Amérique du Sud. Covid-19: des tragédies marquées par l’inégalité sociale

Familles de Recife (Brésil) recevant une aide alimentaire (Andréa Rêgo Barros / PCR-Fotos Públicas)

Par Mario Osava

Le Covid-19 s’est rapidement répandu en Amérique latine et dans les Caraïbes, avec près de 200’000 décès, selon des données officielles considérées comme sous-estimées. La moitié des huit pays ayant enregistré le plus grand nombre de cas d’infection dans le monde appartiennent à la région, tout comme un tiers des 15 pays ayant enregistré le plus grand nombre de décès.

La pandémie s’est propagée de manière et à des vitesses très différentes entre les pays et au sein des territoires nationaux, en fonction de l’inégalité sociale dont la région est championne au niveau mondial.

Peu de pays sont parvenus à réduire le nombre moyen de nouveaux cas et de décès, et il n’est pas possible de garantir que ceux qui y sont parvenus puissent le faire de manière durable. En général, la pandémie continue de se propager, même si certains pays semblent avoir stabilisé le nombre moyen de décès quotidiens, bien qu’à un niveau élevé: un peu plus de 1000 (quotidiennement) au Brésil et environ 200 au Pérou, par exemple.

Le Brésil représentait 48% du nombre total de décès dans la région jusqu’à vendredi, mais le Pérou avait le taux le plus élevé, avec 588 décès dus au Covid par million d’habitants, suivi du Chili, avec 493, et du Brésil, avec 432, selon les calculs de l’IPS (Inter Press Service).

Les données publiées par les autorités sanitaires ne sont pas très fiables ni comparables, en raison des différents critères statistiques et de la rareté des diagnostics, mais le nombre de décès, bien que sous-enregistrés, indique une tendance et une approche de la réalité, car il est difficile de cacher les corps.

Le Covid s’est fortement répandu dans la région, entre autres facteurs, parce qu’il a trouvé «des systèmes de santé sous-financés, segmentés et fragmentés», avec des budgets «loin des 6% du produit intérieur brut (PIB) recommandés par l’Organisation panaméricaine de la santé», limités à 3,7%, a déclaré Alicia Bárcena, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL).

En outre, 54% des travailleurs/travailleuses salariés, soit 158 millions, se trouvent sur le marché informel, «sans assurance chômage», et sans conditions pour s’isoler, car ils doivent travailler pour obtenir un certain revenu chaque jour, a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse virtuelle depuis Santiago du Chili, jeudi 30 juillet.

La pandémie génère une «triple crise» dans le système de santé, dans la protection sociale et dans l’économie, a déclaré Carissa Etienne, directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), s’exprimant depuis Washington lors de l’apparition conjointe avec Alicia Bárcena pour le lancement du rapport CEPAL/OPS «Santé et économie: une convergence nécessaire pour combattre le Covid-19 et reprendre le chemin du développement durable».

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• Le Brésil connaît également une crise politique, aggravée par l’affrontement entre le gouvernement central, dirigé par l’homme politique d’extrême droite Jair Bolsonaro, et la plupart des gouverneurs de ses 27 États. Le président s’oppose au confinement imposé par les gouverneurs comme moyen de contenir la pandémie et fait pression pour la reprise de toutes les activités économiques.

Le pays se classe au deuxième rang mondial, après les États-Unis, pour le nombre de personnes infectées, plus de 2,6 millions, et décédées, 91’263 le 30 juillet, selon les registres officiels. Depuis le début du mois de juin, un millier de Brésiliens en moyenne sont morts chaque jour des suites de l’épidémie.

Mais ce n’est pas Bolsonaro qui a été le principal facteur de «l’échec» du Brésil, mais plutôt «le manque de coordination et de planification nationale» et une orientation malavisée qui a abandonné les soins de base et les préceptes de la santé publique, selon l’épidémiologiste Eduardo Costa, conseiller pour la coopération internationale à l’École nationale de santé publique, à Rio de Janeiro.

«Le Brésil a 286’000 agents de santé dans son Système de santé unifié (SUS), mais ils ont été déchargés, pratiquement démobilisés» dans la lutte contre cette pandémie, qui s’est concentrée «exclusivement dans les hôpitaux», a-t-il déclaré à IPS.

En conséquence, la recherche active et le suivi des personnes infectées et de leurs proches ont été abandonnés, afin de les isoler et ainsi rompre la chaîne de transmission du coronavirus. «C’est le mécanisme central» pour contrôler les épidémies, a-t-il expliqué.

C’est pourquoi le SUS, salué comme l’un des facteurs décisifs du Brésil contre le Covid-19, «n’a pas pu surmonter les difficultés créées par Bolsonaro», selon Eduardo Costa.

On a beaucoup parlé de l’extension des tests, car le Brésil est l’un des pays qui ont appliqué le moins de tests de diagnostic pour le coronavirus, mais le nombre seul n’est pas efficace. Ils doivent être utilisés pour prévenir l’infection, comme l’ont fait des pays prospères comme l’Allemagne et la Corée du Sud, a-t-il déclaré.

Ce qui serait très utile serait de consolider les services de santé primaires, tels que les unités communautaires, les médecins de famille et les agents de santé, «désactivés même par la recommandation de rester à la maison et de ne demander une assistance médicale que dans les cas graves», a-t-il déclaré. Des recommandations comme celle-ci ont augmenté la mortalité due à d’autres maladies, les décès à domicile et la recherche tardive de soins. «L’application de cette intelligence épidémiologique est indispensable pour la rentrée scolaire et la relance de l’économie», a-t-il déclaré.

• Le Pérou a également été incapable de réduire le nombre moyen de décès au cours des dernières semaines. «Le nombre énorme de travailleurs informels qui se rassemblent sur les marchés de rue» est un facteur de ce bilan, a déclaré Eduardo Gotuzzo, médecin spécialiste des maladies infectieuses et professeur émérite de l’Universidad Peruana Cayetano Heredia. Un confinement de 110 jours a d’abord été efficace, mais ensuite la contagion et la mortalité ont progressivement augmenté. Les décès se sont stabilisés à environ 200, depuis la mi-juin, sans pouvoir diminuer. L’isolement a été partiel, seulement la nuit de 20 heures à 5 heures du matin, et total le dimanche, a expliqué Eduardo Gotuzzo. Il a dirigé pendant 22 ans l’Institut de médecine tropicale Von Humboldt et fait partie du comité d’experts qui conseille le gouvernement sur la pandémie. Certaines villes maintiennent le confinement, tandis que d’autres l’ont suspendu. «Pour les informels, il n’y a pas de confinement possible», a déclaré le médecin à IPS par téléphone depuis Lima. En outre, «un service de santé sans organisation nationale et la mauvaise gestion de la pandémie dans les régions, avec des dirigeants mal informés», ont contribué à la catastrophe, a-t-il déclaré.

Et l’aide du gouvernement au secteur informel pour atténuer les pertes a provoqué «des files d’attente gigantesques devant les banques, ce qui a entraîné de nouveaux problèmes et a accru la propagation de l’infection», a-t-il déclaré. La pandémie, qui a été transportée par les migrants péruviens qui sont rentrés au pays depuis l’Espagne et l’Italie, a été aggravée car elle s’est propagée de Lima au nord et en Amazonie, puis dans les «hautes terres» andines, où il n’y en avait pas au début», a-t-il déclaré. «Lima est toujours dans une situation critique».

• La migration explique également la tragédie de l’Équateur, avec une augmentation de la migration vers l’Espagne, entre 600’000 et 800’000, selon Eduardo Gotuzzo.

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La CEPAL s’attend à une «récession brutale» cette année, avec une baisse de la production régionale d’au moins 9,1%. Les 45,4 millions de nouveaux pauvres porteront à 230,9 millions le nombre de Latino-Américains vivant dans la pauvreté, dont 96,2 millions, soit 15,5% de la population totale, sont dans l’extrême pauvreté.

Un revenu de base d’urgence pendant six mois, à un coût de 2% du PIB, des subventions pour 2,6 millions de micro-entreprises et d’autres menacées de faillite, telles sont quelques-unes des propositions de la CEPAL et de l’OPS pour atténuer la crise.

Mais «sans contrôle de la pandémie, il est impossible de penser à une réactivation économique», ont averti les dirigeants de ces deux agences régionales des Nations unies. (Article publié par Inter Press Service-IPS, le 31 juillet 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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