Editorial du SocialistWorker.org (ISO)
Il existe un potentiel important pour construire un mouvement pour défendre la jeunesse immigrée contre l’administration Trump – et de promouvoir la lutte pour obtenir la justice pour tous les immigré·e·s.
Si des milliers de jeunes immigré·e·s ont pu bénéficier du Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA), le programme mis en place par Obama pour protéger les immigré·e·s arrivés très jeunes aux Etats-Unis, c’est grâce à leur courageuse mobilisation dans la rue ou dans des sit-in dans les couloirs du pouvoir, au risque d’être arrêtés ou déportés. Cette semaine [le 5 septembre], le DACA a été révoqué par un président indigne, qui a été trop lâche pour annoncer lui-même cette mesure. Au lieu de cela c’est le procureur général Jeff Sessions – éminent adhérent à l’idéologie de la suprématie raciale des Blancs – qui a annoncé, jubilant, que le programme DACA prendrait fin dans six mois.
Sessions a prétendu que le programme DACA constituait une violation du «règne de la loi», ce qui est particulièrement incongru venant d’une administration qui vient de gracier le shérif d’Arizona, Joe Arpaio, notoire pour son non-respect de la loi. Le procureur général a même eu l’audace de déclarer que le DACA était responsable de la détresse des enfants immigrés qui languissent dans des centres de détention le long de la frontière.
La révocation du DACA constitue une terrible trahison de la part du gouvernement états-unien à l’égard des 800’000 jeunes qui ont posé leur candidature pour le statut légal temporaire de deux ans du programme et qui voient maintenant réduits à néant la vie et les projets qu’ils avaient construit pour eux-mêmes et pour leurs proches.
Après le 5 octobre, aucune candidature pour les renouvellements de deux ans ne sera plus acceptée, et le programme tout entier commencera à être supprimé à partir du 5 octobre de l’année prochaine. Encore plus inquiétant, le [site internet d’information appartenant au grand groupe de presse, de vidéo, d’internet etc. IAC] Daily Beast a rapporté que l’administration Trump projetait d’utiliser les informations transmises par les personnes dans le cadre de leur candidature au DACA pour les «trouver et les déporter».
L’annonce de la révocation du DACA a suscité une désapprobation généralisée, y compris de la part de beaucoup de politiciens et de dirigeants économiques. Mais elle a surtout entraîné une tempête de protestations partout dans le pays. Des milliers de personnes ont participé à des mouvements de protestation organisés à la hâte à Chicago et dans la Bay Area [San Francisco], des centaines d’étudiants sont sortis des écoles en Arizona et au Colorado, et 400 personnes ont bloqué la circulation devant la Trump Tower à New York City. Ces protestations reflètent un soutien important pour les bénéficiaires du DACA – souvent connu sous le nom de DREAMers, d’après le Dream Act, [acronyme pour Development, Relief, and Education for Alien Minors – développement, secours et éducation pour les mineurs étrangers] un projet de loi qui s’est enlisé à la fin 2010 et qui devait leur donner l’opportunité d’acquérir la citoyenneté en plus des protections dont ils bénéficient actuellement suite à un ordre exécutif signé par Barack Obama.
Un récent sondage de Politico [site d’information centré sur les événements politiques de Washington et qui sert de base à des grands médias tels que CBS News] a montré que 84% des Démocrates, 74% des indépendants et 69% des Républicains souhaitent que les DREAMers [soit les bénéficiaires du programme DACA] soient autorisés à rester dans le pays. Ce soutien généralisé, tout comme l’isolement politique de Trump, montre qu’il existe un potentiel pour l’annulation de l’abrogation du DACA. Mais celui-ci ne pourra se réaliser que si les immigrés et leurs partisans utilisent la colère suscitée par l’action de Trump pour ranimer un mouvement de lutte qui exige la justice pour tous les immigrés plutôt que de compter sur les dirigeants politiques démocrates, qui chercheront à utiliser les DREAMers comme monnaie d’échange.
Comme souvent au cours de ces huit derniers mois, il a été impossible de deviner si cette dernière atrocité commise par Trump a été minée par les modalités ineptes de sa présentation et application ou si l’administration voulait que les choses se passent ainsi.
Après des mois de spéculation autour de ce que Trump allait faire concernant un programme populaire qu’il avait promis de supprimer pendant sa campagne, Trump s’est lamentablement caché pendant que Sessions faisait l’annonce formelle, comme si les gens allaient rendre responsable de cette décision le procureur général plutôt que le président.
Surtout, Trump a cherché à rejeter la responsabilité du DACA hors de la Maison Blanche comme si c’était une grenade, en retardant de six mois son abrogation et en poussant le Congrès à passer une loi permettant aux DREAMers de conserver leur statut légal – c’est du moins ainsi qu’a été interprété son tweet incohérent le matin de l’annonce de Sessions: «Congrès, préparez-vous à faire votre boulot – DACA!»
Comme l’a exprimé Amber Phillips du Washington Post, le président Trump a remis au Congrès le destin de 800’000 jeunes adultes immigrés sans papiers. Autrement dit, il a demandé à une institution contrôlée par les Républicains et qui ne peut pas se mettre d’accord sur les mesures politiques conservatrices les plus basiques comme l’abrogation de l’Obamacare, les décisions budgétaires ou le relèvement du plafond de la dette, de passer des lois qui protégeraient affirmativement les immigrés sans papiers.
Plus tard dans la journée, Trump a doublé la mise sur ses radotages avec un tweet disant que «le Congrès dispose de six mois pour légaliser le DACA» – ce qui était évidemment déjà un programme législatif – et que si cela n’aboutissait pas, il «réexaminerait la question» – sans que l’on sache ce que cela signifie.
Le DACA a posé des problèmes à Trump depuis le début de son mandat car il a été écartelé entre, d’une part, la faction de droite dure de son administration – représentée par Sessions et Bannon, le stratège en chef qui a été déposé – qui veut que l’administration se centre sur le nationalisme xénophobe, et, d’autre part, des dirigeants républicains qui craignent que le fait de s’en prendre aux DREAMers ne constitue un suicide politique.
Les médias expliquent en général la popularité du DACA par le fait que les jeunes immigré·e·s qui ont vécu aux Etats-Unis la plus grande partie de leur vie et «n’ont pas eu le choix» d’émigrer sont vus de manière particulièrement favorable.
Et cela joue certainement un rôle. Mais l’idée que des dirigeants républicains comme Paul Ryan et John McCain puissent se soucier davantage du sort d’un collégien de 21 ans, à la peau brune et sans papiers que de celui d’un travailleur de 45 ans à la peau brune travaillant dans le vêtement et sans papiers, est un peu tirée par les cheveux.
Ce qui a été un facteur plus décisif est le fait qu’au cours de la dernière décennie, des jeunes immigrés ont bâti un puissant mouvement avec le mot d’ordre «Sans papiers et sans peur» et qui revendique la dignité et les prérogatives auxquels ils ont droit.
Au cours de récentes années, la soi-disant aile modérée du Parti républicain en est venue à tolérer avec réticence le DACA, non seulement à cause de sa popularité, mais aussi parce que cette position donne un signal en soutien au retour de la Comprehensive Immigration Reform ou réforme de l’immigration, un projet bi-partisan visant à transformer des millions de travailleurs et travailleuses sans papiers en résidents légaux, mais de deuxième classe, sur leur «chemin vers la citoyenneté», chemin vieux de plusieurs décennies et parsemé d’obstacles.
Trump a évidemment fait campagne en s’opposant férocement à toute forme de réforme de l’immigration, toutefois, en refilant le DACA au Congrès, il a ouvert la possibilité d’une reprise de discussions plus larges au Congrès et il y a le risque que les raids du ICE (Immigration and Customs Enforcement – Agence fédérale de police aux frontières) contre des DREAMers soient utilisés pour tirer encore davantage à droite les négociations.
C’est ainsi que le sénateur républicain Bob Corker a déclaré que la menace qui pèse sur les jeunes immigrés est une «opportunité pour que nous gérions une myriade d’autres problèmes», y compris celle de verser encore plus d’argent à la police d’immigration, alors que d’autres Républicains ont déclaré qu’ils pourraient soutenir le DACA en échange du financement du mur à la frontière mexicaine voulu par Trump.
Entre-temps, le xénophobe en chef républicain Tom Cotton se dit prêt à échanger la légalisation des DREAMers contre l’adoption du RAISE Act, qui vise à diminuer l’immigration légale de moitié. Tout cela va à l’encontre de l’argument selon lequel la droite ne serait pas anti-immigration, mais seulement soucieuse de l’application de la loi.
Actuellement on ne sait pas encore si de telles discussions pourraient donner lieu à des négociations sérieuses au Congrès. Ce que nous savons en revanche c’est que la voie du marchandage politique en faveur des DREAMers au détriment d’une répression encore plus dure contre leurs parents et leurs communautés constitue clairement un cul-de-sac.
Nous devons plutôt utiliser ce moment pour renouveler le mouvement de lutte qui avait stoppé la criminalisation des sans-papiers avec ses incroyables «méga-manifestations» et qui, grâce au fait qu’il a mis constamment la pression sur les politiciens des deux partis – y compris sur Barack Obama alors qu’il faisait campagne pour sa réélection – a obtenu le DACA en 2012.
Nous avons déjà vu que les protestations cette année ont empêché Trump d’appliquer sa première interdiction de voyager pour les musulmans et les Républicains de passer leur désastreux projet de loi sur la santé [suppression de l’Obamacare]. Il faudra un mouvement au moins aussi puissant pour obtenir le renversement de la révocation du DACA, mais cela est possible, pour autant que nous rejetions les projets des Démocrates, qui veulent observer tranquillement le peloton d’exécution circulaire républicain dans l’espoir de gagner un avantage pour les élections de 2018.
La révocation du DACA par Trump a été largement impopulaire, mais comme l’a souligné le journaliste Matt Taibbi dans Rolling Stone, la seule impopularité n’a pas encore arrêté Trump. Au lieu de cela, il a pu augmenter le soutien que lui apporte la minorité de la droite dure qui domine le Parti républicain et donc la politique nationale. Si nous ne construisons pas un mouvement agissant, il peut à nouveau s’en tirer.
Il existe une série d’initiatives que nous pouvons envisager: une marche nationale; l’organisation de réseaux de protection des DREAMer pour défendre les immigrés et défier les autorités; une agitation en faveur d’un mouvement de solidarité syndicale; une augmentation de la pression sur les administrations des universités pour qu’elles déclarent leurs campus des sanctuaires; ou tout cela à la fois.
Mais ce qui est clair c’est que le mouvement a le potentiel pour s’organiser à une large échelle et d’attirer des milliers, puis des millions de personnes vers l’organisation active pour relever ce nouveau défi lancé par Trump.
Mais il ne s’agit pas non plus de s’en tenir uniquement à un mouvement anti-Trump, qui subordonne nos revendications au fait de permettre aux Démocrates de reprendre le Congrès et la Maison Blanche.
Trump est bien entendu responsable et répréhensible. Mais il y a aussi Obama, le président qui a déporté le plus d’immigré·e·s et qui aurait pu protéger les DREAMers avant de quitter son poste, mais qui a choisi de ne pas le faire. Il y a aussi l’ensemble du système politique pourri qui a utilisé les immigré·e·s comme des otages pour obtenir le soutien pour une solution entrepreneuriale dont la majorité de la population ne veut pas.
Le maintien du DACA est une lutte importante, mais il faut la voir en lien avec la question plus large de la justice pour les immigré·e·s plutôt que comme une monnaie d’échange.
La vérité est que très peu d’immigrés «ont le choix» en ce qui concerne l’immigration aux Etats-Unis. Il n’y a aucune raison pour que les jeunes immigrés soient considérés de manière plus favorable que leurs parents, qui ont tout risqué pour venir aux Etats-Unis dans l’espoir de trouver une meilleure vie pour eux-mêmes et pour leurs proches.
Mais un mouvement puissant pour les DREAMers peut et doit construire un mouvement puissant pour tous les immigré·e·s. (Article publié le 7 septembre 2017 sur le site de l’ISO, SocialistWorker.org; traduction A L’Encontre)
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