Brésil. «Bolsonaro n’acceptera pas une défaite électorale. Que faire?»

Par Valerio Arcary

1. Au moment actuel de la campagne électorale, la position favorable dans les sondages de Lula est si grand, en raison de la consolidation d’une avance substantielle, que l’hypothèse la plus probable est la victoire de Lula au premier tour [1]. Bien qu’avec une certaine marge d’incertitude, même une majorité de votes valides est possible. Le taux de rejet de Bolsonaro reste extrêmement élevé, supérieur à 50% [2]. Une victoire dans le Sud-Est et le Nord-Est, soutenue par les personnes les plus pauvres, les femmes, les Noirs et les jeunes, renforcée par un déplacement silencieux des électeurs des autres candidats, notamment Ciro Gomes, pourrait garantir les 2% manquants. Ce serait la meilleure chance, car si un second tour est indispensable, octobre 2022 sera certainement le mois le plus long de notre vie. Bolsonaro n’hésitera pas à «jouer la terreur», dès la nuit du 2 octobre. «Jouer la terreur» est une façon de décrire ce qui sera une campagne électorale effrayante, implacable et impitoyable. Ces derniers mois, nous avons déjà eu un bon aperçu de la façon dont les haines sociales allumées par les fascistes répandent des peurs politiques. Mais ça pourrait être bien pire.

2. La campagne systématique de mise en question des urnes électroniques et de dénonciation, à l’avance, des dites fraudes doit être prise au sérieux. Bolsonaro a déjà fait savoir qu’il ne reconnaîtra pas la légitimité du résultat s’il ne gagne pas. Il tentera d’enflammer la fureur de sa base sociale en dénonçant le fait que ses suffrages ont été dérobés. Il serait imprudent d’ignorer que cette campagne a une immense résonance sociale parmi les dizaines de millions de personnes qui s’identifient au bolsonarisme. Ils ont fait preuve d’une force de frappe sociale.

Il serait malavisé de sous-estimer l’autorité charismatique de Bolsonaro et l’impact du discours césariste sur les masses réactionnaires qui le suivent.

Le 7 septembre [journée nationale de mobilisation avec deux mobilisations: l’une à Brasilia; l’autre à Copacabana à Rio] a offert une leçon fondamentale: il existe un mouvement politique de type fascistoïde au Brésil. Toute perplexité, incertitude, hésitation ou tergiversation sur la caractérisation, l’implantation et la capillarité de cette force politique relèverait d’une erreur aux conséquences stratégiques. Un parti fasciste de type «classique» n’a pas été construit, pour des raisons multiples – une question complexe – mais cela ne diminue pas le danger que représente le bolsonarisme. Cela renvoie à: 1° des facteurs structurels, comme la fracture au sein de bourgeoisie ainsi qu’à des difficultés d’organisation de secteurs intermédiaires; 2° à des facteurs superstructurels: il y a eu beaucoup d’improvisation dans la préparation de la candidature de Jair Bolsonaro en 2018. [Sa candidature a été annoncée, comme pré-candidat, en mars 2016, par le Parti social chrétien; mais la campagne présidentielle a été lancée par le Parti social libéral le 22 juillet 2018, et le ticket présidentiel, avec le général Hamilton Mourão comme vice-président, le 5 août 2018, lors du Congrès du Partido Renovador Trabalhista Brasileiro-PRTB. Réd.]. A cela s’est ajoutée la recherche d’une majorité au Congrès qui a imposé une négociation avec la forêt de plus de douze partis du centrão [ces partis qui vivent financièrement des liaisons avec les diverses institutions du pouvoir]. Enfin, le style de leadership personnel de Bolsonaro à des effets de désorgarnisation, même pour l’extrême droite. Mais le bolsonarisme ne se dissoudra pas avec une défaite électorale. Seule ouvrira la voie une profonde défaite politique: elle doit passer par une procédure judiciaire, par la condamnation et l’emprisonnement de Bolsonaro; ce qui dépend en outre d’un changement dans les rapports de forces sociaux.

3. Le décompte parallèle des voix que les forces armées ont obtenu du TSE (Tribunal Superior Eleitoral) est une anomalie antidémocratique qui n’a pas été dénoncée. Il ne s’agissait pas d’une «manœuvre intelligente» pour ouvrir une brèche entre le bolsonarisme et l’armée.

Dans le cadre d’un chantage public explicite [contre le système de vote électronique et ses résultats], il s’agissait d’une concession déraisonnable, déguisée en consentement, afin qu’un contrôle externe inapproprié, indu et arbitraire puisse remettre en question le résultat des élections.

Imaginer que les forces armées ont exigé cette prérogative afin de renforcer la légitimité du TSE en cas de victoire de Lula est un pari insensé qui ignore le rôle de l’armée au cours des quatre dernières années [voir à ce propos l’article publié sur ce site en date du 5 septembre]. La justice électorale est la seule institution à laquelle il est prévu d’attribuer le comptage, le décompte et la promulgation des résultats de la votation. Le droit de surveiller les élections n’autorise pas le dépouillement indépendant et, encore moins, l’annonce ou la proclamation d’un quelconque résultat. L’autorisation donnée aux forces armées de disposer de leur propre centre de comptage était insensée. A la différence des élections nord-américaines, au Brésil, le haut commandement de l’armée est le complice de Bolsonaro.

4. Si Bolsonaro ne reconnaît pas le résultat électoral, comme cela est prévisible, il faudra se battre pour ouvrir, immédiatement, un processus de destitution éclair de la présidence. Bolsonaro, à l’intérieur du Palais du Planalto, sera un hors-la-loi. Cette initiative doit venir à la fois du Législatif et du Judiciaire. Le Tribunal Supérieur Electoral (TSE) doit prendre l’initiative de défendre la limpidité du processus électoral qu’il a lui-même organisé. Le Congrès national ne peut pas continuer à être pris en otage par un président qui subvertit le régime démocratique en ne reconnaissant pas sa défaite électorale.

5. Dans ces circonstances, la mobilisation de masse sera indispensable. En fin de compte, ce sera le facteur décisif. Dans la nuit du dimanche 2 octobre, il sera essentiel de descendre dans la rue pour célébrer la défaite du fasciste et défendre la victoire de Lula. Le rôle de la gauche dans ce scénario redoutable mais prévisible sera vital. Pourvu qu’une victoire soit possible au premier tour, et que s’opère une transition sans de terribles turbulences. Mais ce n’est pas le cas. Nous avons besoin d’un plan A, d’un plan B et même, pour être sûr, d’un plan C. Préparons-nous au pire des scénarios. Nous ne pouvons pas laisser échapper la victoire dans les urnes. De nombreuses personnes ont trop souffert pour que cela soit possible. (Article publié sur le site de Esquerda online le 22septembre 2022; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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[1] Selon la Folha de São Paulo du 23 septembre 2022, «Une partie des électeurs et électrices brésiliens (11%) disent qu’ils pourraient changer de candidat lors du premier tour [2 octobre] de l’élection présidentielle et soutenir celui qui arrive en tête dans les sondages.

C’est ce que montre le nouveau sondage de Datafolha sur les élections d’octobre, réalisé du mardi (20) au jeudi (22 septembre). Le sondage a montré que le candidat Luiz Inácio Lula da Silva est en tête avec 47% du total des voix, soit 50% des votes valides – le seuil pour une victoire au premier tour, qui exige 50% plus une voix en faveur du gagnant.

Ainsi, en fonction de facteurs tels que l’abstention, si tous ceux qui admettent de modifier leur vote pour soutenir le leader des sondages le font, les chances de victoire de Lula, le 2 octobre, augmentent.

La stratégie d’encouragement au vote utile, faite par la campagne du PT, se poursuit depuis quelques semaines et va maintenant s’intensifier, dans le but de battre le principal adversaire de l’ancien président, l’actuel titulaire du Planalto, Jair Bolsonaro (Parti Libéral), sans qu’il soit nécessaire de passer par le second tour du 30 octobre.

Lula a cherché à se profiler comme le dirigeant d’un front contre Bolsonaro, qui a un taux de rejet élevé de 52% selon Datafolha. A cette fin, il a réuni huit anciens candidats à la présidence sur une photo cette semaine.

La cible de l’assaut «lulista» est les électeurs et électrices de Ciro Gomes (PDT) et Simone Tebet (MDB), qui sont quasi à égalité, en troisième position, avec, respectivement, 7% et 5% des votes valides. La marge d’erreur de l’enquête est de deux points supérieure ou inférieure.

L’enquête Datafolha, commandée par Folha et TV Globo, a interrogé 6754 électeurs dans 343 villes.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Le quotidien Folhla de São Paulo, du 24 septembre 2022, décrit ainsi, dans un article de Victoria Azevedo, la dernière analyse de l’institut de sondage Datafolha: «L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva (PT) a prêché contre l’abstention aux élections et a déclaré que le niveau de la campagne du président Jair Bolsonaro (Parti Libéral), son principal adversaire dans la compétition électorale, baissera dans les prochains jours. Lula a déclaré que Bolsonaro “est très nerveux” face aux résultats des sondages et qu’il faut donc être vigilant face “aux mensonges que vous allez recevoir”. “Préparez-vous pour les mensonges, il est très nerveux. Chaque jour qu’un sondage sort et que je gagne un point et qu’il perd un point, il devient fou. Il a une crise de migraine tous les jours. Il a un mal de tête qui semble s’appeler Lula”, a déclaré l’homme politique. Un sondage Datafolha publié jeudi soir (le 22 septembre) montre que l’ancien président a porté son avance à 14 points, augmentant ainsi les chances que le conflit se termine au premier tour. Lula recueille 47% des intentions de vote, contre 33% pour Bolsonaro.

Au début de son discours, l’ancien président a déclaré qu’il était nécessaire de se rendre aux urnes le 2 octobre et que tout ce que Bolsonaro souhaite, c’est “que les gens ne se présentent pas pour voter”. A la veille du premier tour, la campagne de l’ex-président entend intensifier l’offensive contre l’abstention et pour le vote utile, en mettant l’accent sur les activités de rue, les rassemblements près des églises et les actes avec les évangéliques. “J’ai entendu dans les sondages que les habitants de Grajaú étaient un peu remontés contre le PT et que beaucoup de gens lors des dernières élections ne sont pas allés voter, il y avait une très grande abstention”, a-t-il déclaré. “Quel est le problème de ne pas voter? Si on ne vote pas, on perd l’autorité morale de faire payer. On ne peut pas avoir 20% d’abstention et 10% de votes nuls. Dans les prochains jours, nous devrons convaincre chaque personne d’aller voter.”»

[Il faut souligner la présence des personnalités politiques présentes lors de ce meeting qui s’est tenu dans la zone sud de São Paulo, à Grajaú. C’est ce que fait Victoria Azevedo, l’auteure de l’article]: «Lula était accompagné de son vice-président, Geraldo Alckmin [récent membre du Parti socialiste brésilien-PSB, ancien dirigeant à São Paulo du PSDB], du candidat du PT au gouvernement de São Paulo, Fernando Haddad, de la présidente du PT, Gleisi Hoffmann, de l’ancien ministre Aloizio Mercadante (PT), de l’ancienne sénatrice [ex-ministre de l’Environement] Marina Silva (de Rede), de l’ancien gouverneur de l’Etat de São Paulo, après Márcio França (PSB), du sénateur Randolfe Rodrigues (Rede), du leader du Mouvement des Travailleurs Sans Toit Guilherme Boulos (PSOL) et du président national du PSOL, Juliano Medeiros. Les autres participant·e·s au rassemblement ont également souligné l’importance du vote et l’effort que les militant·e·s doivent accomplir durant la dernière semaine avant le 2 octobre pour assurer un résultat gagnant, déjà au premier tour.» (Réd. A l’Encontre)

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