Editorial du Correio da Cidadania
La crise politique continue à entraîner le pays vers la paralysie et il n’y a aucun signe que cette dynamique puisse se modifier à court ou à moyen terme. Ce n’est pas par hasard que nous voyons réapparaître le fantasme de l’impeachment (mise en accusation pour «crime de responsabilité» pouvant aboutir à un procès – impeachment trial – contre Dilma Rousseff, dont le résultat peut être la destitution), alimenté par des nouvelles rapportant les irrégularités techniques dans les comptes commises soit par le gouvernement, soit en lien avec la campagne électorale, sans compter les différents épisodes de l’Opération Lava Jato. [1]
Le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) et le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) capitalisent, chacun à leur manière, la saignée du Parti des travailleurs (PT). Le premier en profite pour exercer, de fait, le pouvoir; le deuxième cherche à se positionner pour exercer le pouvoir par la suite.
C’est ainsi qu’à la veille des vacances parlementaires, le président de la Chambre des députés, membre du PMDB, élu de Rio de Janeiro, Eduardo Cunha a donné une indication sur l’avenir en laissant clairement entendre que son parti «ne supporte plus l’alliance avec le PT». Il s’agit là d’un signal clair et probablement le bienvenu, au PSDB.
Le grand drame du gouvernement Dilma – et, en fin de compte, du lulisme – réside dans son incapacité à gérer la grave conjoncture. C’est un gouvernement qui a honteusement cédé aux exigences du marché – en estimant qu’il y allait de sa capacité de «gouvernabilité» – et que chaque déclaration de la présidente semble encore accentuer.
Les alliés sociaux du gouvernement, qui étaient jadis les icônes d’un militantisme social progressiste, empruntent le même chemin de la soumission. La principale centrale syndicale qui soutient le lulisme, la Centrale unique des travailleurs (CUT), approuve la nouvelle mesure provisoire – appelée frauduleusement une mesure de «Protection de l’Emploi» – qui réduit de 30% la journée de travail et le salaire, face à la hausse du chômage. L’augmentation du crédit aux entreprises alloué jusqu’à 35% du revenu est inopérante face à cette situation [2].
Le projet du PT, qui s’annonçait populaire et émancipateur et qui s’est opposé avec véhémence à la remise du patrimoine public pendant le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso [1995-2003], jette à la poubelle l’un après l’autre ses projets de réformes démocratiques. Non seulement il s’accommode de ce même modèle qu’il a autrefois rejeté, mais il est même devenu incapable d’accorder les «réparations» assistentialistes et distributives qu’il pouvait consentir pendant les périodes de prospérité économique internationale.
Alors que les manifestations de juin 2013 et les suivantes réclamaient que l’Etat soit plus présent dans le domaine social, le gouvernement est justement en train de couper les ressources dans ce domaine, tout en blindant encore davantage les intérêts des grandes firmes. C’est ce que démontre également la Réforme politique en discussion au Congrès: un des points centraux de ce projet est la légalisation du financement privé des campagnes électorales ou l’achat anticipé des mandats. La réforme électorale de Cunha, qui vise à dépolitiser les processus électoraux, va dans le même sens.
La crise, qui arrive maintenant à son comble, montre la fragilité du gouvernement de Dilma Rousseff, mais également celle de l’Etat brésilien, son incapacité à mener l’action politique. Nous sommes devant un Etat qui n’a jamais été «public» et dont les problèmes actuels sont analogues à ceux qui ont déjà marqué l’histoire du pays et d’autres gouvernements.
La corruption et les arrestations qui s’en sont suivies montrent les liens étroits qui existent entre les entreprises et le gouvernement, dans la droite ligne de notre tradition de promiscuité public-privé. Il s’agit d’une logique qui engloutit les forces politiques traditionnelles sans distinction et sans exception. La corruption va au-delà de la question morale; elle montre aujourd’hui avec acuité son caractère systémique.
Les grands médias corrompent encore davantage l’actuelle trajectoire régressive du pays, en utilisant la conjoncture pour mener la guerre politique. Ils s’approprient la crise uniquement pour attaquer Dilma Rousseff, contribuant ainsi à la perte d’une opportunité historique pour comprendre le caractère systémique de la corruption.
Si la guerre sous sa forme fratricide continue à être utilisée, elle n’entraînera à peine qu’un changement entre les groupes de pouvoir dans une joute pour déterminer lesquels d’entre eux réussiront à devenir les arbitres de l’économie. L’immense majorité de la population, en manque d’un projet alternatif, restera en marge du duel. Les forces qui pourraient proposer de nouvelles issues vacillent entre le nouveau et le vieux, entre conclure ou non des alliances d’un possible «Front» [allusion à la non-création d’un «front» entre le PSOL et le PSTU et des indépendants].
L’aggravation de la crise économique et des dénonciations de corruption – qui visent maintenant aussi Cunha et d’autres sénateurs – va approfondir la crise politique au mois d’août, lorsque le Congrès reprendra ses séances. Les grèves des fonctionnaires publics seront en plein essor et les manifestations de la droite et de la gauche occuperont de nouveau les rues.
Ce sera le moment pour que les mouvements sociaux combatifs, les mouvements de grève, les partis cohérents de la gauche socialiste [PSOL et PSTU, entre autres] et les mouvements de lutte pour les droits des minorités s’unissent autour d’idées qui n’ont rien à voir avec les règles démagogiques et le discours facile du condominium du PSDB ainsi que de celui du PT qui reste éloigné d’un projet de gauche qui a honteusement échoué en adhérant au comptoir de la corruption et en gouvernant avec l’ajustement structurel néolibéral comme recette contre la crise. (Publié le 22 juillet 2015, sur le site de Correio da Cidadania, traduction A l’Encontre)
_____
[1] L’opération Lava Jato renvoie à l’enquête ouverte par la Police fédérale dès mars 2014 contre le blanchiment d’argent. Le nom est lié à l’utilisation mafieuse d’un réseau de laverie et de stations de lavage pour trafiquer des sommes d’argent d’origine illicite. L’opération est liée au système de corruption d’entreprises et de partis dont une des sources était Petrobras; des dizaines de politiciens de divers partis sont impliqués. (Rédaction A l’Encontre)
[2] La Mesure provisoire crée ledit Programme de Protection de l’Emploi (PPE): c’est un système d’accord par entreprise – entreprise par entreprise – avec vote en assemblée. L’impact de cette mesure peut être explicité ainsi: un salarié qui reçoit 3000 reais, et a une journée de travail réduite de 30%, va recevoir 2550 reais, soit 2100 par l’entreprise et 450 par le gouvernement, payé de fait par tous les employés et qui implique aussi un recul de ce qu’il peut recevoir du FAT (Fonds, entre autres, pour le chômage). Les entreprises pourront, après une période d’un an durant laquelle elles captent plus de survaleur, se défaire du salarié. Donc, le terme plan pour l’emploi est mensonger. Cette mesure gouvernementale a été soutenue par la CUT et par Força Sindical. Mais des travailleurs refusent ce genre de proposition. Ainsi, à la Mercedes-Benz, une large majorité des 10’000 salariés s’est opposée à une réduction de 20% de la journée de travail combinée avec une réduction de 10% du salaire, malgré la position du syndicat. (Rédaction A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter