Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes
Je me suis tu, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes
Je me suis tu, je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs
Je me suis tu, je n’étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.
Ce texte a été popularisé par le pasteur Martin Niemöller. Il fut interné par les nazis en 1937 au camp de Sachsenhausen, puis en 1941 au camp de Dachau. Il fut libéré en 1945, lors de la fin du régime nazi. Ce poème renvoie à une période sombre et tragique de l’Histoire, différente du temps présent.
Néanmoins, il possède une actualité: qui se tait, qui ferme les yeux, qui se bouche les oreilles face aux atteintes brutales aux droits des êtres humains – et en particulier desdits «étrangers»: les migrant·e·s, avec papiers ou sans, et leurs enfants, né·e·s en Suisse – renonce plus généralement à une défense des droits démocratiques et sociaux.
Dès lors, à l’occasion de la votation du 28 novembre 2010, il faut affirmer un double NON: à l’initiative de l’UDC baptisée «Pour le renvoi des étrangers criminels» et au fourbe contre-projet des Chambres fédérales dont le seul intitulé est un aveu d’hypocrisie: «Expulsion et renvoi des criminels étrangers dans le respect de la Constitution».
Condamné à vie
La bataille de chiffres entre le Département fédéral de justice et police (DFJP) d’Eveline Widmer-Schlumpf, l’UDC et la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM) trahit une idéologie: derrière les chiffres disparaissent les êtres humains. Au même titre qu’un «taux de chômage» peut camoufler l’existence et la vie effectives d’un chômeur.
La progression des chiffres des «délinquants effectivement expulsés» est manifeste: de 615 en 2008 à 750 en 2009 ; 22% de plus sur un an1. Ces données illustrent: 1° l’impact immédiat de l’initiative de l’UDC lancée en été 2007, déposée en février 2008 ; 2° l’assimilation accélérée par les institutions gouvernementales (fédérales et cantonales) des pratiques que préconise ce parti gouvernemental et collégial – à l’échelle cantonale et fédérale – qu’est l’UDC. La pratique actuelle est inacceptable. Celle qui la précédait l’était aussi. Et cela au moins pour deux raisons.
1.- Elle repose sur une idée: «qui a fauté, fautera», «qui a volé un œuf, volera un bœuf». Autrement dit, un acte particulier – un crime – transforme, pour toujours, une personne. Cette dernière est condamnée à vie à être un «criminel». Cette façon de naturaliser les faits renvoie à une idée qui était largement acceptée il y a moins de 30 ans: «les filles n’ont pas la bosse des maths et donc ne sont pas faites pour être des scientifiques» ! Ce type d’idées et de pratiques appliquées aux «délinquants étrangers» peut facilement trouver des prolongements en direction d’autres segments de la population qualifiés «d’irrécupérables».
Encore en 1970, dans chaque canton, des dispositions administratives permettaient aux autorités d’interner dans un pénitencier, pour plusieurs années, ceux qu’elles considéraient comme des «asociaux»: «alcooliques invétérés», «personnes sans moyens d’existence reconnus», «bagarreurs», «fortes têtes», «vagabonds», etc. L’internement administratif est l’une des raisons qui ont empêché, alors, la Suisse de signer la Convention européenne des Droits de l’homme.
Or, aujourd’hui, l’emprisonnement à perpétuité, par décisions administratives, est à nouveau considéré (depuis 2004) non seulement comme justifié, mais comme utilisé de manière beaucoup trop restrictive.
2.- Aujourd’hui déjà existe la «double peine». Comment définir cette notion ? Une personne est condamnée à une peine pour un crime ou un délit. Cette peine est «unique»: c’est l’unicité de la peine. Elle ne peut être «doublée» par une décision administrative, par exemple en expulsant un étranger parce qu’il a commis un délit. Pourtant, cette pratique est déjà en vigueur en Suisse. Elle contredit un principe juridique existant dans une «démocratie libérale». Expulser un délinquant étranger à sa sortie de prison, c’est refuser de le considérer comme quitte de sa «dette à la société». Cela revient à l’enfermer à jamais dans un statut de délinquant.
La double peine appliquée à des «criminels étrangers» revient à nier le principe proclamé d’égalité de tous et toutes devant la loi (même si l’on sait que cette égalité est un peu plus que biaisée entre un voleur d’orange ou certains directeurs de l’UBS !).
En outre, l’initiative trace un signe égal entre «étrangers» et «insécurité», entre «immigration» et «délinquance». Elle marque un renforcement d’une xénophobie et/ou d’un racisme institutionnel, en quelque sorte d’Etat.
Assimiler ou rejeter
Dans une période de crise économique et d’attaque aux droits sociaux – donc d’insécurité sociale – les dominants et leurs partis cherchent à masquer les véritables causes du «mauvais fonctionnement de la société». Autrement dit, du système capitaliste lui-même, avec ses traits d’exploitation, d’oppression, d’injustices et d’inégalités faisant un tout.
Un des instruments à leur disposition pour mener à bien cette opération de camouflage réside dans la politique du «bouc émissaire». En clair, il s’agit de désigner un groupe minoritaire – ici les «étrangers» délinquants – qui serait à l’origine de tous les «malaises ressentis» par la population. Conclusion: il faut l’exclure, le réprimer, afin de «rétablir l’ordre». Cet ordre qui profite aux possédants réels et dirigeants du pays et de son économie.
La même tactique est utilisée pour attaquer l’assurance-chômage en désignant les profiteurs ou l’AI (Assurance invalidité). Par exemple, en utilisant des détectives privés. Dans quel but ? «Prouver» que nombreux sont les rentiers AI qui simulent leur maladie. Cela au moment où toutes les études démontrent que la façon de travailler – qu’imposent aujourd’hui les critères de rentabilité (profits) – est à l’origine de l’essentiel des cas d’invalidité. Mais, en dénonçant deux ou trois «profiteurs», on détourne l’attention des vraies causes du chômage et de l’invalidité.
L’initiative de l’UDC et le contre-projet des Chambres représentent une vaste tromperie déployée en trois volets. 1° La politique du «bouc émissaire» sert à diviser les salarié·e·s et à susciter une crainte «étrange» face au criminel fantasmé. Alors que la crainte quotidienne se ressent sur le lieu de travail: peur d’être licencié, peur du supérieur, peur de demander une augmentation de salaire, etc. 2° Etablir une division entre les «étrangers acceptables» et les «étrangers inacceptables». Cela facilite toutes les formes de précarisation des statuts et l’exploitation des sans-papiers, «jetables», une fois que «l’officine temporaire» ne peut les placer. Cela introduit de même des conflits entre des migrant·e·s d’origines diverses. 3° Faire de l’assimilation une norme. Autrement dit: contraindre tous les migrant·e·s à se plier aux normes dictées par les dominants et présentées comme des «acquis culturels» de la Suisse. Par exemple: combien de migrant·e·s pensent que le «droit de grève» est interdit en Suisse ?
La politique d’assimilation revient à multiplier les «tests» de tous types pour être accepté, pour obtenir un permis de travail et de séjour plus stable, pour subir moins de tracas face à la police des étrangers. En un mot: travailler, se taire et obéir ; quitte à mettre une «bonne suggestion» dans la «boîte à idées», près de la porte de sortie. Sur le fond, avec des formules un peu différentes, c’est ce que les employeurs imposent aussi aux salarié·e·s disposant d’un passeport suisse.
Le contre-projet des Chambres qualifie cette politique d’assimilation de «politique d’intégration». Un mensonge grossier.
Des jumeaux hétérozygotes
Le contre-projet a pour titre: «Expulsion et renvoi des criminels étrangers dans le respect de la Constitution». Si la formule était correcte, la Constitution ne mériterait aucun respect de la part d’un citoyen ou d’une citoyenne simplement attaché aux droits démocratiques élémentaires.
Un seul exemple suffit pour le démontrer. Selon le contre-projet, la décision de renvoi doit respecter le «principe de proportionnalité». C’est-à-dire que l’action de l’Etat doit se limiter au strict nécessaire, dans sa vision libérale. Or, le contre-projet prévoit que même des personnes condamnées avec sursis devraient être expulsées !
Pourtant, le sursis, par définition, implique que ces personnes ne sont pas considérées comme «un danger pour la société». Quand un pouvoir s’arroge le «droit» de tordre ses propres principes, il est prêt à rompre avec sa propre légalité formelle et avec les normes générales des Conventions internationales définissant les «droits de l’être humain».
Les réserves émises dans le contre-projet («proportionnalité» «constitutionnalité») ne sont qu’un écran de fumée. L’initiative de l’UDC et le contre-projet sont des jumeaux hétérozygotes.
Une autre voie à bâtir
• Face à cette situation, le double NON est une précondition pour commencer une résistance collective, sur le long terme, à l’ensemble de cette politique institutionnelle de xénophobie et/ou racisme. Une politique qui sera placée, de suite, sous la responsabilité de la «socialiste» Simonetta Sommaruga !
• Face à l’assimilationnisme, il faut opposer l’interculturalisme. C’est-à-dire l’enrichissement mutuel des traditions et acquis des diverses composantes de la population. Une expérience positive a été faite, dans les années 1970, au sein d’un syndicat tel que la FOBB (Bois et Bâtiment), au sein duquel ont fusionné des expériences propres aux salarié·e·s d’origine suisse, italienne, espagnole, etc. C’est un pont à reconstruire, pour bâtir une solidarité de classe, au-delà des différentes nationalités.
• Pour cela, il faut créer les conditions matérielles – et non contraintes – d’apprentissage de la langue, d’échanges linguistiques et culturels, y compris dans les écoles (pour adultes), cogérées par des personnes d’origines diverses.
• Le droit du sol – c’est-à-dire l’acquisition automatique de la nationalité suisse (sans perdre celle d’origine) pour toutes les personnes qui naissent en Suisse – doit être un objectif à concrétiser. Il faut battre en brèche le réactionnaire «droit du sang», défendu, entre autres, par des dirigeants de transnationales helvétiques qui investissent leurs capitaux à l’échelle mondiale, se disent «citoyens du monde» (sic !) et participent au «recyclage de l’argent sale» issu du monde entier.
• Toutes les initiatives visant à combattre la xénophobie, le renvoi des «sans-papiers», la précarisation accrue des migrants – entre autres des femmes – participent d’une option de résistance positive qui doit se traduire, aujourd’hui, par un double NON.
1. Selon le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) et le Centre de droit des migrations de l’Université de Neuchâtel.
Soyez le premier à commenter