Editorial de Correio da Cidadania
En l’absence de différences substantielles, la discussion du deuxième tour de l’élection présidentielle au Brésil a été dominée par l’effort mutuel de déconstruire la pertinence de l’adversaire [soit du côté d’Aécio Neves, soit de celui de Dilma avec leurs conseillers en communication]. Les accusations réciproques de détournement de fonds publics et de l’appareil de l’Etat sont sans fin. Chaque attaque correspond à une contre-attaque. Le «mensalão » [l’argent versé régulièrement par le Parti des travailleurs (PT) pour s’assurer des majorités dans le législatif] est répété au même titre que le «mensalão» toucan [soit du PSDB, le parti d’Aécio Neves].
Le «propinoduto» de Petrobras [«bonne main», «pourboire», terme lancé initialement en 2002 pour un détournement d’argent à Rio de Janeiro; une opération d’envergure répétée à propos d’accords passés par le géant du pétrole par des personnes liées au PT] renvoie aux dessous-de-table, qualifiés «de train de la joie», concernant un contrat des «toucans» avec la firme française de chemins de fer, Alstom. On est dans des tête-à-queue. [Du même type que l’appel public, au Brésil, de Michaël Löwy à voter Dilma Rousseff – Réd. A l’Encontre.]
Les candidats se défendent d’une manière connue. De manière péremptoire nier tout méfait et jurer d’aller jusqu’au bout, en se donnant du mal, afin de: vérifier les faits, déterminer les responsabilités et punir les coupables. Mêmes les pierres savent que rien ne sera fait. Les accusés sont des bombes humaines. Donc, si vous ouvrez la bouche, toute la maison tombe.
Le contenu du débat lui-même révèle la complicité de deux candidats [Dilma et Aécio] avec ce système de corruption. Pour personnaliser et individualiser les scandales, on les associe à des écarts de conduite individuels, à des lacunes dans la législation et à des échecs dans les procédures d’inspection. Le discours suggère donc que le pillage de l’Etat découle de problèmes qui pourraient être corrigés, s’il y avait une volonté politique. Lorsqu’ils parlent, Dilma et Aécio savent qu’ils mentent. Il n’existe pas un dirigeant politique brésilien
qui n’a pas l’ombre portée sur son visage d’un sinistre et mystérieux «opérateur», responsable des finances de la campagne électorale. Dans les hautes sphères du pouvoir, l’homme de l’argent est connu et jouit d’un grand prestige parmi ses pairs.
Déguisés en gardiens des intérêts de la population en général et défenseurs de la morale, les médias sont une partie organique du système de corruption. Sans ce système vénal et dégradé de formation de «l’opinion publique», circule l’idée qu’il y aurait une corruption généralisée en tant que mode de fonctionnement du système politique, parce qu’il n’y aurait pas la diffusion (ou la décision de diffuser), à un moment opportun, des plaintes, des dossiers, l’intrigue, des insinuations, des menaces et des chantages que constituent les munitions lourdes de la guerre entre les clans qui se disputent le pouvoir d’Etat.
L’intense lumière jetée sur les scandales de corruption n’a pas pour but d’élucider le problème, mais plutôt le contraire. Elle vise à détourner l’attention sur des aspects secondaires et des personnages de moindre importance, afin de brouiller les relations causales qui expliquent les engrenages qui subordonnent les hommes d’Etat à la logique [emprise] de grandes et petites firmes. En tant que ventriloques des groupes d’intérêts – qui eux restent toujours dans l’ombre – les grands médias manipulent l’opinion publique avec des informations partielles, déformées et discontinues. Ils créent ainsi une vision apocalyptique et moralisante du problème. En réduisant les causes des attaques contre «le trésor public» à la faiblesse de caractère, la corruption est ainsi naturalisée. La presse au service des puissants – la quasi-totalité de notre presse – participe avec enthousiasme à cette transformation du chantage en un vaste commerce. «Si personne ne réagit, alors nous tous allons payer» – une morale qui correspond bien à la dégénérescence de la res publica.
S’il y avait vraiment une volonté politique de lutter contre la corruption, il faudrait montrer au peuple son caractère systémique et mettre au jour les intérêts de classe qui la structurent. Pour ce faire, il ne suffit pas de gaspiller les rares occasions offertes par des bombes humaines (kamikazes) qui rompent le pacte du silence. Il faudrait expliquer à la population le fonctionnement physiologique qui commande le tube digestif du système politique brésilien.
Par ailleurs, le récent témoignage de l’ancien directeur des grands travaux de Petrobras, Paulo Roberto Costa, comme de l’agent de change Alberto Youssef sont des perles qui devraient être bien utilisées. Leurs témoignages exposent au procureur, avec une masse de détails, comment il a travaillé. Et qui a dirigé le projet de détournement de fonds dans Petrobras. Les premières leçons sont révélatrices:
1° La corruption est un système qui emprisonne les partis politiques de la bourgeoisie et de l’appareil d’Etat en faveur des intérêts du grand capital. Derrière le gang qui a capturé cinq administrateurs de Petrobras, on découvre les partis qui constituent la base d’appui du gouvernement fédéral et treize grandes entreprises, dont les principaux entrepreneurs du pays – dont l’OAS [une très grande firme opérant dans la construction, créée en 1976 dans l’Etat de Bahia]; la firme transnationale Andrade Gutierrez [créée en 1948 à Belo Horizonte]; Mendes Júnior [grande firme qui a connu un développement très accentué dès les années 1990, opérant dans les infrastructures, le secteur du gaz et du pétrole, etc. et qui travaille aussi avec le cimentier suisse Holcim] et, enfin, Camargo Correia [une des plus grosses transnationales du Brésil, issue d’une entreprise familiale fondée en 1939; elle est toujours sous contrôle d’une famille, voir «selfie» ci-dessus].
2° Le centre nerveux qui contrôle les principales négociations [pour les grands appels et les attributions] réside dans le contrôle de l’Assemblée législative par le pouvoir économique et le contrôle de l’exécutif par le législatif. Toujours au début du gouvernement Lula, en 2004, une grève parlementaire de 90 jours a contraint le président de nommer Paulo Roberto Costa, avec le mandat soigneusement défini visant à amasser des fonds pour les partis constituant le socle du pouvoir. C’est la preuve réelle que la prétendue «gouvernance» exige nécessairement une collusion et une complicité inconditionnelle avec le système de corruption.
3° La corruption est un système qui implique toutes les partis de l’ordre, même l’opposition. Les commissions versées aux «cardinaux» supérieurs du PSDB pour la collaboration dans la commission d’enquête sur Petrobras étouffent le fonctionnement du Sénat fédéral. Il est donc clair que personne n’échappe aux tentacules de la corruption. La guerre des accusations mutuelles est une farce. Dans le jeu du donner et du prendre, l’art de la politique est l’art de la ruse et de la tromperie.
Le débat électoral sur la corruption ne peut être mené jusqu’à ses ultimes conséquences parce que les gens ne savent pas que la corruption est un fondement du système représentatif. La promiscuité entre public et privé – son déterminant historique – est l’une des pierres angulaires de l’organisation de l’Etat brésilien. (Traduction A l’Encontre)
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