Brésil: la «pacification» de la favela de Rocinha

Les forces de la Bope à Rocinha, le 13 novembre 2011

Par Mario A. Jakoskind

Rocinha (à Rio de Janeiro) est l’une des favelas les plus emblématiques du Brésil. Il y a maintenant deux décennies qu’elle est contrôlée par des bandes de narcotrafiquants et qu’elle est le point de distribution de drogue le plus important de la zone sud de Rio, la zone la plus riche de la ville. La semaine passée (opération effectuée le dimanche 13 novembre 2011 et largement diffusée sur les médias internationaux), la Police militaire l’a occupée, dans le cadre des opérations de «pacification» de certains quartiers de Rio en prévision du «Mundial» de 2014.

Les autorités disent que dans les prochaines années tout va changer ici. Il y a de cela des années, des promesses semblables avaient déjà été faites après des opérations du même type, et rien n’avait changé.

Une semaine après la mort du cameraman Gelson Domingues au cours d’une opération de police [de la Bope] dans une favela de la zone nord de Rio (favela Antares), un contingent d’environ trois mille agents fortement armés a occupé l’une des plus grandes favelas de Rio, Rocinha, ainsi que deux autres favelas des alentours, Vidigal et Chácara do Céu, toutes situées en plein cœur d’une zone dans laquelle réside la population au plus fort pouvoir d’achat de la ville de Rio. A elles trois, ces favelas dépassent largement les cent mille habitants.

L’opération, qui a duré quatre heures, n’a pas eu trop de résultats en termes de détentions ou de saisies [de drogue], mais elle a été saluée comme un succès autant par le gouvernement de Rio que par celui de Brasilia, puisqu’elle a pu être menée à bien sans qu’un seul coup soit tiré. Cela est certainement dû au fait que l’opération avait été largement annoncée, permettant ainsi la fuite de la plus grande partie des principaux narcotrafiquants. Mais même ainsi, deux des barons de la drogue les plus recherchés, lesdits «Nem» et «Peixe», ont été capturés.

Pour symboliser la reprise de contrôle de la favela par l’Etat, la police a hissé au-dessus du quartier le drapeau brésilien.

Du «déjà vu»

Mais rien de tout cela ne constitue une nouveauté. Il y a 23 ans déjà, cette même favela de Rocinha avait été occupée par la police qui y avait installé un poste de la Cellule de la Compagnie d’opérations spéciales (Nucoe), l’équivalent de l’actuel Bataillon d’opérations spéciales (Bope). Peu de temps après, les narcotrafiquants y étaient retournés et avaient repris possession des lieux. Aujourd’hui, la favela de Rocinha approvisionne en drogue l’une des zones de plus forte consommation du Brésil.

En 1994-95, le Bataillon d’opérations spéciales était retourné à Rocinha où il avait à nouveau pu hisser le drapeau national, mais cette nouvelle occupation n’avait eu aucune conséquence en termes de changements dans la structure sociale du quartier dont le nombre d’habitants est bien plus élevé que celui de centaines de quartiers «bien constitués». A l’exception de la présence policière, l’Etat a donc continué à être absent de la favela qui, elle, a continué de vivre avec une infrastructure minimale, sans pouvoir compter sur le moindre service d’assistance publique de base. Quelque chose de similaire s’est d’ailleurs produit dans d’autres favelas, telle que celle du Complejo del Alemán, occupée depuis une année et jusqu’au mois de juin de l’année prochaine en principe. Il y a quatre ans, en 2007, cette favela avait déjà été occupée par la police, sans qu’on puisse observer dans cette zone la moindre évolution.

Quant à la favela de Vidigal, qui elle aussi se trouve en pleine zone privilégiée, avec vue sur la mer, elle a une longue histoire de mobilisation sociale. Dans les années 1970, la communauté locale s’était mobilisée pour empêcher que les propriétaires du terrain, des entrepreneurs israéliens, les délogent. La mobilisation fut un succès, malgré le fait que l’on se trouvait à l’époque en pleine dictature, et elle compta sur l’appui de l’unique parti d’opposition de l’époque, le MDB [Mouvement démocratique brésilien], aujourd’hui PMDB [Parti du Mouvement démocratique du Brésil]. Beaucoup des occupants réussirent à obtenir l’octroi de titres de propriété sur le logement où ils vivent encore aujourd’hui. Autant la favela de Vidigal que celles de Rocinha et de Chácara do Cé furent ensuite dominées par les narcotrafiquants qui ont remplacé l’absence complète de l’Etat central concernant le «travail social» dans le quartier. Et également pour le maintien de l’«ordre». Nombreux sont les habitants de ces favelas qui ont été exécutés ou mutilés par les narcotrafiquants ou par les forces parapolicières.

Les autorités de l’Etat de Rio ainsi que les autorités fédérales promettent que cette fois les choses se passeront différemment, que les favelas occupées seront reconstruites [1] et qu’aux côtés des Unités policières de pacification, qui resteront là-bas pour longtemps, débarqueront toute une série d’agents de l’Etat pour mettre en place des plans sociaux d’envergure. Au total, environ quarante favelas devraient ainsi être «libérées». La prochaine devrait être celle du Complejo da Maré, un ensemble d’habitations proche de l’aéroport international de Rio où vivent environ cent trente mille personnes. Selon les promesses du pouvoir politique, toutes ces favelas seront incorporées dans le tissu social de la ville. Mais pour que cela se passe de cette manière, il y aura énormément de choses à changer. A commencer par la police.

A peine a-t-il été pris [au début du mois d’octobre passé] qu’Antônio Bonfim Lopes, alias Nem, a déclaré que la moitié de l’argent qu’il tirait de ses trafics partait en «pourboires» à des agents de la police. En échange d’une réduction de peine, on lui a offert de collaborer en dénonçant ces policiers corrompus. Mais Nem craint que s’il fait cela il ne soit tué en prison.

Au lendemain de l’opération policière, le plus grand changement que l’on pouvait remarquer, c’était la tranquillité qui régnait dans les favelas occupées. La majorité des habitants ont opté pour le silence. Ils n’ont pas condamné l’opération, mais ils ne l’ont pas saluée non plus, peut-être par peur que dans peu de temps (peut-être après les Jeux olympiques ou le «Mundial»), ils aient à nouveau à vivre ce qu’ils ont vécu. Ils n’ont pas seulement peur des narcotrafiquants, mais aussi de la police qui maintient des contacts avec les paramilitaires [groupe de tueurs avérés] qui règnent sur une bonne partie des favelas en y imposant leur loi.

Les analystes les plus pessimistes prévoient que les barons de la drogue qui avaient fait de Rocinha leurs quartiers déplaceront dorénavant leurs bases vers d’autres favelas ou quartiers pauvres de la ville. Ces ensembles de logements qui ne sont pas placés dans les alentours immédiats des stades et des circuits touristiques – et ils sont très nombreux – ne font pas partie des plans «pacificateurs» des autorités, raison pour laquelle ils resteront dans l’état où ils sont maintenant.

Ces analystes craignent que les opérations de pacification ne soient qu’un rafistolage, pour ne pas dire un bluff. (Traduction de A l’Encontre)

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[1] Des logements ont été construits, en quantité limitée, à deux heures ou plus de Rio. Ces nouveaux habitats ne sont pas desservis par un système de transports publics adéquats. Diverses enquêtes montrent que les habitants doivent accomplir quatre à cinq heures par jour de transport pour se rendre sur le lieu de leur emploi, des emplois précaires et mal payés. Des transports parallèles, aux mains de mafias, prennent la place des transports publics absents, ce qui grève encore plus le revenu des habitants. En outre, les déplacements de ces populations aboutissent, étant donné le manque de logements par rapport au nombre de personnes déplacées, à des conflits entre habitants, avec interventions de la police. De plus, le coût de ces logements est plus élevé (énergie, etc.). (Réd.)

 

* Cet article a été écrit depuis Rio de Janeiro et publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha (18 octobre 2011)

 

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