Entretien avec Catherine Coquery-Vidrovitch
A l’occasion du 8 mars, la situation des femmes africaines et leur volonté d’émancipation ont été largement passées sous silence. A été mis en relief le rôle de certaines femmes d’Etat ou épouses de chefs d’Etat, telles Ellen Johnson-Sirleaf, présidente du Liberia, ou Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse du président d’Afrique du Sud Jacob Zuma, actuelle présidente de la Commission de l’Union africaine. Nous publions ci-dessous un entretien avec Catherine Coquery-Vidrovitch, paru dans Afrique Magazine (mars 2013). Catherine Coquery-Vidrovitch est une historienne réputée de l’Afrique, spécialiste, entre autres, de la politique coloniale dans ce continent. Elle est l’auteure notamment de Les Africaines, Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe siècle (Ed. Dejonquères, 1994, réédité chez La Découverte, 2013). (Réd. A l’Encontre)
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De quand datez-vous les premières mutations de la condition des Africaines?
Catherine Coquery-Vidrovitch: Des revendications existaient déjà avant la colonisation, mais il y a une différence entre leur réalité et leur visibilité. Très vite, les femmes ont porté des réclamations d’ordre économique, surtout dans les zones côtières d’Afrique de l’Ouest: des femmes actives, avec un pécule, acquis par exemple par la vente de la noix de palme, ou la revente de tissu, qui faisaient bourse séparée de leur mari. On peut citer la révolte des marchandes de pagnes de Lomé, dont les plus fortunées étaient surnommées «Nanas Benz» par les colonisateurs [la mode était alors de posséder une berline Mercedes, NDLR]. Mais, malgré quelques actions d’éclat, les femmes restaient secondaires: elles étaient des outils de production. Elles subissaient une «double peine», par leurs traditions et par l’attitude des colonisateurs, qui ne s’intéressaient qu’aux mâles, tandis que le travail des femmes était relégué dans l’informel. Néanmoins, au niveau des mœurs, elles ont été rapides à comprendre leur intérêt dans la «justice des Blancs». Une partie de l’histoire de l’évolution de la condition féminine peut ainsi s’écrire d’après les archives judiciaires des procès pour polygamie, avec des histoires de maris de trente ans de plus que leurs femmes et nantis de 100 épouses, et une cohorte de plaintes pour viols!
En 2013, faut-il toujours passer par le mariage pour acquérir un statut social?
C’est surtout vrai en milieu rural. Dans les villes, ce qui est important pour une fille, même de nouveau célibataire, c’est qu’elle ait été mariée au moins une fois, et, encore mieux, qu’elle ait des enfants. Alors, on va lui reconnaître son indépendance, son statut d’adulte. Autrement, il va lui falloir une énergie farouche pour l’obtenir!
La polygamie se maintient-elle?
Elle est interdite dans beaucoup d’Etats, anglophones surtout, mais toujours présente, à l’inverse, dans les pays francophones influencés par l’islam. Trois types de mariages coexistent toujours: le coutumier, le civil, le religieux. Mais, avec la prise d’indépendance des femmes, leur liberté de pensée, on voit aussi apparaître de plus en plus de couples non mariés. Je l’ai observé en Zambie, par exemple, légalement monogame: un certain nombre de femmes n’acceptent plus la polygamie, donc divorcent. Corollaire: la tendance est au concubinage, moins au mariage.
Mais, dans de nombreux pays, les modifications du code de la famille sont encore une réponse des hommes pour maintenir leurs avantages. Au Sénégal, le contrat de mariage doit préciser si l’union sera monogame, polygame, et, dans ce cas, à combien d’épouses. Une juge m’a raconté l’épisode classique: un couple arrive dans son bureau, elle lit le contrat – rédigé par le garçon –, la fille fait une crise en découvrant l’option «polygamie». En général, m’a confié cette magistrate, soit ils ne reviennent pas, soit ils reviennent très vite car la fille a dit «c’est monogamie ou je m’en vais!». Les mutations dans le couple sont une évolution active de la part des femmes, pas des hommes. Elles savent ce qu’elles veulent.
Votre pronostic pour l’avenir?
La difficulté de s’élever contre les anciens est toujours un obstacle. Mais, même si elles sont une minorité, les femmes diplômées, les femmes d’affaires, costaudes, entreprenantes, énergiques sont bien présentes! Les graines du changement sont jetées, ça va fermenter… L’école reste fondamentale pour leur donner des armes. D’autre part, le machisme étant une valeur très forte, les filles doivent en faire – et en font – deux fois plus. D’ici une ou deux générations, ça va poser un problème aux garçons, qui pour le moment en font beaucoup moins: elles seront plus diplômées, plus dégourdies… et ça risque de faire peur aux hommes!
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