Par Charles-André Udry
Les élections municipales d’octobre 2004 au Brésil se rapprochent. Les électeurs et électrices brésiliens auront droit à des déclarations de bonnes intentions de la part du gouvernement, mais surtout de Lula et de la direction du PT-gouvernemental.
Conjointement, le Parti des Travailleurs (PT) ouvre ses portes à un flot de nouveaux inscrits… par Internet! Nombreux parmi ces derniers considèrent le PT comme une simple échelle dans le but d’une ascension sociale; une sorte d’assurance-vie-sociale. D’autant plus que le PT apparaît comme le parti occupant la scène politique, avec grande influence.
En outre, les municipalités offrent de nombreux postes plus ou moins lucratifs, dans le pays le plus inégalitaire du monde et où règne un énorme problème d’emploi.
Cet effet d’ascenseur social – rappelez-vous “l’effet PSOE” de Felipe Gonzalez dans l’Etat espagnol de la fin des années 1980 et de la décennie 1990, avec son clientélisme de plus en plus nauséabond – ajouté à la machine de marketing électoral américanisée peut assurer une large victoire au PT. Cela, d’autant plus que Lula, même s’il descend assez nettement dans les sondages, jouit encore d’une grande popularité.
Mais les faits sociaux et économiques, la politique durable du gouvernement seront plus forts, sur le moyen terme, que ces effets d’annonce. Certes, à condition qu’existe, dès maintenant, une force politique à gauche du PT, un nouveau parti socialiste et démocratique, fruit d’un regroupement politique qui s’appuie, au cours d’un processus, sur un programme entrant lentement en écho avec les besoins d’une majorité et étayé par une action socialement déterminée. Ce parti pourrait éclairer, en partant des intérêts des masses laborieuses, le sens réel des décisions du gouvernement Lula. Et ce, encore plus, s’il entre en écho avec toutes les luttes, les appuye, les aide à s’affirmer et à traduire leurs revendications sectorielles pour qu’elles soient entendues par l’ensemble de la population exploitée et opprimée.
Or, la politique concrète du gouvernement Lula est tous les jours plus clairement social-libérale, pour utiliser un euphémisme. La presse internationale a consacré peu de place à la privatisation d’une banque importante, alors que la presse brésilienne a abondamment informé à ce sujet. Toutefois, le 11 février 2004, Chantal Rayes, dans Libération, le quotidien français, mettait les points sur les i: “Le rejet des privatisations, l’une des seules bannières de la gauche à avoir survécu à la métamorphose de Lula, a volé en éclats avec le rachat, hier, pour 78 millions de réales, de la Banque de l’Etat du Maranhão (BEM) par Bradesco, la plus grande banque privée du Brésil.
Cette privatisation, la première depuis l’arrivée au pouvoir, il y a un an, du président du Brésil, devrait être suivie par celle des trois autres établissements publics. Destinées à réduire la dette publique, ces privatisations sont l’une des mesures “d’ajustement fiscal” (au même titre que l’excédent budgétaire draconien de 4,25 % du PIB) par lesquelles le gouvernement Lula s’est engagé envers le Fonds monétaire international (FMI). Et ce dans le cadre d’un accord qui permet au Brésil de tirer sur une ligne de crédit 14,8 milliards de dollars en cas de crise.”
Lula s’est défendu en affirmant que son gouvernement ne privatiserait pas des secteurs stratégiques comme l’électricité ou le pétrole et que cette décision ayant trait à la BEM avait été envisagée par Cardoso, son prédécesseur!
Toutefois, la privatisation de la BEM, comme l’écrit Chantal Rayes, a “provoqué son lot de mécontentements. D’abord, celui des employés de la BEM, qui ont fait grève hier. Puis du gouverneur de l’Etat du Piauí (membre du Parti des travailleurs, PT), dont l’établissement bancaire doit également être privatisé [le Piaui est un Etat du Nord-Est, dont la capitale est Teresina, une ville de quelque 700’000 habitants]. Enfin, celui de l’aile gauche du PT, qui accuse le président d'”approfondir le modèle néolibéral”.
Pour se défendre, Lula et son bras droit ont affirmé qu’ils ne prendraient plus de mesures suscitant des polémiques dans le PT et dans la population… avant les élections municipales. Beau programme de changement de société! Il consiste à simplement mettre en veilleuse des “réformes” telles que l’introduction dans la Constitution de l’indépendance de la Banque centrale (pour l’heure, son indépendance relève d’une décision légale) ou de la réduction des droits des travailleurs (réforme du Code du travail).
En outre, un tel PT gouvernemental ne peut qu’être sous le coup d’esclandres politiques et financiers. C’est d’ailleurs déjà le cas. Vendredi 13 février 2004, un scandale a éclaté. Le bras droit – Waldomiro Diniz – du bras droit de Lula – José Dirceu, ancien patron du PT et actuellement ministre en tant que Chef de la Maison civile, c’est-à-dire le numéro deux du pouvoir – a été limogé.
Waldomiro Diniz était le sous-chef – les titres de chef et de sous-chef sont appréciés! – des Affaires parlementaires à la présidence de la République. La presse du Brésil, unanimement, affirme qu’aucune décision de Diniz n’était prise sans l’aval de Dirceu.
Or, Diniz a eu les honneurs d’un hebdomadaire Epoca, le 13 février 2004. Cet hebdomadaire publiait le contenu d’une bande vidéo dans laquelle Waldomiro Diniz négociait, en novembre 2002, avec un maffieux: un des chefs, Carlinhos Cachoeira, du jeu clandestin (“jogo do bicho”), illégal, mais très répandu au Brésil. Ce “jeu” (une sorte de loterie) jouit de l’appui des diverses mafias politiques et policières, car il permet d’accumuler des millions de dollars. Il est particulièrement répandu à Rio de Janeiro. Il est aussi lié aux organisateurs du Carnaval, qui s’intègrent dans le système mafieux: Lula est d’ailleurs pour légaliser ce jeu, ce que rappelle, à juste titre, le New York Times du 16 février 2004.
W. Diniz négociait des sommes très importantes pour… financer la campagne électorale présidentielle et parlementaire du PT. Ses liens avec Dirceu sont très étroits, toute la presse brésilienne en fournit des éléments allant dans le sens de preuves. Cela donne une dimension particulièrement grave à cette affaire de liaisons politiques avec le milieu maffieux. Ce genre de relations implique, intrinsèquement, qu’une sorte de dette est contractée, avec le renvoi d’ascenseur qui doit l’accompagner. Est-ce une façon de faire de la “politique autrement” pour un “changement profond” du Brésil?
A ce scandale politique s’en ajoute un autre. Le 20 janvier 2002, le maire PT de la ville de Santo André (Etat de São Paulo), Celso Daniel, avait été assassiné. La police était rapidement arrivée à la conclusion qu’il s’agissait d’un crime crapuleux. Mais sur demande de la famille de Celso Daniel, qui n’a cessé d’être sceptique face aux résultats de ladite enquête, le parquet a relancé l’enquête. Et tout indique, selon le frère de Celso Daniel – Joao Francisco Daniel -, que ce crime serait lié à un système de financement du PT par le biais de racket d’entreprises de transport.
Dans ce cadre décadent, ceux qui pensent qu’une percée de la “gauche du PT” lors des municipales d’octobre 2004 aboutira à un renforcement des positions opposées au cours néo-libéral du gouvernement Lula font preuve soit d’une douce naïveté, soit obéissent, simplement, à la “raison du gouvernement”. Comme la bourgeoisie obéit à la “raison d’Etat” pour expliquer ses pires méfaits. Ils veulent aussi ignorer les transformations du PT en un parti de gouvernement intégré à l’Etat bourgeois, envahi par des arrivistes et échappant au contrôle de la base ancienne du parti.
Dps lors se pose une question: faut-il qu’un ministre appartenant à la gauche officielle (Démocratie socialiste) du PT – comme nous l’avons écrit dès novembre 2002, avant que Lula prenne la charge officielle de président – reste dans ce gouvernement?
Concrètement, faut-il que Miguel Rossetto, ministre du Développement agraire (réforme agraire) et membre de la DS, continue à s’asseoir sur un strapontin gouvernemental, tout en ayant un ministère suscitant d’énormes espoirs chez les millions de paysans pauvres du Brésil… qui ne voient presque rien venir (voir les déclarations, certes tactiques, de Dulci, dans l’article ci-dessous).
Une réforme agraire dans un pays comme le Brésil, avec ses grands latifundistes, ne peu être gérée comme le “jogo do bicho”. Pour faire des pas en avant, il faut attaquer de front – avec les tactiques adéquates, certes – la grande propriété foncière, les pistoleros au service des latifundistes ainsi que le système judiciaire qui bloque un grand nombre de simples rachats de terre par le gouvernement.
Si départ de Miguel Rossetto du gouvernement il n’y a pas, il y aura sous peu la mise en place, pour lui, d’un système de défense puisant au même esprit que celui construit pour protéger José Dirceu: renforcer son pouvoir sur tous les ministères – devenir le ministre des ministres, selon une formule de la Folha de Sao Paulo (27 janvier 2004) – et éviter la mise en place d’une enquête d’une commission parlementaire ample (CPI), ce qu’explique le Jornal do Brasil (17 février 2004).
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question et sur les initiatives prises par le Mouvement pour un nouveau parti socialiste et démocratique. L’article que nous publions ci-dessous démontre le malaise politique du PT- gouvernemental.
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“Le gouvernement doit créer des emplois et apporter
des changements dans le domaine du social“
Par Fernanda Krakovics et Eduardo Scolese
Lors d’un séminaire pour les députés fédéraux du PT, le secrétaire général de la Présidence, Luiz Dulci, a critiqué la politique de la réforme agraire menée en 2003 et a affirmé que le gouvernement doit promouvoir des changements dans le social et créer des emplois. “Nous serons jugés aux changements que nous aurons entrepris. Or, l’année passée, nous n’en avons pas entrepris, nous en sommes restés au niveau des efforts pour atteindre la stabilité. Nous devons entreprendre des changements, tout particulièrement dans le domaine du social et dans la création d’emplois”, a-t-il affirmé, selon les participants à ce séminaire, réalisé à huis clos dans un hôtel de Brasilia.
Dulci a considéré mauvais le chiffre de 30 mille familles implantées à la campagne en 2003. Ce chiffre a été fourni par le ministre Miguel Rossetto (ministre du Développement agraire). En réalité, ce ne sont pas moins de 37 mille familles qui se sont installées en milieu rural d’après l’Incra (Institut de la colonisation et de la réforme agraire). “C’est très peu”, aurait dit Dulci, soulignant que cette année l’objectif sera atteint (115 mille familles d’ici à décembre dont 47 mille jusqu’en juin).
En mai 2003, le président Lula a promis d’aider 60 mille familles à s’installer jusqu’à la fin de l’année. Un mois plus tôt, sur la base du budget de l’Etat, l’Incra avait annoncé l’objectif de 37 mille familles. Dans les faits, en 2003, le gouvernement fédéral a réussi uniquement à atteindre l’objectif de l’Incra.
Le gouvernement non seulement n’a pas atteint l’objectif promis par le président, mais a dû également constater que le nombre de familles en attente d’installation définitive est passé de 60 mille à 200 mille en un peu plus d’une année. De plus, le Ministère du développement agraire a dû gérer deux autres faits négatifs: en 2003, le nombre d’assassinats découlant de conflits liés à la terre (42) a été le plus élevé depuis 1998 et celui des occupations (222) dépasse le double de celui atteint en 2002.
Le climat de tension dans le milieu rural est devenu un peu plus calme à la fin de l’année passée, au moment où le gouvernement a annoncé les objectifs du nouveau Plan national de la réforme agraire: 400 mille familles installées jusqu’en 2006. Après cette annonce, le gouvernement a reçu du MST (Mouvement des travailleurs sans terre) une promesse de prudence dans les actions qui seront menées pendant le premier semestre de cette année. En contrepartie, le gouvernement donnera la priorité à la réforme agraire sans couper dans les budgets de ce ministère. La semaine dernière [du 2 au 8 février], le gouvernement a exproprié assez de terres pour installer 3128 familles.
Hier, le secrétaire a montré une certaine préoccupation par rapport aux résultats électoraux à court terme. “Notre gouvernement est en place pour quatre. Il y aura peut-être un deuxième gouvernement Lula, mais nous aurons besoin de résultats d’ici à la quatrième année”, a-t-il dit, selon les députés présents. Interrogé à la sortie du séminaire, Dulci a confirmé en partie cette affirmation. “La société évaluera le gouvernement après un mandat de quatre ans. Faire déjà un planning pour le prochain gouvernement n’aurait pas de sens car nous ne savons pas qui sera à sa tête”, a-t-il affirmé.
Pour le secrétaire de la Présidence, les domaines prioritaires pour l’obtention de résultats sont ceux de la santé, des programmes de transfert de la richesse et de l’assistance sociale.
A ce séminaire, 42 des 91 députés du PT étaient présents. Dulci a affirmé que le président s’occupe ” 24 heures sur 24 ” à la création d’emplois et de la croissance économique.
* Journalistes détachés à Brasilia, capitale politique du Brésil; article publié dans Folha de São Paulo (10.02.04)
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