lula.

Seuls les naïfs croient qu’au second tour, la gélatine du centre donnera son vote à Lula. Je soupçonne que même Ciro Gomes ne le fera pas. Tous se jetteront dans les bras de Bolsonaro, même si certains le feront en se bouchant le nez.

Vu d’aujourd’hui, la conjoncture ne laisse entrevoir qu’un seul candidat capable de battre Bolsonaro au second tour: Lula. Mais ce n’est pas une fatalité. Beaucoup d’eau va couler sous cette polarisation. Lula pourrait même ne pas atteindre le second tour si l’opposition ne met pas en place un large front et si elle s’engage dans une élection présidentielle avec plusieurs candidats et sans programme gouvernemental cohérent.

Bolsonaro dispose en sa faveur, outre les 30% d’électeurs dévoués, de l’appareil de l’exécutif, de la majorité du Congrès et du pouvoir judiciaire, des forces armées, de la police et des milices qui terrorisent l’électorat. Et il devra réchauffer le récit anti-PT (Parti des travailleurs) et la diabolisation de tous ceux qui défendent les agendas identitaires et douaniers.

On peut objecter: comment expliquera-t-il un demi-million de décès dus à la pandémie? Et qu’adviendra-t-il des accusations de corruption qui pèsent sur ses enfants et ses amis proches?

Eh bien, la première question a déjà trouvé sa réponse. Bolsonaro rend les gouverneurs des Etats et les maires des villes, à qui la Justice a délégué le pouvoir d’initiative en ce domaine, responsables du nombre de morts. Et il sait que quelque chose d’étonnant se produit aujourd’hui au Brésil: car la majorité s’est habituée au «génocide». Nous avons naturalisé la mort précoce par asphyxie et le manque de lits de réanimation.

Malgré les appels des médecins et des scientifiques, le battage quotidien des grands médias, les milliers de familles endeuillées, les mesures élémentaires, telles que le port du masque et la distanciation sociale, ne sont pas respectées. Les rassemblements ne sont pas évités, et les couleurs [mettant en garde sur l’intensité des infections] mises en place par les Etats et les municipalités (orange, rouge, violet) sont des restrictions inoffensives.

Tout le monde sait que seul un confinement sévère, de 20 ou 30 jours, à l’instar d’autres pays, pourrait réduire l’escalade des décès. Mais comment le décréter si le secteur commercial est confronté à l’effet domino des faillites et si la pression du pouvoir économique intimide tant ceux qui ont été élus grâce à lui?

Si au Brésil existait un système de subventions assurées par des fonds publics pour les pertes dans le secteur des services, le confinement serait faisable. Mais même les concentrations de personnes dans les transports publics ne sont pas évitées. En bref, le récit du génocide a peu de chances de sensibiliser les survivants.

Et qu’en est-il de la corruption? Eh bien, Bolsonaro prend soin de protéger tous ceux qui, dans son ombre, ont été impliqués dans des manigances. Il s’immisce dans la police fédérale et le pouvoir judiciaire. Il compte aussi sur la complicité flagrante du silence des forces armées.

Nous devons également nous souvenir du pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux, des fake news et du fondamentalisme religieux. Lors de l’élection de 2022, la coutume poussera à renouer avec les discours que l’opposition a tant de mal à ce que les classes populaires les rejettent. Des sujets tels que le «kit gay» [selon Bolsonaro, ce kit serait mis à disposition des écoliers!], le droit à avortement, l’élimination des criminels, la responsabilité pénale des mineurs, fournissent la matière des récits des bolsonaristes

Lula arrivera-t-il au second tour si, au premier, l’opposition est divisée entre plusieurs candidats? Et ceux qui ont voté au premier tour pour les candidats de la droite et du centre qui s’opposent à Bolsonaro, voteront-ils pour Lula au second?

Lula ne sera élu que s’il a à ses côtés, en plus des électeurs, une large mobilisation populaire. Le peuple brésilien doit sortir de cette léthargie propre à ceux qui attendent qu’un miracle se produise demain pour arrêter la pandémie. Continuer à attendre l’aide d’urgence, que l’essence atteigne 10 R$ [1,51 euro] le litre, que l’inflation monte en flèche, que le chômage augmente et, comme en Équateur, que les cadavres s’entassent dans les rues par manque de place dans les cimetières?

Il est temps pour l’opposition de débattre, non pas de qui sera candidat en 2022, mais de comment sortir le peuple brésilien de l’apathie et quel «projet de Brésil» doit lui être présenté. (Article publié sur le site Correio da Cidadania, le 15 mars 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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