Par Iddir Nadir
La mobilisation des étudiants s’est maintenue, hier (mardi 25 juin), malgré la réaction hostile de la police contre les porteurs du drapeau amazigh (berbère). Dispersés dans la foule, des policiers en civil n’ont pas cessé de harceler les marcheurs: des étudiants ont ainsi été empêchés de brandir cet emblème. D’autres sont «soumis à interrogatoire» sur leurs accoutrements amazighs plus marqués (foutas, tee-shirts frappés du sigle berbère).
La procession des étudiants, regroupés à la place des Martyrs, s’est déployée par la rue Bab Azzoun et avançait vers les rues Boumendjel et Larbi Ben M’hidi. Les marcheurs scandaient des slogans hostiles au régime en place: «Les Algériens khawa, khawa, wel Gaïd Salah maâ el khawana» (Les Algériens sont des frères, Gaïd Salah est avec les traîtres), «Gaïd Salah dégage!» «Dawla madania, machi askaria» (Etat civil, pas militaire), «Silmiya, silmiya! Matalibna charîya» (Pacifique, pacifique, nos revendications sont légitimes), «Makache intikhabate ya el issabate» (Pas d’élections avec la bande)… Les banderoles brandies donnent aussi le ton de la journée: «Talabna bil baat, fadjana birayat» (Nous avons exigé le départ des «B», il (Gaïd Salah) nous a surpris avec les drapeaux. Faux débat).
Drapée dans le drapeau national et le signe «Z» de Tamazgha sur les joues, une étudiante portait à bout de bras une pancarte: «Le drapeau amazigh ne porte pas atteinte à l’unité nationale. Il est un symbole de liberté et d’une existence ancestrale en Algérie». Des policiers en civil s’étaient déployés en force tout au long de la marche pour empêcher les étudiant·e·s de brandir le drapeau amazigh ou même des banderoles hostiles au chef d’état-major.
Parfois, des courses-poursuites s’engagent dans les ruelles du centre-ville. Deux étudiants auraient même été interpellés et transférés au commissariat de Cavaignac (Alger-Centre). «Les manifestants ont été transférés au commissariat de Cavignac, puis chez le procureur de Sidi M’hamed», précise le site en ligne Interlignes, citant une source judiciaire.[Ils ont été relâchés mais placés sous contrôle judiciaire.]
Un étudiant témoigne de la détermination de ses camarades «qui sont restés solidaires malgré la répression». «On était regroupés devant la bouche du métro de la place des Martyrs. Les policiers, plus visibles cette fois sur les marches, n’avaient donc pas pu nous harceler dès le départ. Mais quand la procession s’est allongée, ils sont entrés. Ils faisaient comment ? Deux, trois civils te repoussent et petit à petit te font sortir de la foule et là, ils te prennent ton drapeau. C’était de la pure provocation. Heureusement, nos camarades ne se sont pas laissés faire», se réjouit Syphax, étudiant à l’Ecole nationale supérieure des travaux publics (ENSTP), dont le groupe se distingue par une forte organisation – un sondage est lancé pour «conscientiser» le hirak estudiantin (voir Facebook, Students ENSTP).
«Houma yeddou, hna newaldou!»
Par leurs slogans, les marcheurs ont voulu répondre aux appels visant à diviser leur hirak. «Nous sommes sortis, comme chaque vendredi et mardi, contre ce pouvoir pourri. Et aussi contre Gaïd Salah qui veut diviser le peuple. Le pouvoir a essayé de nous diviser en 2001, il veut le répéter en 2019. Mais nous leur disons qu’on restera solidaires. Le drapeau algérien, c’est le drapeau des chouhada. L’emblème amazigh, c’est celui de notre identité. Nous n’allons pas diviser le peuple en le brandissant. Les policiers ont essayé d’embarquer des étudiants avec le drapeau amazigh, on a pu les en empêcher. Notre mouvement se poursuivra durant l’été, comme durant le Ramadhan. Nous continuerons jusqu’au bout», lance Aït Said Abdenour, étudiant au département de biologie à l’USTHB, les joues marquées par les deux symboles de la nation: le croissant et l’étoile et le «Z» amazigh. A la Grande-Poste, un groupe d’étudiants a entonné des chants berbères révolutionnaires.
«Même si vous nous enlevez le drapeau, vous n’allez pas nous empêcher de nous exprimer de vive voix, comme l’a dit Matoub [chanteur algérien d’expression kabyle, assassiné en 1998]. Tamazight est notre mère. Nous avons repris les chansons de Oulahlou, Matoub, Ideflawen. On a longuement repris les textes de Ali Idelflawen [chanteur engagé], Berrouaghia [le groupe de chanteur algérien d’expression kabyle a dédié une chanson intitulée Berrouaghia, nom d’une prison, en mémoire des prisonniers du printemps berbère d’avril 1980], pour faire un clin d’œil aux détenus arrêtés et menacés de lourdes peines de prison, sans aucun fondement juridique. Nous avons chanté Gtiyi abrid pour leur dire que l’espace public qu’ils veulent nous interdire est la propriété du peuple. On a chanté Shab el Parti du groupe Debza, pour leur signifier que ce sont eux qui ont ‘‘bouffé’’ le pays. Nous avons repris Arraw Tleli de Oulahlou. Mais aussi des textes de Ferhat M’henni. Nous disons que même si les positions de celui-ci ne sont pas les nôtres, nous n’oublierons pas que l’homme était un militant de l’Algérie plurielle. Et que ce sont eux qui l’ont poussé à devenir extrémiste», lance Syphax, étudiant de l’ENTP.
La foule s’avance au boulevard Amirouche aux cris de «Pouvoir assassin !», «Policia haggarine!» (Policiers oppresseurs). A un citoyen qui lui dit que les «mouchawichin» (perturbateurs) seront embarqués par les policiers groupés devant le Central (siège de la Sûreté de la wilaya d’Alger), une femme lui répond du tac au tac : «Houma yeddou, hna newaldou» (Eux les embarquent, nous, nous continuerons d’enfanter).
Arrivés à la place Mauritania, les étudiants ont essayé de forcer le cordon sécuritaire placé à proximité de la trémie. Sans résultat. Une femme, au balcon de l’immeuble de la placette, agite le drapeau amazigh. La foule salue son geste aux cris de: «Kbaili arbi, khawa, khawa, Gaïd Sala m3a el khwana» (Kabyles et Arabes, tous des frères et Gaïd avec les traîtres), «Imazighen, imazighen»…
Empêchés de poursuivre leur chemin, les marcheurs contourneront le dispositif policier en passant par les ruelles du marché Khelifa Boukhalfa (ex-Clausel) en scandant: «Talaba machi irhab !» (Etudiants et non pas terroristes), «Madania machi askaria !»…
Séparés en plusieurs groupes, ils se regrouperont à la rue Hassiba Ben Bouali. Les policiers CRS étaient contraints de suivre la cadence des manifestants, qui couraient pour rejoindre la place du 1er Mai. Epuisés, mais toujours déterminés, les groupes d’étudiants s’installent à la rue Belouizdad et poursuivent leurs chants.
Une étudiante brandit une pancarte, où sont inscrits des slogans exigeant la libération des détenus de vendredi dernier, mais sans oublier Hadj Ghermoul, citoyen de Mascara, incarcéré pour son activisme anti-Bouteflika. La foule s’est dispersée dans la joie et sous le regard des nombreux policiers, tenant ostensiblement leurs talkies-walkies en main. (Article publié dans El Watan en date du 26 juin 2019)
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