L’été a été torride; un long et rude automne nous attend, que nous espérons encore plus (ou du moins tout autant) chaud sur le plan syndical et aussi social. Cela va se jouer sur de nombreux terrains, ceux: du droit de grève; de la Loi Madia [réforme des conditions de travail dans les administrations publiques, adoptée en août 2015 et entrant progressivement en vigueur depuis cette date] ; du renouvellement du contrat collectif des secteurs publics, des nombreuses entreprises en crise ; de l’insuffisance desdits filets sociaux; du cumul des effets de la Loi sur l’école et de l’alternance entre formation et travail. Ajoutez à cela une nouvelle loi de stabilisation [du personnel précaire], distribuant mal peu de ressources, octroyant des exemptions fiscales aux entreprises qui engagent des jeunes, tout en élevant l’âge de la retraite.
• Après avoir dilapidé des milliards d’euros pour le sauvetage des banques, il n’y a plus de ressources pour bloquer l’effet pervers hérité de la Loi Fornero [réforme globale du système des retraites, entrée en vigueur en janvier 2012], qui repoussera encore l’âge de la retraite de 4 mois. Cette loi a imposé l’adaptation automatique de l’âge de la retraite à «l’espérance de vie» qui, après le fléchissement inattendu de 2015, a recommencé à croître. Ainsi l’âge de la retraite des salarié·e·s devrait être fixé à 66 ans et 11 mois voire 67 ans; tandis que les retraites liées à l’ancienneté arriveraient après 43 ans et 2-3 mois (pour 42 ans et 10 mois actuellement) pour les hommes, un an de moins pour les femmes.
• Quelle sera la décision prise à ce sujet par le pouvoir (patronal et politique)? Nous le saurons à la fin de l’année, lorsque l’Istat (l’Institut de statistique) livrera ses données définitives. Mais une chose est d’ores et déjà claire: au cours des deux dernières décennies, les réformes des retraites ont saccagé tout le système de sécurité sociale italien, que ce soit en matière d’âge de la retraite ou du mode de calcul, devenu désormais presque entièrement contributif1.
Dans les années 1980, on touche la retraite, selon le système rétributif [2], après 35 ans de cotisations ou à l’âge de 60 ans (55 pour les femmes). Dans les années 1990, après la réforme Dini [3], on la touche après 40 ans de cotisations ou à l’âge de 65 ans (60 pour les femmes), avec la coexistence de deux systèmes: rétributif pour ceux qui ont plus de 18 ans de cotisations, partiellement ou totalement contributif pour les autres et selon l’ancienneté de cotisations. Avec la dernière réforme Fornero [2012], pratiquement tout le monde passe au système contributif. Dès 2018 l’âge de la retraite sera probablement atteint après 43 ans de travail ou presque 67 ans d’âge. Même la condamnation à perpétuité ne dure pas si longtemps!
Un système si injuste ne saurait rester en vigueur. Ce qui devrait exclure un nouveau durcissement, de surcroît par automatisme [comme c’est le cas avec les quatre mois supplémentaires de vie au travail mentionnés plus haut], sans qu’aucune loi ou arrêté ne soit promulgué. Le gouvernement a toutefois pris les devants, excluant la suspension de cet automatisme, sachant qu’elle coûterait un peu plus de 1 milliard d’euros. Une paille comparé aux milliards pour le sauvetage des banques [4].
• Mais il ne s’agit évidemment pas de revendiquer la simple suspension de cette adaptation automatique, pour 2018 ou 2019, dans la mesure où cela ne changerait rien fondamentalement. Il ne s’agit pas non plus d’essayer d’obtenir les habituels palliatifs pour pénibilité, ni d’autres mécanismes spécifiques qui finissent toujours par être discriminants à long terme pour les femmes ni, pire encore, des aménagements promis pour les rentes des chômeurs [de ceux qui sont au chômage cinq ans avant l’âge de la retraite], ni des aides en faveur des entreprises qui engagent des travailleurs et travailleuses «âgées». L’incitation la plus efficace en faveur de l’emploi des jeunes ne consiste pas dans des économies pour les entreprises, ce qui diminue d’autant les contributions perçues, mais dans le fait de laisser les plus âgés prendre leur retraite. Redistribuer le travail afin de combattre le chômage et améliorer la qualité de vie des travailleurs. C’est simple. Plus simple même que de trouver 5 milliards d’euros en une nuit pour sauver deux banques [5]!
L’âge de la retraite ne doit donc pas être relevé. Seulement diminué. Un point, c’est tout. Toute négociation avec le gouvernement à ce sujet est simplement inacceptable, à moins qu’elle n’intègre cet objectif et qu’elle se fasse porter par une large mobilisation sociale à l’échelle nationale. A plus forte raison après que, à la veille de l’été, de lourdes menaces ont été proférées contre le droit de grève.
• La CGIL [la principale faîtière syndicale, Confédération générale italienne du travail] a déjà pris «un grand retard». Il est plus que probable qu’elle assistera passivement au spectacle. Il n’y a pas un travailleur, pas une travailleuse qui ne lui reproche son inertie. Par ailleurs, la grève, appelée par un certain nombre d’organisations de base pour le mois d’octobre, risque de rejouer le même scénario de ces dernières années, avec la démultiplication des appels, à des dates différentes, sans parvenir à unifier les luttes et les mobilisations.
Le seul espoir est que la poussée unitaire arrive envers et contre tout de la part de la base, avec des mobilisations, des initiatives et des grèves sur le lieu de travail, que ce soit autour de la défense des retraites, du droit de grève ou de l’offensive contre les salarié·e·s des secteurs publics. Seule une conflictualité diffusant à partir des postes de travail, des fabriques, des écoles, des universités sera à même de changer le cours des choses et d’impartir une radicalité et l’unité aux syndicats. Nous avons subi la chaleur torride de l’été. A nous de provoquer une hausse de température cet automne!
(Article paru sur les sites Sinistra anticapitalista de La Città futura les 2 et 3 septembre 2017; traduction par Dario Lopreno)
Eliana Cuomo est membre de la FIOM et une des dirigeants du courant classiste organisé dans le «Syndicat est une autre chose»
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Notes
[1] L’auteure traite ici des deux systèmes de retraite en vigueur en Italie : rétributif et contributif (Cf. quifinanza.it et ilsole24ore.com).
– Système rétributif : Le montant de la retraite est calculé en prenant le 2% de la moyenne des revenus des 10 dernières années (15 ans pour les indépendants), multiplié par le nombre d’années de travail (un revenu annuel moyen de 30’000€ sur les 10 dernières années, avec 40 ans de travail, donne donc une retraite de 24’000€ annuel, par exemple)
– Système contributif : Le montant de la retraite est calculé sur la base des contributions (cotisations) effectivement versées au cours de la vie au travail; le montant global est indexé selon l’indice des variations quinquennales du Produit intérieur brut (PNB), puis multiplié par un indice de transformation proportionnel à l’âge du salarié au moment de la retraite, indice mis à jour tous les trois ans (tous les deux ans dès 2018). [ndt]
[2] Cf. Note précédente. [ndt]
[3] Lamberto Dini était président du Conseil des ministres de janvier 1995 à mai 1996, période au cours de laquelle il a fait passer une profonde contre-réforme des retraites contre les intérêts des salariés. [ndt]
[4] Le sauvetage des banques italiennes nécessiterait un montant de quelque 52 milliards d’euros, selon Bloomberg, soit plus du double de ce qu’a annoncé le gouvernement italien (Yalman Onaran, «Italy Bank Rescue Won’t Fill $54 Billion Hole on Their Books», sur www.bloomberg.com, 21/12/2016). [ndt]
[5] Il s’agit de la somme de 5.2 milliards d’euros pour le sauvetage de deux banques de Vénétie, la Popolare di Vicenza et la Veneto Banca, sauvées – et donc pouvant être mises en vente – par un décret promulgué en urgence par le gouvernement italien, le 25 juin 2017 en fin de journée. Cf. Presidenza del Consiglio dei ministri, Comunicato stampa, Decreto legge sulle Disposizioni urgenti per la liquidazione coatta amministrativa di Banca Popolare di Vicenza S.p.A. e di Veneto Banca S.p.A., 25/06/2017. [ndt]
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