RDC. Russie… et Chine au Congo (RDC)

Le général Denis Kalume, formé à l’Ecole royale militaire belge et considéré comme l’un des officiers les plus proches du chef de l’Etat, a été nommé ambassadeur à Moscou

Par Colette Braeckman

Le Parlement de la RDC (République démocratique du Congo) vient d’adopter un accord de coopération militaire et technique avec la Russie. «Business as usual» ou signe du grand retour des Russes au Congo? Le rapprochement entre Kinshasa et Moscou, dans un cadre de tension avec les Occidentaux, ne devrait pas faire oublier la Chine.

La Russie préparerait-elle son grand retour en République démocratique du Congo ou bien l’accord ratifié par l’Assemblée nationale ne serait-il que du business as usual? L’accord de coopération militaire et technique entre les deux pays, qui dormait dans les tiroirs depuis 19 ans, adopté au lendemain d’une visite à Kinshasa du vice-ministre russe des Affaires étrangères Michaël Bogdanov, en tournée dans la région, a été rapidement suivi de gestes concrets. C’est ainsi que le général Denis Kalume, formé à l’Ecole royale militaire belge et considéré comme l’un des officiers les plus proches du chef de l’Etat, a été nommé ambassadeur à Moscou et que, selon certaines sources, 300 techniciens et autres «experts» auraient débarqué à Kinshasa.

Les termes de l’accord sont assez vagues: ils prévoient la livraison par la Russie d’armements, de matériels de guerre et autres équipements spécifiques, des missions de conseil, mais aussi la formation de spécialistes militaires congolais dans les écoles russes. Rien de plus que l’accord qui, en 1999, avait été signé par Laurent Désiré Kabila, père du président actuel, qui se sentait lâché par les alliés traditionnels du Congo. Ces derniers, après avoir encouragé les participants à la première guerre du Congo (1996-1997) à mettre fin au régime de Mobutu, n’avaient pas tardé à être déçus par l’ancien rebelle, partisan de Lumumba, qui avait immédiatement pris des mesures sociales et surtout prié ses alliés rwandais et ougandais de quitter le territoire congolais, ce qui avait provoqué le déclenchement de la deuxième guerre du Congo en août 1988. Accédant au pouvoir après l’assassinat de son père en 2001, Joseph Kabila, recherchant le soutien de l’Occident, avait laissé en friche l’accord militaire conclu avec les Russes, mais il s’était tourné vers la Chine qui avait investi dans le secteur minier en échange de grands travaux d’infrastructures dont des routes.

Aujourd’hui, le contexte a changé: Joseph Kabila, dont le mandat a expiré voici deux ans, n’a pas encore annoncé son intention de se retirer, même si des élections sont prévues pour le 23 décembre, des poches de violence s’étendent, les pays voisins s’inquiètent, dont l’Angola qui dirige des troupes vers la frontière congolaise. Le régime, qui renforce son appareil répressif et son armée, craint de devoir faire face à des manœuvres de déstabilisation et à des manifestations populaires soutenues par les Occidentaux. En effet, le climat des relations avec la Belgique est glacial, les sanctions européennes sont durement ressenties et l’Amérique de Trump est… imprévisible. Dans ce contexte tendu, la Russie, comme la Chine avant elle, a fait valoir son souci de non-ingérence dans les affaires intérieures tandis que Kinshasa assurait que le Congo paierait lui-même ses élections sans attendre de financement extérieur, nécessairement assorti de conditions et de contrôles.

Colette Braeckman et Isidore Ndaywel è Nziem, «Congo, Kinshasa aller-retour», 2016

Si le contexte géopolitique a évolué au cours des derniers mois, la Russie, en réalité, a toujours été présente au Congo: ce sont des équipages russes et ukrainiens qui, depuis vingt ans, pilotent les appareils Antonov utilisés par la Monusco qui quadrillent le territoire, les premiers étudiants congolais viennent d’obtenir leurs diplômes dans les académies militaires et les écoles russes spécialisées dans le domaine de l’aviation. En outre, étant membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie, aux côtés de la Chine, a souvent bloqué des résolutions proposées par les Occidentaux.

Cette fois cependant, la coopération entre les deux pays pourrait s’étendre plus loin et, à terme, mener à des accords dans les secteurs des mines, de l’énergie, de l’agriculture.

Lorsqu’au début de cette année, la Russie offrit gratuitement des armes et des instructeurs militaires au président centrafricain Touadéra et que, dans la foulée, des membres des forces spéciales russes débarquèrent à Bangui, il était clair pour tous les observateurs que la RCA ne serait qu’un tremplin.

Car le véritable objectif au cœur de l’Afrique était la RDC, un pays qui détient plus de 60% des réserves mondiales de cobalt et dont le président, au début de cette année, s’est engagé dans un bras de fer avec les multinationales occidentales, sommées d’augmenter significativement les redevances pour les minerais stratégiques et soumises à un code minier rénové, beaucoup plus exigeant.

A quelques mois d’élections qu’il entend bien contrôler à son profit ou à celui de l’un de ses proches, le président Kabila veut se prémunir contre les puissances occidentales qui, comme la Belgique, soutiennent ouvertement son principal rival Moïse Katumbi et qu’il soupçonne de vouloir mener des manœuvres de déstabilisation.

C’est en 2014 déjà que le président Kabila était entré en contact avec Vladimir Poutine, via Sergei Ivanov, le vice-Premier ministre russe, et c’est en 2015 que le chef de l’Etat congolais avait obtenu le concours d’agents des forces spéciales russes (FSB) qui l’avaient conseillé dans des matières de sécurité et aidé à déjouer certaines manœuvres politiques.

En effet, comme en République centrafricaine ou ailleurs, le soutien russe se présente sous forme de «package»: à la fourniture d’armes et de munitions s’ajoute le «service après vente», c’est-à-dire la mise à disposition d’instructeurs militaires, d’experts militaires et civils, de conseillers politiques. Sans oublier les «bons offices» auprès de pays amis: c’est ainsi que Vladimir Poutine a encouragé les contacts entre Kabila et le maréchal Al Sissi, ce qui a permis à l’Egypte de fournir de l’armement et des formations aux techniques de combat et de contre-guérilla urbaine. Kinshasa s’est également rapproché de l’Algérie, dont la Russie demeure le principal fournisseur de matériel militaire (utilisé entre autres dans le soutien au Front Polisario).

Kinshasa entretient également de bonnes relations avec le Soudan, lui aussi allié de Moscou et des troupes congolaises sont en formation dans le pays du président El Bechir, un autre mal aimé…

Le rapprochement entre Kinshasa et Moscou, dans un contexte de tension avec les Occidentaux, ne devrait pas faire oublier la Chine: Pékin a investi des milliards de dollars dans les mines du Katanga, racheté le site géant de Tenke Fungurume et cet accès privilégié aux réserves de cobalt et de lithium du Congo devrait permettre à la Chine, «l’usine du monde», de contrôler à l’avenir le marché des batteries électriques. Aux yeux des observateurs, il est évident que Pékin ne se laissera pas évincer du Congo et qu’elle devrait donc veiller à sécuriser ses investissements. Pour ce faire, n’ayant pas elle-même de puissance militaire sur le continent africain, elle pourrait recourir à l’expertise militaire russe. (Article publié dans le quotidien Le Soir, en date du 26 juin 2918)

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