Par Natasha Roth-Rowland
Une poussée concertée pour accélérer l’annexion de la Cisjordanie, dirigée par un colon messianique [Bezalel Smotrich]. Encore plus d’immunité pour les soldats israéliens qui agressent ou tuent des Palestiniens. Le refus de services médicaux aux personnes LGBTQ. Une Cour suprême malmenée. Un retour en politique pour les terroristes juifs précédemment interdits.
Toutes ces propositions politiques ont été diffusées dans les médias israéliens au cours des dernières semaines, alors que la nouvelle coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou, issue d’intenses négociations et qui a prêté serment jeudi 29 décembre, se mettait en place. Suivant la trajectoire de ces dernières décennies, le nouveau gouvernement est le plus à droite du pays, à ce jour, donnant à Netanyahou un cabinet relativement homogène sur le plan idéologique, tout en accordant un pouvoir sans précédent à des personnalités extrémistes qui, jusqu’à récemment, étaient perçues comme destinées à rester en marge de la vie politique.
Il reste à voir quelle marge de manœuvre Netanyahou et le Likoud donneront à leurs partenaires juniors de coalition pour faire passer toute l’étendue de leur vision fondamentaliste du pays [sur les 33 ministres, dont 30 avec portefeuille, 14 sont ouvertement d’extrême droite]. Mais la faiblesse du Premier ministre de retour au gouvernement face à la menace permanente de procès [entre autres pour corruption], ainsi que le pouvoir et les postes qu’il a déjà confiés aux membres du Parti sioniste religieux [Bezalel Smotrich], d’Otzma Yehudit [Itamar Ben-Gvir] et de Noam [Avi Maoz] d’extrême droite, sont de mauvais augure. L’insistance de Benyamin Netanyahou auprès de la population sur le fait qu’il ne permettra pas aux extrémistes religieux de son gouvernement de se déchaîner – en se présentant, selon la tradition bien connue de l’extrême droite israélienne, comme un rempart contre ceux qui sont encore plus à droite – est démentie par la complaisance dont il a fait preuve tout au long des négociations de ces dernières semaines.
Maintenant que le nouveau gouvernement a prêté serment, voici un récapitulatif de certaines des politiques, propositions et nouveaux pouvoirs les plus dangereux de la nouvelle coalition.
Une annexion de la Cisjordanie qui n’en a que le titre
Alors que l’annexion informelle de la Cisjordanie occupée a été un projet à long terme et continu des gouvernements israéliens successifs, Israël n’a pas – encore – annexé officiellement les territoires comme il l’a fait pour Jérusalem-Est et le plateau du Golan au début des années 1980, après leur occupation lors de la guerre de 1967. Faire avancer ce programme reste un objectif primordial à long terme pour le Parti sioniste religieux et son chef Bezalel Smotrich, conformément à l’accord de coalition du parti avec le Likoud. Cependant, pour l’instant, l’accent est mis sur l’accélération de l’annexion de facto.
Les principes directeurs de la nouvelle coalition promettent de continuer à faire avancer un projet colonial qui s’étend au-delà de la Ligne verte – et aboutit à son effacement. Dans sa première partie, l’accord de coalition complet déclare: «Le peuple juif a un droit exclusif et incontestable sur toutes les régions de la Terre d’Israël. Le gouvernement va promouvoir et développer la colonisation dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie.»
Grâce à la législation adoptée mardi 27 décembre par la Knesset, qui place l’administration civile et le COGAT (Coordination of Government Activities in the Territories) – des unités du ministère de la Défense qui gèrent l’occupation et le siège de Gaza – sous la direction du Parti sioniste religieux, Smotrich est désormais le «suzerain de facto» des parties de la Cisjordanie placées sous contrôle militaire et civil israélien total et où se trouvent la plupart des colonies, tout en ayant un pouvoir considérable sur la vie des Palestiniens de Gaza.
Bezalel Smotrich et son parti auront de nombreuses façons d’exercer ce pouvoir, mais quelles que soient les formes concrètes que prendront leurs politiques, il est pratiquement certain qu’elles impliqueront l’optimisation des conditions d’expansion des colonies, notamment en légalisant les avant-postes, en procédant à des nominations politiques destinées à saper la capacité des Palestiniens à faire valoir la reconnaissance légale de leurs terres privées, en proposant des allégements fiscaux pour les colons, en donnant à ces derniers encore plus de latitude pour mener leurs propres rachats de terres et en continuant à harmoniser les lois dans les colonies avec celles en vigueur à l’intérieur de la Ligne verte.
En parallèle, Smotrich sera en mesure d’intensifier les mesures dites «coercitives» et autres punitions visant les Palestiniens de la zone C [cette zone est administrée par l’administration israélienne et très indirectement par l’Autorité palestinienne], que ce soit en refusant des permis de construire, en démolissant des maisons et autres structures, ou en restreignant les permis de sortie et de travail. De même, le parti déterminera qui peut entrer et sortir de la bande de Gaza et à quel moment, et il dictera quels matériaux peuvent entrer et sortir de l’enclave.
Poursuivre la colonisation du Naqab/Néguev et de la Galilée
Le Naqab et la Galilée, qui abritent d’importants centres de population palestinienne dans le sud et le nord du pays respectivement, constituent depuis longtemps le pilier des efforts du gouvernement pour judaïser le pays à l’intérieur de la Ligne verte. Pour l’extrême droite en particulier, elles sont considérées comme faisant partie de la ligne de front – avec les «villes mixtes» [qui ont une population juive et dite arabe-israélienne] – de la poussée israélienne visant à «recoloniser» des zones qui, à leurs yeux, ne sont pas suffisamment juives en raison de l’importance de leur population palestinienne. Ces deux parties du pays ont donc fait l’objet d’une attention considérable dans les négociations entre le Likoud, le Parti sioniste religieux et Otzma Yehudit, chaque parti obtenant un contrôle important sur ces zones.
L’accord de coalition d’Otzma Yehudit lui a attribué le contrôle du ministère du Développement du Néguev et de la Galilée, qui a été élargi pour inclure les avant-postes de Cisjordanie – un autre acte d’annexion informelle. Ben Gvir, quant à lui, en tant que ministre de la Sécurité nationale, aura le contrôle des organes exécutifs des différentes branches du gouvernement relatives à la terre et à l’environnement, y compris l’Autorité pour la nature et les parcs et l’Autorité foncière israélienne. Il aura ainsi un droit de regard important sur l’attribution des terres de l’Etat et sur la manière dont elles sont affectées. Ce qu’il ne manquera pas d’utiliser comme une arme contre les communautés palestiniennes dans les zones que l’Etat cherche à coloniser de manière intensive par des Israéliens juifs.
En outre, le Parti sioniste religieux a obtenu du Likoud l’engagement d’étendre encore davantage la judaïsation du Néguev et de la Galilée. Il s’est également vu accorder un certain pouvoir au sein de l’Autorité foncière israélienne, la membre de la Knesset Orit Strook siégeant à son conseil.
Menaces contre la communauté LGBTQ
La liste électorale commune du Parti sioniste religieux, qui a obtenu le troisième plus grand nombre de voix lors des élections du mois dernier, a permis au parti d’extrême droite Noam de remporter un siège et de faire entrer son président, Avi Maoz, à la Knesset. Ce parti, qui n’a que quelques années d’existence, s’est toujours appuyé sur une plateforme majoritairement anti-LGBTQ. Au lendemain des élections, lorsqu’il est apparu clairement qu’Avi Maoz allait faire partie de la coalition gouvernementale, il a immédiatement commencé à faire des propositions politiques homophobes, notamment en vue d’interdire les défilés de la Fierté dans le pays, en particulier à Jérusalem.
Benyamin Netanyahou n’a pas donné suite à cette idée, du moins en public, mais peu de temps après, il a nommé Avi Maoz à un poste de ministre adjoint au sein du cabinet du Premier ministre, chargé de superviser «l’identité juive», avec la responsabilité connexe des programmes scolaires non publics [financés par des ressources étrangères]. Cette nomination a suscité des réactions négatives de la part de certains maires et autorités locales, mais entre-temps, les déclarations homophobes d’Avi Maoz et de son clan idéologique se sont poursuivies, alors que des rapports indiquent que son parti avait précédemment dressé des listes de personnalités médiatiques LGBTQ – ce qui a conduit les activistes LGBTQ à lancer des mises en garde contre des violences homophobes.
Une partie de l’accord de coalition entre le Likoud et le Parti sioniste religieux a également permis à ce dernier de remporter une victoire dans une guerre culturelle du type de celles conduites aux Etats-Unis, en lui permettant de tenter de modifier une loi anti-discrimination qui autoriserait les prestataires de services à refuser de travailler avec certaines personnes en raison de leurs croyances religieuses. (Cela fait également partie de l’accord du Likoud avec le parti haredi [ultra-orthodoxe] United Torah Judaism-Judaïsme unifié de la Torah). La députée Orit Stroock du Parti sioniste religieux a suggéré qu’en vertu de la nouvelle loi, les médecins pourraient refuser de traiter les patients LGBTQ, tandis que le juriste Simcha Rothman, également du Parti sioniste religieux, a déclaré que les propriétaires d’hôtels auraient le droit de refuser des chambres aux clients homosexuels.
Il a également été question de revenir sur une récente interdiction de la «thérapie de conversion», de rétablir l’interdiction faite aux homosexuels de donner leur sang et de réimposer des obstacles à l’accès à la chirurgie de réassignation sexuelle.
Radicalisation des forces de police par le haut
La création d’un nouveau ministère de la Sécurité nationale dirigé par le président d’Otzma Yehudit, Itamar Ben-Gvir, a déjà provoqué une onde de choc au sein de la police israélienne. Ce ministère, qui est une version élargie du ministère de la Sécurité intérieure et publique, confère à Ben Gvir – un sympathisant terroriste reconnu coupable d’une longue histoire de violence et d’incitation à la violence, principalement contre les Palestiniens – des pouvoirs dictatoriaux sur les forces de police israéliennes des deux côtés de la Ligne verte. Conformément à l’accord de coalition entre le Likoud et Otzma Yehudit, qui a été adopté par la Knesset mercredi 28 décembre, la police des frontières – qui patrouille en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – a été retirée de l’autorité de la police israélienne et relève désormais directement du ministère de Ben Gvir.
Disciple du rabbin extrémiste Meir Kahane et admirateur de longue date du tueur de masse d’Hébron de 1994, Baruch Goldstein, Itamar Ben-Gvir s’est engagé à faire pression pour que les forces de sécurité accusées d’avoir tué ou agressé des Palestiniens – surtout les soldats – bénéficient d’une plus grande immunité. De plus, grâce à l’accord de coalition de son parti, il a le pouvoir de rendre les règles de tir à vue encore plus faciles. Le contrôle qu’il exerce sur la police des frontières signifie qu’il a désormais la haute main sur les forces qui répriment violemment les manifestations palestiniennes, participent aux démolitions de maisons et contrôlent les zones majoritairement palestiniennes situées à l’intérieur de la Ligne verte. Ben Gvir a en outre le pouvoir de nommer les commissaires de police, un privilège refusé à son prédécesseur, ainsi que de tenir plus sous son contrôle la police dans les zones où il a des objectifs politiques et religieux – comme, par exemple, l’extension de la prière juive sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, qui a traditionnellement été restreinte par la police, bien qu’à un degré toujours plus limité.
La guerre contre – et sur – le système judiciaire
Au cœur des négociations de Netanyahou – et dans le cadre de son acceptation des exigences de ses partenaires – se trouve la volonté de saper le système judiciaire israélien afin de le tirer d’affaire dans ses divers procès pour corruption. Il s’agit d’un objectif réciproque: le Parti sioniste religieux, Otzma Yehudit et d’autres formations d’extrême droite veulent voir le système judiciaire se plier à la volonté du gouvernement, en faisant pression pour obtenir une «clause dérogatoire» qui permettrait à la coalition au pouvoir d’annuler les jugements de la Cour suprême, ce qui priverait la plus haute juridiction du pays de tout pouvoir. En pratique, cela pourrait permettre à une majorité très mince de la Knesset – par exemple, 61 députés sur 120 – d’annuler une décision de la Cour suprême, par exemple une loi discriminatoire adoptée par la Knesset. Une telle option faciliterait grandement la codification des politiques d’extrême droite, soit de la discrimination raciale et religieuse à l’accaparement des terres et à l’extension de la criminalisation de la société civile palestinienne et des ONG de défense des droits de l’homme.
Un accord de coalition connexe, bien que discret, implique l’annulation de l’interdiction des membres potentiels de la Knesset précédemment accusés ou condamnés pour incitation à la violence et à la haine. Ce mouvement a été orchestré par Ben Gvir, apparemment pour permettre à ses anciens colistiers kahanistes [se revendiquant de l’idéologie du rabbin Meir Kahane] – Michael Ben-Ari, Baruch Marzel et Bentzi Gopstein – de tenter une nouvelle fois d’entrer à la Knesset. Dans le même temps, Ben Gvir a clairement indiqué que son parti utiliserait la loi pour tenter d’empêcher les politiciens palestiniens d’entrer à la Knesset.
Autre signe de l’affaiblissement du pouvoir de la Cour suprême, l’accord de coalition entre le Likoud et le Parti sioniste religieux relance les tentatives précédentes de détenir indéfiniment les demandeurs d’asile dans des camps, avec une proposition de nouvelle Loi fondamentale basée sur la législation que la Cour a annulée dans le passé.
Le Likoud et Otzma Yehudit se sont également mis d’accord pour faire passer, au cours de l’année prochaine, un projet de loi qui instituerait la peine de mort pour les «terroristes» (palestiniens).
Répression de la société civile
Avant même que la nouvelle coalition ne prête serment, le traitement déjà répressif de l’Etat israélien à l’égard des militants, des journalistes et des groupes de la société civile s’est encore détérioré. Ces dernières semaines, des soldats ont agressé des militants de gauche en Cisjordanie tout en se félicitant du rôle que Ben Gvir aura sur leur mission. Un journaliste a été arrêté pour provocation après avoir félicité un Palestinien de Cisjordanie d’avoir cherché à attaquer les forces de sécurité israéliennes plutôt que des civils. Et un député du Likoud a appelé à «emprisonner» le chef de Breaking the Silence [organisation israélienne de soldats et de vétérans qui dénonce les actions de l’armée], Avner Gvaryahu.
La nouvelle coalition semble prête à criminaliser, persécuter et entraver davantage les acteurs des droits humains et civils, ainsi que les journalistes, des deux côtés de la Ligne verte. Smotrich a appelé à cibler davantage les groupes de défense des droits de l’homme sur le plan «juridique et sécuritaire» – les qualifiant de «menace existentielle pour l’Etat d’Israël» – et des plans sont en cours pour taxer les dons des gouvernements étrangers aux ONG de gauche. Une initiative vieille de plusieurs années visant à criminaliser le fait de filmer des soldats israéliens en service est en train d’être ressuscitée, tandis que le Likoud ravive les menaces de fermeture de la branche information du radiodiffuseur public israélien, que Netanyahou a déjà jugé trop à gauche. (Article publié sur le site israélien +972, le 29 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Natasha Roth-Rowland est rédactrice du site +972. Elle est doctorante en histoire à l’Université de Virginie.
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