Par Colin Wilson
Le gouvernement de Liz Truss a lancé une attaque contre les travailleurs et travailleuse à une échelle que nous n’avions pas vue depuis des décennies.
Pour les riches et les grandes entreprises
- D’énormes réductions d’impôts pour les riches.
Kwasi Kwarteng, le ministre des Finances [depuis le 6 septembre; il a présenté son budget le 23 septembre], a supprimé les impôts élevés pour ceux qui gagnent plus de 150’000 livres (168’000 euros). Une personne qui gagne 1 million de livres par an gagnera 55’220 livres (61’800 euros) grâce aux changements proposés – une personne qui gagne 20’000 livres ne gagnera que 157 livres (175 euros), et un retraité avec ce revenu n’obtiendra que la moitié de cette somme. Près des deux tiers des gains résultant des réductions d’impôts iront aux 5 % des ménages les plus riches.
- Suppression des limites aux bonus des «gros bonnets» de la City.
Les bonus étaient plafonnés à deux fois le salaire annuel dans toute l’Union Européenne. Ce plafond avait été introduit parce que les gros bonus sont une «récompense» pour les gros profits obtenus, et que ces gros profits résultent du type de prise de risque qui a conduit à la crise financière de 2008.
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Réduction de l’impôt sur les sociétés.
Les augmentations prévues de l’impôt sur les sociétés sont annulées. Kwasi Kwarteng se vante que la Grande-Bretagne a le taux le plus bas d’impôt sur les sociétés du G20 – les entreprises d’ici [de Grande-Bretagne] paient moins d’impôts qu’aux Etats-Unis, voire moins que dans le Brésil de Bolsonaro.
«Pour» les travailleurs
- Coupes dans les prestations de travail à temps partiel.
Environ 120’000 personnes se voient signifier qu’elles doivent augmenter leur salaire – en trouvant un emploi mieux rémunéré ou en augmentant leurs heures de travail – ou leurs allocations seront réduites.
- De nouvelles attaques contre les droits syndicaux.
Les syndicats seront légalement contraints de fournir «un service minimum», ce qui, dans d’autres pays, signifie, par exemple, assurer un service de train à 100 % pendant les heures de pointe. Ils devront également suivre la procédure chronophage et complexe consistant à soumettre au vote des syndiqué·e·s toutes les offres salariales (de l’employeur), y compris les offres révisées. Ainsi, tout ce que la direction aura à faire pour empêcher une grève sera de faire une offre légèrement améliorée au moment où la grève est sur le point de commencer.
- Les patrons à l’offensive.
La direction de Royal Mail [qui a été privatisée complètement en octobre 2015] se retire de tous les accords juridiques conclus avec le CWU (Communication Workers Union), le syndicat des postiers. Dave Ward, secrétaire général du CWU, écrit que «c’est probablement la plus grande attaque que ce syndicat ait jamais connue contre les travailleurs/travailleuses et leurs représentants sur les lieux de travail».
- Les prix du chauffage, de la nourriture et du logement continuent d’augmenter
Le gouvernement parle d’un «gel» des prix pour le chauffage, mais ceux-ci doivent encore augmenter considérablement le 1er octobre. Les prix des denrées alimentaires continuent de croître, avec le prix des aliments frais ayant augmenté de plus de 10 % au cours de l’année écoulée, de janvier à août. Les loyers ont augmenté de près de 16 % à Londres et de près de 12% ailleurs, tandis que la hausse des taux d’intérêt entraînera une augmentation des versements hypothécaires.
Le NHS et la crise climatique
- NHS [National Health Service – Système de la santé publique]
Des rendez-vous chez le généraliste jusqu’à la recherche d’un dentiste NHS, il y a plus de 6 millions de personnes sur les listes d’attente des hôpitaux, il faut une heure à une ambulance pour rejoindre une personne ayant subi une crise cardiaque ou une attaque cérébrale. Le NHS et les services de care sont en crise. Les impôts sont réduits de plusieurs milliards, mais les services du NHS ne reçoivent aucun financement supplémentaire.
- Climat
Le fracking [forage par fracturation hydraulique ] est de retour en Angleterre. Comme l’écrit Gareth Dale dans notre analyse d’aujourd’hui, les Tories sont heureux de «saccager l’environnement». Plusieurs députés conservateurs ont déjà critiqué publiquement ces plans de fracking. Kwasi Kwarteng s’est engagé à accélérer les projets d’infrastructure – sur un total de 138 projets, près de deux tiers sont des projets routiers. Deux seulement concernent la décarbonation.
Un pari économique…
C’est une attaque très sérieuse, mais c’est aussi une stratégie à haut risque pour Liss Truss – et ce n’est pas seulement la gauche qui le dit. Robert Shrimsley, journaliste au Financial Times, a déclaré que «c’est un énorme pari sur les finances publiques» et le site économique Bloomberg a également déclaré que »les plans représentent un pari majeur». Le paquet implique des emprunts à une échelle plus grande que jamais auparavant – 411 milliards de livres – avec très peu de détails sur la manière dont les comptes seront équilibrés [1]. On prétend que l’augmentation de la croissance peut permettre rembourser ce montant, mais il n’y a aucune garantie que la croissance se produise. Les conservateurs ont condamné toute personne exprimant des doutes en disant qu’elle «dénigre la Grande-Bretagne», et affirment qu’il est faux de dire que la Grande-Bretagne est en déclin. Néanmoins la mort de la reine a mis en lumière les comparaisons avec l’année de son accession au trône, en 1952. A l’époque, la Grande-Bretagne était la troisième plus grande économie du mond ; aujourd’hui, elle est au huitième rang, et elle est en passe de perdre encore plus de terrain. Même une organisation patronale comme la CBI (Confederation of British Industry) qualifie d’«anémique» la croissance britannique de ces 15 dernières années. [La Bank of England enregistre une récession et pronostique ainsi sa durée: 15 mois. Réd.]
Un pari politique…
En plus d’être un pari économique, la stratégie de Liz Truss est une stratégie politique. Elle s’appuie sur une analyse particulière du référendum sur le Brexit de 2016 et de la victoire électorale de Boris Johnson en 2019, qui affirme que ce pour quoi les partisans du Leave (la sortie de l’UE) et des Tories ont voté à ces deux occasions renvoie au soutien à une politique de droite dure, thatchérienne. Selon ce point de vue, Theresa May [première ministre du 13 juillet 2016 au 24 juillet 2019, réélue députée en décembre 2019] a trahi le soutien des électeurs en proposant un «Singapour sur la Tamise» déréglementé et à petite échelle. Boris Johnson, est allé encore plus loin avec son programme (type «gros état») de chômage technique et de paiement des dépenses de chauffage.
C’est une mauvaise compréhension des deux votes. Les gens ont voté Leave pour une série de raisons qui n’avaient rien à voir avec l’économie, que ces raisons soient mauvaises (racisme) ou bonnes (rejet du statu quo néolibéral). Les électeurs et électrices ont élu Boris Johnson parce qu’il s’est présenté comme un outsider à une époque où les gens méprisaient les politiciens, et parce qu’il a affirmé qu’il allait «faire le Brexit», à une époque où tout le monde en avait assez de cette saga ennuyeuse et sans fin. Le soutien aux politiques thatchériennes est beaucoup plus faible que ne le croient Liz Truss et les chroniqueurs du [conservateur] Daily Telegraph.
Il faut également se rappeler que lors du premier tour du vote pour la direction des Tories, Liz Truss n’a été soutenue que par 1 député sur 7. Il n’est donc pas étonnant que certains députés conservateurs expriment déjà des inquiétudes. Le vieux routier Sir Roger Gale [député depuis 1983 North Thanet dans le Kent] suggére que les plans de Kwasi Kwarteng sont «téméraires». Un député conservateur soutenant Rishi Sunak [le prétendant à la direction des Tories qui perdit face à Liz Truss, ancien ministre des Finances de 2020 à 2022] déclare au Guardian que ces plans sont «politiquement toxiques et économiquement douteux». Les marchés financiers qui devront prêter des sommes considérables au gouvernement n’étaient pas convaincus que les objectifs de croissance seraient atteints, alors que la livre est tombée à son plus bas niveau par rapport au dollar depuis les années 1980. Un analyste de la City a déclaré vendredi 23 septembre, dans l’après-midi, que «c’est le pire jour que j’ai jamais vu sur les marchés, sous l’angle britannique»; il a commenté la performance de Kwasi Kwarteng avec le mème d’une maison en feu.
Construire les mobilisations et les grèves
En plus de la faiblesse et de la division du côté des Tories et des patrons, il y a de véritables forces du côté des nôtres. Plus de 190 000 personnes se sont engagées à annuler leurs paiements pour chauffage pour le 1er octobre. La campagne Enough is Enough prévoit, pour cette date, des manifestations dans 13 villes de Grande-Bretagne. L’Assemblée du peuple (The People Assembly) organise une grande manifestation, lors de la conférence des conservateurs, le 2 octobre. Toutes ces mobilisations et campagnes peuvent être énormes et traduire une colère sociale. Elles montrent clairement le peu de soutien dont bénéficie Liz Truss.
Enfin, les principales luttes pour les travailleurs et travailleuses sont celles qui se déroulent sur les lieux de travail. Les grèves nationales se poursuivent dans les chemins de fer, dans Royal Mail, BT (British Telecom PLC) et Openreach [Openreach Limited est détenue à 100% par BT PLC et contrôle le réseau à large bande et téléphonique dans le pays], avec des centaines de milliers de personnes qui vont débrayer le 1er octobre.
Le mouvement de grèves commence lundi 26 septembre dans 26 collèges d’enseignement postobligatoire et mardi 27 septembre dans le port de Felixtowe. Des secteurs de salarié·e·s allant des travailleurs du pétrole aux infirmières sont en train de voter pour décider des initiatives de grève. De nombreuses grèves locales sont gagnantes – les travailleurs et travailleuses des bus de First Cymru [opérateur de services de bus dans le sud-ouest du Pays de Galles], membres d’Unite, ont obtenu cette semaine une augmentation de salaire de 14%. Mais avec la direction de Royal Mail à l’attaque et Liz Truss au gouvernement, les conflits à l’échelle du RMT [chemin de fer: 400’000 salarié·e·s] et du CWU ne seront pas faciles à gagner. Les dirigeants syndicaux doivent faire face aux attaques des patrons et des Tories, et aller au-delà des actions d’un jour, ce qui pourrait permettre de battre Truss et Kwarteng en quelques semaines. (Article publié sur le site de rs21 le 23 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] The Guardian du 23 septembre cite Paul Johnson, le directeur de l’Institute for Fiscal Studies. Ce dernier déclare: «Aujourd’hui, le chancelier [Kwasi Kwarteng: Chancellor of the Exchequer] a annoncé le plus grand paquet de réductions d’impôts depuis 50 ans sans même un semblant d’effort pour que les chiffres des finances publiques tiennent la route. Au lieu de cela, le plan semble consister à emprunter des sommes importantes à des taux de plus en plus élevés [étant donné la hausse des taux décidée par la Banque centrale: BoE], à placer la dette publique sur une trajectoire ascendante insoutenable et à espérer que la croissance s’améliore.» (Réd. A l’Encontre)
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