Etat espagnol-Catalogne. «Une Cour suprême maoïste»

Par Javier Pérez Royo

Les prisonniers nationalistes catalans en prison, comme les citoyens chinois dans les «camps de rééducation», doivent d’abord reconnaître la justesse de la décision de la Cour suprême qui les a privés de leur liberté.

La «rééducation politique» des personnes condamnées par jugement était une pratique fréquente pendant les années de la révolution culturelle en Chine. La privation de liberté ne suffisait pas, mais le régime maoïste exigeait l’«accord exprès» des personnes condamnées avec la sanction qui leur était imposée. Nous avons été condamnés parce que nous nous sommes écartés de la pensée correcte et que nous n’avons pas respecté la loi. Cet aveu était la prémisse indispensable pour mettre fin à la privation de liberté. D’abord l’humiliation, puis la liberté. Sans humiliation auto-imposée, il n’y a pas de liberté. C’est le prix que vous devez payer pour que nous puissions commencer à vous faire confiance et que vous puissiez être réintégré dans la vie civile.

Lorsque l’Espagne est devenue un État social et démocratique de droit en 1978, il ne m’a jamais traversé l’esprit que le Ministère public et la Cour suprême finiraient par approuver cette doctrine mise en pratique pendant la révolution culturelle en Chine. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que l’objectif de «réinsertion» de l’article 25 de la Constitution, développé par la Loi pénitentiaire générale, qui fut la première Loi organique de la démocratie espagnole, la première Loi organique approuvée par les premiers Cortes constitutionnels (parlement), finirait par devenir pour les politiciens nationalistes catalans une exigence de «rééducation» dans le but «d’apprendre à respecter la loi». [1]

Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé. Les Conseils de traitement (Juntas de Tratamiento) de plusieurs prisons catalanes, ainsi que plusieurs juges de surveillance pénitentiaire (Jueces de Vigilancia Penitenciaria) de Catalogne, n’avaient pas jugé essentiel que les dirigeants nationalistes catalans condamnés par la Cour suprême comme auteurs du crime de sédition, doivent se soumettre à un programme de «rééducation» pour que l’article 100.2 du Règlement pénitentiaire leur soit applicable, ce qui leur permet de quitter la prison pour travailler, pour s’occuper de leur mère ou pour toute autre circonstance prévue par le règlement.

La nécessité pour les prisonniers politiques catalans de suivre ce programme de «rééducation» a été constamment réclamée par le Ministère public et rejetée par jusqu’à sept juges catalans au motif que le «programme d’éducation spécifique proposé par le Ministère public visait à changer ou à modifier l’idéologie politique des détenus, ce qui est interdit par la Constitution et viole les droits fondamentaux les plus élémentaires» (paroles de la Cour de surveillance pénitentiaire 5 de Catalogne).

La Cour suprême a toutefois approuvé la thèse «maoïste» du Ministère public et considère qu’il est essentiel que les personnes condamnées acceptent de suivre un programme de «rééducation», dans lequel elles apprennent que «la loi doit être respectée» et que la Constitution ne peut être réformée que par le biais des procédures de réforme prévues aux articles 167 et 168 de la Constitution. Une fois qu’ils auront suivi ce «programme de rééducation» et qu’ils auront «intériorisé» la «justesse» de la peine qui leur a été infligée et qu’ils auront appris à se comporter comme des citoyens le devraient dans une société démocratique, ils pourront quitter la prison dans les conditions prévues à l’article 100.2 du Règlement pénitentiaire.

Les prisonniers nationalistes catalans en prison, comme les citoyens chinois dans les «camps de rééducation», doivent d’abord reconnaître la justesse de la décision de la Cour suprême qui les a privés de leur liberté. Une fois qu’elle a été reconnue, la Cour suprême peut être magnanime et accepter les décisions que les Commissions de traitement des prisons et les Juges de surveillance des prisons (Jueces de Vigilancia Penitenciaria) peuvent rendre en application de l’article 100.2 du Règlement pénitentiaire.

D’abord, l’humiliation. Après cela, nous verrons. C’est l’administration de la justice pour les nationalistes catalans condamnés par la Cour suprême. Ils se doivent d’accepter l’humiliation qu’on leur «apprend»: la loi doit être respectée et la Constitution ne peut être réformée que de la manière qui y est prévue. Je ne sais pas s’ils seront également tenus de prouver par un examen qu’ils ont assimilé les «enseignements» qui leur ont été transmis. C’est la fin du droit à une protection judiciaire effective reconnu par les articles 24 et 25 de la Constitution.

Comment les procureurs et les juges de la Cour suprême peuvent-ils manquer de respect de cette manière envers eux-mêmes?

Cela ne peut jamais bien se terminer. (Article publié sur le site Sin Permiso, le 26 juillet 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Javier Pérez Royo est professeur de droit constitutionnel à l’université de Séville

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[1] Article 25.1. Nul ne peut être condamné ou sanctionné pour des actions ou des omissions qui, lorsqu’elles se sont produites, ne constituaient pas un délit, une faute ou une infraction administrative, conformément à la législation en vigueur à ce moment-là.
2. Les peines privatives de liberté et les mesures de sécurité tendront à la rééducation et à la réinsertion dans la société et ne pourront pas comporter des travaux forcés. Le condamné à une peine de prison jouira, pendant l’accomplissement de celle-ci, des droits fondamentaux définis à ce chapitre, à l’exception de ceux qui auraient été expressément limités par le contenu du jugement qui le condamne, le sens de la peine et la loi pénitentiaire. Dans tous les cas, il aura droit à un travail rémunéré et aux prestations correspondantes de la Sécurité sociale, ainsi qu’à l’accès à la culture et au plein épanouissement de sa personnalité.
3. L’administration civile ne pourra pas imposer des sanctions impliquant, de façon directe ou subsidiaire, une privation de liberté.

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