Brésil. Deux partis – PT et PSDB – un seul modèle économique, régressif

Dilma Rousseff et Aécio Neves
Dilma Rousseff et Aécio Neves

Entretien avec Reinaldo Gonçalves

Le président Lula, en 2009, a pu déclarer que le Brésil entrait dans une «décennie sportive». Le 2 octobre 2009, le Comité international olympique (CIO) attribuait, lors de sa 121e session tenue à Copenhague, «les Jeux» d’été 2016 à Rio de Janeiro.

Ce seront les premiers «Jeux» en Amérique du Sud, dit latine. Et les premiers dans un pays lusophone. Rio a battu Chicago! Lula déclarait que le Brésil était entré dans le «premier monde» et il s’était offert le «soutien de pays africains». Une tradition du «centre». Ignacio Lula da Silva, figue historique du Parti des travailleurs, allait bientôt publier des articles dans le New York Times, après sa retraite. Le Mondial de foot 2014 – dont la finale s’est tenue en juillet 2014 dans ce contexte d’état d’urgence imposé par la FIFA – a illustré parfaitement le sens des options du PT: des subventions massives pour la construction d’œuvres pharaoniques (stades, routes, spéculation immobilière, moyens de transport liés aux exigences du foot et non de la société, donc déplacement de populations pauvres, ségrégation sociale et raciale, etc.). Du «pain et des jeux» pour les futurs électeurs de Dilma Rousseff (octobre 2014), la condisciple de Lula, auquel elle doit sa position. Le «choix d’une décennie sportive» montre – avec le type de sponsors qui s’imposent et les choix budgétaires qui en découlent – que l’émergence du Brésil est plus fragile qu’il n’y paraît. Une chose est de s’imposer en Bolivie – bien que la Corée du Sud soit un concurrent redoutable et fort intéressée au lithium pour ses hautes technologies –, une autre consiste à s’affirmer face à des pays dits du centre, y compris, aujourd’hui, au Mozambique et en Angola, deux ex-colonies portugaises où le Brésil des militaires se précipita après 1975, lorsque le Portugal avait «déserté». Total va investir 16 milliards de dollars dans un projet offshore ultra-profond – analogue au pré-sal brésilien – aux larges des côtes angolaises (projet Koambo). Au Mozambique, ENI (Italie) et Anadarko Petroleum (Etats-Unis) ont décidée en 2014 des investissements lourds – 30 milliards initialement – pour l’extraction et l’exportation de gaz liquéfié dès 2018.

Dans un tel contexte national et international, la myopie politique de ceux qui – se situant, en paroles, à «gauche du PT» ­– ont fait de Dilma Rousseff la candidate d’une opposition au «grand capital» n’est plus à démontrer. L’évidence s’impose. Par contre, une analyse plus substantielle de la situation économique et sociale brésilienne, ainsi que de son système politique, reste fort utile pour disposer d’une grille de lecture – certes partielle – de ce pays-continent. Au moins sportivement, il va être scruté, de manière sélective, par les caméras des télévisions du monde, dans deux ans. (Rédaction A l’Encontre)

*****

Comment interprétez-vous les résultats du premier tour de l’élection présidentielle?

Reinaldo Gonçalves
Reinaldo Gonçalves

Reinaldo Gonçalves: Ce résultat est regrettable, mais pas surprenant. Nous sommes dans le domaine de la médiocrité des candidats, des projets, des programmes et des alliances politiques. Lors du deuxième tour, je serai heureux si Dilma Rousseff est vaincue. Et aussi heureux si Aécio Neves est vaincu.

Par conséquent, je vais voter nul avec deux zéros: un pour Dilma, l’autre à Aécio. Il faut être un fumiste idéologique pour affirmer qu’il existe deux modèles en conflit. Cela relève de l’ignorance, de l’illusion ou de la mauvaise foi d’affirmer qu’il y a un «néo-développementisme» (d’un côté, Dilma Rousseff) qui s’oppose à un «néolibéralisme» (Aécio Neves). En fait, c’est un développement à reculons auquel nous assistons depuis 1995.

Comment évaluez-vous les discussions de ces dernières semaines, qui tentent de comparer les politiques économiques adoptées sous les présidences de FHC [Fernando Henrique Cardoso du 1er janvier 1995 au 1er janvier 2003], Lula [du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011] et Dilma Rousseff [1er janvier 2011 au 1er janvier 2020 – ?]? Pouvez-vous comparer les politiques économiques adoptées durant les trois gouvernements, étant donné que le pays a traversé des périodes économiques différentes au cours de ces années?

images.livrariasaraiva.com.br copieReinaldo Gonçalves: Comparer des politiques est important. Toutefois, la clé réside dans la comparaison des stratégies et des résultats. Sans prendre le risque de trop simplifier, on peut dire que le modèle qui sous-tend les politiques de développement économique est la même depuis 1995. Il est le périphérique modèle libéral. Comme on s’y attendait, les résultats ne sont pas très différents: FHC = gouvernement médiocre; Lula = gouvernement faible; et Dilma = gouvernement médiocre. Cette évaluation de la performance macroéconomique a pour référence des expériences et modèles historiques brésiliennes et internationales. Pour plus de détails, je vous renvoie à mon livre intitulé: Desenvolvimento às Avessas. Verdade, ma-fé e illusao, no attual modelo brasileiro de desenvolvimento, Ed. LTC, Grupo GEN, Rio de Janeiro, 2013).

Quels furent les erreurs et les résultats positifs de la politique économique menée par chacun des trois gouvernements?

Reinaldo Gonçalves: Il y a eu des succès, et surtout de nombreuses erreurs. Quand le fléau arrive, le travail de réflexion du narrateur est nécessaire, comme le souligne l’ouvrage d’Albert Camus: La Peste: « en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal».

L’accent exagéré mis sur l’élimination de la forte inflation (FHC) et l’amélioration de la redistribution des revenus au sein de la classe ouvrière (Lula) implique de négliger la trajectoire de développement régressive du pays au cours des 20 dernières années.

Pour ce qui a trait l’agenda économique, l’un des sujets les plus discutés dans le 1er tour de la campagne présidentielle [5 octobre 2014] était l’indépendance de la Banque centrale. Comment voyez-vous cette discussion? Quelle est la pertinence de ce débat?

Reinaldo Gonçalves: L’importance de cette question dans le débat économique brésilien est l’expression du retard brésilien. L’axe structurant de ce thème réside dans ce qui est au centre de la politique monétaire dans le contrôle de l’inflation, dans notre cas, c’est au travers de la détermination d’une cible pour le taux d’inflation admis. Depuis 2008, après le déclenchement de la crise financière mondiale, les pays ont cherché à gagner en autonomie dans les politiques économiques en raison des défis propre à la croissance faible et au chômage élevé. Selon le FMI (Annual Report on Exchange Arrangements and Exchange Restrictions 2013, p. 11??), la proportion de l’ensemble des 191 pays étudiés ayant une politique de ciblage de l’inflation est passée de 23% en 2008 à 18% en 2013. Dans un pays comme le Brésil, l’indépendance de la banque centrale augmente le risque d’incohérence dans les politiques économiques. La Banque centrale doit être placée sous la direction du ministère des Finances.

Au cours des douze dernières années, le PT (Parti des travailleurs) a été critiqué pour donner une continuité à la politique économique du gouvernement Cardoso (FHC). Quelle est la politique économique du PT et du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne, dont la figue présidentielle est FHC)? En quoi elles se rapprochent et se différencient?

Reinaldo Gonçalves: Depuis l’effondrement du Plan real en janvier 1999 [plan adopté en 1994, sous la présidence d’Itamar Franco, à la sortie de la dictature; ce plan met en place l’Unidad Real de Valor – URV – qui impliquait de le rattacher au dollar avec un taux de 1 à 1, plus ou moins ; cela donnera naissance à l’actuelle monnaie nationale : le real], le «trident satanique» domine la politique macroéconomique. Cela inclut des méga-exédents primaires positifs [donc avant le service de la dette], la fixation de cibles d’inflation et des taux de change flexibles. Ajustements, bouffonneries, les flexibilités et les erreurs de mise en œuvre n’ont pas modifié significativement les régimes budgétaire, monétaire et de change qui composent le trident. Ce dernier continue d’être un axe structurant de la macroéconomie brésilienne.

Dilma et Guido Mantega
Dilma et Guido Mantega

L’inflation d’un peu plus de 6% est-ce grave? Quels sont les risques que cela comporte? Les économistes alignés avec la politique économique du PSDB disent que le gouvernement Cardoso a contrôlé l’inflation à un moment de crise, et les économistes alignés avec le PT, y compris le ministre des Finances lui-même, Guido Mantega, a dit que l’inflation est sous contrôle et a été contrôlée au cours des 12 dernières années. Comment analysez-vous ces points de vue divergents sur l’inflation?

Reinaldo Gonçalves: Il est trop mis l’accent sur la question de l’inflation à titre de compensation pour les mauvaises performances (FHC et Dilma) et faible (Lula) par rapport à la croissance économique et d’autres questions. Dans une économie comme le Brésil, marqué par de grands déséquilibres, cela ne fait pas beaucoup de différence en termes d’accumulation du capital, de création d’emplois et d’augmentation de la productivité si l’inflation est de 3% ou 6%. Dans l’optique du capitaliste et du travailleur, une telle différence est sans grande importance.

Pour le capitaliste, ce qui importe est le taux de profit. Pour le travailleur, l’essentiel est que l’augmentation de son salaire soit supérieure à l’inflation. Pour le travailleur il est préférable une inflation de 6% et un réajustement du salaire de 8% qu’une inflation de 3% et une augmentation salariale de 2%. De la même façon, le clan du PSDB a mis un accent énorme sur la question de la réduction de l’inflation, le clan du PT a exagéré les réductions à la marge dans la concentration des revenus au sein de la classe ouvrière. Ces emphases servent à détourner l’attention de l’immense ensemble d’échecs, non seulement en termes de performance macroéconomique, durant les présidences de FHC, Lula et Dilma.

Comment évaluez-vous l’économie brésilienne actuelle: inflation et croissance faible? Quelles sont les causes de ce scénario?

Reinaldo Gonçalves: Il y a plusieurs raisons et toutes contiennent une certaine vérité.

• Interprétation 1: déficit de gouvernance, à savoir, de graves problèmes de politiques de gestion au sein du gouvernement Dilma. La perception de la médiocrité gigantesque de Dilma conduit à cette interprétation, sont souvent adoptées de mauvaises politiques ou même erronées et, lorsque les politiques sont correctes, les manques, les faiblesses du gouvernement aboutissent à ce que les résultats soient médiocres.

• Interprétation n ° 2: l’aggravation de la situation économique mondiale depuis le début de la crise financière mondiale en 2007-2008. Cette explication est évidente au vu de l’énorme vulnérabilité externe structurelle dans les domaines commerciaux du Brésil : exportations de commodities (biens primaires); sphère productive (haut degré de dénationalisation) ; sphère technologique (dépendance croissante) et financière (une dépendance accrue en terme de flux d’IDE et «d’investissements» volatils propres à la finance de marché). Cependant, il est intéressant de noter que les erreurs de stratégie et de la politique ont amplifié l’effet du ralentissement de l’économie mondiale sur l’économie brésilienne. Pour illustrer, le taux réel moyen de croissance du PIB mondial est de 3,6% dans la période 2011-14 alors que le taux correspondant pour le Brésil est de 1,6%. Sous le gouvernement Dilma, l’économie brésilienne a reculé étant donné qu’a augmenté l’écart entre notre «revenu» et le «revenu» du reste du monde. En 2011-14, 74% des pays avaient des taux de croissance plus élevés que le Brésil.

 

PIB-latin-america copie

 

Crescimento-2014

 

• Interprétation n ° 3: l’augmentation de l’inefficacité systémique, à savoir, les problèmes d’infrastructure, l’insuffisance de réglementation et la faiblesse de la qualification de la main-d’œuvre [cette dernière renvoie aussi bien à l’ineptie du système d’éducation public qu’au type d’organisation du travail dans un système où la sous-traitance est forte et où les firmes transnationales segmentent la formation sur le terrain] freine l’augmentation de la productivité. Si, d’une part, il est vrai que l’inefficacité systémique bloque la croissance économique, d’autre part, il serait une erreur d’affirmer que la solution passerait par le PPP (partenariat public-privé) et de simples investissements supérieurs dans le système éducatif.

En réalité, l’impact peut être négligeable si les investissements se font à partir d’un déplacement du secteur productif vers des secteurs ayant des perspectives défavorables en termes de prix et même demande sur le marché international[problème des exportations de commodities]. Des investissements de plus en plus dirigés en direction du secteur primaire exportateur ont tendance à réduire la capacité de développement à long terme de l’économie brésilienne. Ce secteur peut inclure l’exploration pétrolière [pré-sal : en grande profondeur, sous la couche de sel], les mines, l’agro-industrie et l’élevage.

• A ce stade, il est utile d’introduire l’interprétation n ° 4: le modèle libéral périphérique – MLP qui a été adopté au Brésil au cours des 20 dernières années implique un faible dynamisme économique et une forte volatilité. Les aspects du MLP, ce mélange de libéralisme avec les vices de la «périphérie» (y compris le système héréditaire-familial en politique, la domination financière clientéliste et corrompue et une société civile invertébrée). Le résultat est l’inverse du développement: modernise, mais reste sous-développé.

• Enfin, l’interprétation n ° 5: le régime patrimonial et le système politique corrompu entraînent des fuites importantes de capitaux et réduisent l’effet multiplicateur des dépenses publiques et privées. Nous avons actuellement une énorme fuite de revenus à l’étranger qui affaiblit la relation entre la variation des dépenses et l’essor des revenus.

Faisons un exercice simplifié qui illustre l’argument: supposons que les ressources issues de la corruption et du blanchiment d’argent correspondent à 15% de la valeur des importations de biens et de services par le moyen de la surfacturation (à l’importation ou à l’exportation) et la fraude (15% à US $ 326’000’000 000 = 49 milliards de dollars 2013).

Supposons, en outre, que 30% des investissements brésiliens à l’étranger proviennent d’actes délictueux (30% des 18 milliards de dollars = 5 milliards de dollars en 2013). Les sorties frauduleuses font un total de 54 milliards de dollars. Cela représente 13% de la formation brute de capital fixe (investissement) en 2013.

Durant la période 2003-13 l’économie brésilienne a une croissance annuelle moyenne du PIB de 3,5% et un taux de 17,6% de l’investissement. La hausse des investissements de 13% se traduirait par accélération de la croissance à 4%. Cette augmentation (0,5%) est d’autant plus significative lorsque le taux de croissance est plus faible. En résumé, il existe de nombreux facteurs, y compris la structure (économique et institutionnelle) qui expliquent la piètre performance de l’économie brésilienne. Aux défaillances de l’État, il faut joindre les défaillances du marché, et celle du «modèle».

En ce qui concerne la dette publique, il est possible d’évaluer la situation à ce moment la dette extérieure brésilienne a empiré?

Reinaldo Gonçalves: La dette extérieure représente actuellement 20% des engagements extérieurs du Brésil. La principale source de vulnérabilité financière extérieure est à la forme passive de l’investissement étranger indirect et des investissements étrangers de portefeuille, ce qui représente environ 33% du total des engagements extérieurs. Cet investissement s’effectue dans des titres publics et privés (obligations et actions). La dette extérieure [au sens de l’ensemble des passifs, soit lorsque l’on tient compte de ce qu’une entité a comme obligations envers des tiers, avec une sortie probable ou certaine de capitaux] en tête $ 1,6 trillion. Par conséquent, les réserves internationales (environ 350 milliards de dollars) ne sont pas suffisantes pour résister à des facteurs extérieurs de déstabilisation.

En fait, concrètement, le Brésil est «vendu» ou se trouve «à découvert» pour un montant allant de 600 à 700 milliards de dollars quand on soustrait la valeur des actifs (réels) issus de l’investissement direct dans le pays. La vulnérabilité financière extérieure du Brésil est énorme et cela implique une faible résilience aux chocs externes et aux facteurs de déstabilisation.

Les effets de la crise internationale de 2007/2009 continuent de résonner au Brésil? Avec une tendance à se répercuter dans les années à venir? Pourquoi?

Reinaldo Gonçalves: Absolument. Les déficits nets financiers laissent croissants de la balance des paiements (déséquilibres des flux de capitaux) et les énormes obligations nettes externes laisse Brésil extrêmement vulnérable. D’ailleurs, la vulnérabilité externe structurelle du pays est très élevée. C’est pour cette raison que, en 2013, avec la tourmente internationale, le Brésil a été inclus dans le groupe appelé « les 5 fragiles». La perception du risque par rapport au Brésil tend à se détériorer par rapport à beaucoup des pays en développement.

Qu’est-ce qui devrait changer dans l’économie brésilienne suite une élection d’Aécio Neves ou une réélection de Dilma?

Reinaldo Gonçalves: Essentiellement rien. Des changements dans l’apparence seulement, dans l’image. Le modèle libéral périphérique – MLP – continuera d’être approfondi et élargi quel que soit le résultat des élections. L’argument selon lequel il existe deux modèles en lutte reflète l’ignorance, l’illusion ou la mauvaise foi. Plus ou moins réelle augmentation de 2%, en termes réels, du salaire minimum, une somme donnée dans les politiques d’aide (bourse familiale), dans les politiques de protection sociale et des changements marginaux dans la répartition des revenus au sein du salariat ne signifie pas des changements de modèle.

Il n’existe pas de différences concrètes et frappantes entre la politique étrangère de «majordome nain» (FHC), une politique étrangère de «bouffon nain» (Lula) et une politique étrangère de «confusion désordonnée»  (Dilma). Un pays avec un haut degré de vulnérabilité structurelle externe du Brésil est toujours un supplément («un nain diplomatique») sur la scène internationale.

Quelle est la situation économique que le président élu trouvera?

Reinaldo Gonçalves. Bien sûr, une mauvaise situation. Pas de nouveautés à ce stade. Une mauvaise situation était là également en 1995, 1999, 2003, 2011, durant toutes les premières années de gouvernement. La question centrale est la tendance: la trajectoire d’instabilité et de mauvaise performance qui est caractéristique du modèle de périphérique libéral. Dans le MLP brésilien la trinité de l’économie politique (domination-accumulation-distribution) est perverse car elle est soutenue par un système politique corrompu et clientéliste. Ce système ne se limite pas aux relations entre les groupes dirigeants et les secteurs dominants [voir à ce propos l’article publié sur ce site en date du 30 octobre 2014].

En fait, ce système intègre, coopte des secteurs des syndicats, des organisations d’étudiants officialistes, des organisations non gouvernementales, des intellectuels, des groupes sociaux plongés dans la pauvreté absolue et la misère (par le biais de l’assistentialisme et pas la mise en activité). En fait, ce système génère un Brésil invertébré, à savoir, la perte de légitimité de l’Etat (exécutif, législatif et judiciaire) et des institutions représentatives de la société civile (partis politiques, syndicats et centres d’étudiants, organisations non gouvernementales, etc.). C’est un modèle de social-libéralisme marqué par le favoritisme, le clientélisme et la corruption et assuré par l’«invertébration» et la faiblesse de la société civile. D’ailleurs, en termes de conflits politiques partisans, en général, l’opposition est aussi médiocre et désastreuse que la situation. C’est exactement ce que nous sommes en train de voir.

Ceci est une raison supplémentaire qui montre que la crise est systémique (pas seulement économique) et pour aucune autre raison que, dans lors des manifestations populaires de la mi-2013, les manifestants ont rejeté les partis politiques et même les traditionnels leaders.

Au Brésil, l’épidémie de la promiscuité impliquant des fonctionnaires publics et les dirigeants des grandes entreprises – elle ne signifie pas un aléa moral, un comportement différent si l’une des deux parties est exposée effectivement à un risque – semble avoir atteint un point de saturation. Il y a une crise légitimité de l’État et une crise de la représentation politique. En un mot, une crise institutionnelle. Ces facteurs ont été déterminants pour les manifestations populaires de juin 2013. Et rien n’a changé depuis lors. Et rien ne changera à l’occasion des futurs gouvernements Dilma ou d’Aécio [Dilma a été réélue]. La criminalisation des mouvements sociaux, adoptée par le gouvernement de Dilma Rousseff continuera à l’avenir.

Indépendamment de qui remporte l’élection, des politiques économiques doivent être adoptées l’an prochain?

Reinaldo Gonçalves: Une question centrale est l’ensemble des politiques et, donc, le modèle. Brésil connaît une crise systémique avec de fortes racines structurelles. Cette crise englobe des dimensions économiques, sociales, éthiques, politiques et institutionnelles. La principale cause structurelle de la crise est que pendant 20 ans, le pays dispose d’un modèle de développement appelé le modèle de périphérique libéral – MLP.

Le MLP a les caractéristiques remarquables: la libéralisation, la privatisation et la déréglementation; subordination et de la vulnérabilité externe structurelle; et de la domination du capital financier. Le MLP a des traits spécifiques de domination, d’accumulation et de distribution [de la richesse produite]. En ce qui concerne le modèle de domination, le pacte MLP implique des accords entre des leaders et des secteurs dominants (entreprises, banques, agro-industrie et mines) ; dont la conséquence est la concentration croissante de la richesse et de la puissance.

Le modèle d’accumulation implique, en plus de faibles taux d’investissement, le déplacement de la frontière de la production vers le secteur exportateur primaire. Enfin, le mode de répartition est limité à une redistribution initiale entre les différents groupes de la classe ouvrière, de telle sorte que les intérêts du grand capital sont préservés, à savoir, il n’y a aucun changement dans la structure primaire de la répartition des richesses et revenu (revenu de la classe ouvrière contre les revenus du capital).

Comment voyez-vous la possibilité d’Arminio Fraga de devenir le ministre des Finances du gouvernement d’Aécio Neves et la déclaration de Dilma d’éventuellement remplacer Mantega lors de son second mandat?

Arminio Fraga
Arminio Fraga

Reinaldo Gonçalves: Je ne vois pas de grandes différences entre Mantega et Fraga. Tous deux étaient membres du «Trident satanique». Et, dans la période au cours de laquelle les deux ont occupé des postes importants dans le gouvernement fédéral, l’économie brésilienne a eu de piètres performances, je le répète, une performance médiocre.

Quelle est la place des questions économiques, considérées en dehors du cadre étroitement électoral, et qu’est-ce qui devrait être plus clair sur la durée?

Reinaldo Gonçalves: La consolidation du système MLP et la poursuite de la dégradation des structures, des relations et des processus politiques sont propres à assurer un développement régressif. Cette voie de développement est marquée économiquement par les facteurs suivants: la mauvaise performance; l’accroissement de la vulnérabilité externe structurelle; les changements structurels qui fragilisent l’ensemble et une sorte retour vers le passé; et l’absence de changements ou des réformes qui soient des axes structurels d’un développement à long terme.

En outre, il y a la société de «l’invertébration», la détérioration de l’ethos, la dégradation des institutions et la consolidation, l’expansion et l’approfondissement du système politique corrompu et clientéliste.

• Naturellement, le thème du modèle économique (orientation stratégique, où allons-nous?) devrait être au centre des préoccupations.
• Le deuxième thème a trait au système politique patrimonial, clientéliste et corrompu qui a des effets énormes et directs sur l’économie.
• Le troisième thème est la situation d’anomie de société civile qui permet et encourage un comportement prédateur des groupes dirigeants.
• Le quatrième thème est la dégradation des institutions qui ont été capturées par les secteurs dominants et les groupes dirigeants.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

Reinaldo Gonçalves: Evidemment, il y a des différences en ce qui concerne les attentes, parmi la population, face au «rendement» des futurs gouvernements, soit celui de Dilma Rousseff, soit celui d’Aécio Neves, ou encore au regard de questions spécifiques. Cependant, sur le fond, ces différences ne sont pas significatives. Et leur attribuer trop d’importance aboutit à prêter, en effet, un hommage néfaste au modèle.

Le transformisme du PT, dès de 2003, s’appuya sur un argument préféré: celui des traîtres et des lâches à gauche qui accentuaient les rapports de forces défavorables. Cet argument servit de justification pour rejoindre les intérêts des membres de l’opposition de droite. Le maintien au pouvoir, à tout prix, a fait que les gouvernements de Lula et de Dilma ont approfondi et amplifié le modèle introduit par FHC.

Certes, les gouvernements futurs d’Aécio ou de Dilma continueront sur ??cette voie. Il est illusoire d’imaginer qu’il y aura des changements significatifs et structurels dans une société qui se dégrade et même pourrit. En 12 ans, quels changements ont apportés les gouvernements du PT dans la redistribution des richesses et des revenus? Pourquoi la structure des impôts {avec le poids des impôts indirects) est si régressive? Qu’a été fait pour lutter contre le système politique patrimonial, clientéliste et corrompu? Pourquoi l’impunité reste la règle qui protège le riche et le puissant et stimule leurs actes criminels?

Pourquoi l’économie brésilienne est à la traîne en termes de dynamisme et de résilience? Nier que l’état de la santé publique, de l’éducation, des transports, etc. exprime la réalité d’une société arriérée? Comment échapper à la perception de la barbarie dans un pays où il y a chaque année plus de 50’000 meurtres (enregistrement probablement sous-estimé) et où l’insécurité et la violence augmentent et se propagent à travers le pays? Le Brésil connaît-il un processus de pourrissement?

En bref, cela relève de la mauvaise foi ou de l’illusion que de prétendre qu’il n’existe pas de projets alternatifs de société. Cet argument ne sert que les groupes dirigeants du PT et le PSDB et de leurs alliés. Montrer que la société ne veut que des meilleurs services publics est de mauvaise foi ou traduit une indigence intellectuelle. La société brésilienne veut un système véritablement démocratique, y compris ne pas être obligée d’avoir à choisir entre la médiocrité des candidats, des programmes et des alliances. (Traduction par A l’Encontre, ; entretien mené par Patricia Fachin pour le site Instituto Humanitas Unisinos, 20 octobre 2014)

_____

Reinaldo Gonçalves est diplômé en économie de l’Université fédérale de Rio de Janeiro – UFRJ, maîtrise en économie de la Fundação Getulio Vargas – FGV-RJ et Docteur en Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Reading en Angleterre. Il enseigne actuellement à l’UFRJ. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, tels que Economia internacional. Teoria e experiência brasileira (Rio de Janeiro: Elsevier, 2004) et Economia política internacional. Fundamentos teóricos e as relações internacionais do Brasil (Rio de Janeiro: Elsevier, 2005) (Rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*