Algérie. Le Hirak rejette les initiatives unilatérales du gouvernement

Par Makhlouf Mehenni

Pour le quatrième vendredi de suite depuis la reprise des manifestations populaires le 22 février dernier, le 109e depuis le déclenchement du Hirak à la même date de l’année 2019, les Algériens ont marché dans les rues de la capitale et de plusieurs villes du pays.

A Alger, ce 19 mars, le ciel était gris et menaçant, mais des milliers de citoyens ont tenu à sortir et à manifester en cette journée particulière qui rappelle une halte importante de l’histoire du pays.

La fête de la Victoire

Il y a 59 ans jour pour jour, le 19 mars 1962, les Algériens représentants du FLN et ceux du gouvernement français, mettent fin à sept ans et demi de guerre.

Pour le peuple algérien et l’Algérie officielle, c’est le jour de la Victoire, une victoire chèrement payée. Le Hirak s’est toujours inscrit dans la continuité du combat libérateur.

En plus de 50 vendredis en 2019 et 2020, il a célébré tous les héros de la guerre de libération et toutes ses dates importantes, et c’est tout logiquement que les manifestations de ce vendredi se sont déroulées sous le sceau de l’hommage aux négociateurs d’Evian [mars 1962] à travers pancartes et slogans.

Il y a près de six décennies, les Algériens avaient obtenu le pouvoir de décider de leur destinée à travers un référendum d’autodétermination [du 1er juillet 1962] qui scellera l’indépendance du pays.

La jonction est vite faite avec l’actualité brûlante: «Remettez le pouvoir au peuple». Le slogan, scandé tout au long de la marche, rappelle d’abord pourquoi ceux qui le crient sont encore dans la rue, plus de deux ans après le début du mouvement populaire.

C’est-à-dire exiger un changement radical de gouvernance basée sur le libre choix du peuple. L’occasion donc pour les manifestants de réitérer leur rejet des élections législatives prévues dans moins de trois mois, le 12 juin prochain.

Pour cela, le slogan est prêt, il est presque aussi vieux que le mouvement. «Pas d’élections avec les gangs, la intikhabat maa el issabat», était déjà scandé à la fin du printemps 2019, lorsque le pouvoir projetait d’organiser une élection présidentielle en juillet, contre l’avis de la rue qui ne voulait pas de scrutin avec aux commandes des figures léguées par le président déchu Abdelaziz Bouteflika.

Le mouvement garde le cap sur ses revendications

Le Hirak, au summum de sa force, avait imposé l’annulation de l’élection, mais il n’a pas pu empêcher celle du 12 décembre qui verra l’élection de Abdelmadjid Tebboune à la tête du pays, ni le référendum du 1er novembre 2020 qui a doté l’Algérie d’une nouvelle Constitution.

Le pouvoir a pu franchir deux étapes dans la mise en œuvre de sa feuille de route unilatérale, et s’apprête maintenant à la parachever en renouvelant les assemblées élues.

Avec le retour inattendu, du moins avec une telle vigueur, des manifestations de rue, le bras de fer est engagé et est appelé à marquer la vie nationale dans les semaines qui nous séparent du scrutin du 12 juin.

Avec une issue sans doute incertaine. Car si, pour relativiser, il faut souligner que le Hirak n’a pas retrouvé sa force de mobilisation du printemps 2019, lorsque des millions de citoyens descendaient dans les rues même des villes reculées de l’intérieur, il est en revanche indéniable que la mobilisation va crescendo depuis un mois.

Une mobilisation d’autant plus significative que les autorités, et contrairement à la période citée des marches référence, font tout pour décourager les citoyens de manifester, une stratégie adoptée pendant l’été 2019 et jamais abandonnée depuis.

Pour ne citer que cet écueil, tous les accès à la capitale étaient de nouveau bloqués ce vendredi. Malgré tout, la mobilisation reste appréciable, notamment à Alger, et le Hirak n’a pas perdu le cap de sa revendication du changement et du rejet des initiatives unilatérales du pouvoir.

Ce vendredi, on a de nouveau insisté sur l’indépendance de la justice, une manière sans doute de fustiger la dernière note du ministre de la Justice relative à la lutte contre la corruption [1].

Comme à Alger, des manifestations populaires ont eu lieu dans d’autres villes du pays comme Skikda, Oran, Mila, Bouira, Tizi Ouzou, Bejaia… (Article publié par TSA, le 19 mars 2021)

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[1] «Dans une note adressée aux présidents de Cour et aux procureurs généraux, le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati interdit l’ouverture d’enquêtes sur des affaires de gestion et dilapidation de deniers publics impliquant un agent public, sans l’aval de ses services. Pour ouvrir une enquête judiciaire à l’encontre d’un agent public, qu’il soit en fonction ou pas, les procureurs sont tenus de saisir le ministre de la Justice avec un «rapport détaillé» expliquant «les faits», «leur qualification juridique» et «la partie qui les dénonce». (TSA, 18 mars 2021)

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