France. Loi travail 2: pour annuler 1936, 1945, 1968, 1981…

Par Christian Mahieux

Les dispositions antisociales de la loi Travail 2 sont nombreuses. La CGT, l’Union syndicale Solidaires, la CNT-SO, mais aussi le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la Magistrature ou encore la Ligue des Droits de l’Homme ont produit des analyses pertinentes et complètes. Nous nous attarderons ici sur le seul volet relatif au fait syndical. Il comprend deux aspects:

la disparition des instances représentatives du personnel CHSCT, DP et CE [1], remplacées par un Comité Social et Economique aux contours encore incertain mais dont il est déjà acté qu’il entérinera la suppression de plusieurs attributions et droits des délégations actuellement existantes ;

l’extension des moyens donnés à l’employeur de contourner les sections syndicales d’entreprise, pour imposer des mesures, même très majoritairement refusées par celles-ci.

D’où viennent ces droits des travailleurs et des travailleuses dont le patronat est en passe d’obtenir la suppression?

  • La généralisation des Délégués du Personnel dans les établissements d’au moins onze salariés date de la loi du 24 juin 1936 qui reprenait là une des dispositions des accords Matignon signés durant la grève générale de mai-juin.
  • Les Comités d’Entreprise ont été institués par les Ordonnances du 22 février 1945, en application du programme du Conseil National de la Résistance, dont le patronat était très majoritairement écarté car ayant collaboré avec les régimes fascistes.
  • La section syndicale d’entreprise devint légale par la loi du 27 décembre 1968, concrétisant un des engagements pris lors des négociations de Grenelle, pendant la grève générale de mai-juin de cette même année.
  • Les CHSCT datent de la loi du 23 décembre 1982, dernière des quatre lois modifiant profondément le Code du travail promulguées par le gouvernement issu de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, le 10 mai 1981.

1936, 1945, 1968, 1981: quatre moments où le patronat et tout le camp réactionnaire est en situation de faiblesse et où il a peur du mouvement social qui joue pleinement son rôle politique. Une peur parfois exagérée, une faiblesse trop souvent vite compensée par les compromissions de celles et ceux que l’autonomie des travailleurs et travailleuses effraie. Mais le fait est indéniable : patronat et bourgeoisie se vengent de défaites sociales passées et laissent libre cours à une haine du peuple qu’il leur fallait plus ou moins contenir! La sortie de Macron sur «les fainéants, les cyniques et les extrêmes» n’en est que l’écume. [«Devant la communauté française de Grèce qui l’écoutait dans les jardins de l’EFA (Ecole française d’Athènes), vendredi 8 septembre 2017, le chef de l’Etat a ainsi assumé avec fermeté la nécessité de la réforme: « Je serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes », a-t-il martelé sous un dais de toile blanche. « Et je vous demande d’avoir la même détermination, a-t-il poursuivi. Ne cédez rien, ni aux égoïstes, ni aux pessimistes, ni aux extrémistes. Je ne veux pas que dans quinze ans, un autre président dise c’est pire encore”.» Interrogé un peu plus tard sur ces « fainéants » ainsi montrés du doigt, l’entourage du président a refusé de les qualifier plus avant, en appelant à la «libre expression». Le Monde 8 septembre 2017]

Ce ne sont pas seulement des contre-réformes antisociales qu’il faut combattre ; tous les droits des salarié·e·s à commencer par celui de s’organiser et de se défendre collectivement, sont frontalement attaqués. Nous voulons l’abolition du salariat? Le pouvoir en place aussi ! Pour nous, il s’agit de le remplacer par une société égalitaire, autogestionnaire, féministe, écologiste, mettant un terme à l’exploitation des êtres humains; le gouvernement entend y substituer l’auto-entreprenariat, l’ubérisation, la précarité générale, la loi des plus forts comme seule règle de vie.

1936, 1945, 1968, 1981… Alors oui, il faut réussir la journée de grève et manifestations du 12 septembre ; oui, il est indispensable de préparer celle du 21 septembre [appelée, entre autres, par la CGT, Union syndicale Solidaires…], notamment en prenant les moyens d’y donner un caractère unitaire plus affirmé.

Mais l’enjeu impose de construire d’autres perspectives. En termes de dates, car il ne s’agit pas d’aligner des journées «pour l’honneur»; en termes de projet émancipateur et crédible, lié à la défense quotidienne de nos intérêts de classe, individuels et collectifs, car c’est ainsi qu’on pourra construire un mouvement fort, ancré parmi la masse des travailleurs et travailleuses, qu’ils et elles soient en activité, en retraite, au chômage ou en formation.

1936, 1945, 1968, 1981… reprenons les questions essentielles : l’unité et de l’unification du mouvement syndical, son implantation, sa capacité à se transformer en véritable force syndicale et sociale pour jouer le rôle politique qui doit être le sien, la réalité de son internationalisme face à celui des forces capitalistes [2]… Il y a urgence. Mais pas obligation de se précipiter pour satisfaire au zapping des réseaux (anti?)sociaux ou aux appétits politiciens. A partir des enseignements du passé et sans le mythifier, en fonction des réalités contemporaines et sans les considérer inéluctables, construisons, créons, osons…

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Christian Mahieux est syndicaliste SUD-Rail/Solidaires, membre du comité éditorial des Cahiers Les utopiques.

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[1] Comités d’Hygiène, Sécurité et des Conditions de Travail – Délégué du Personnel – Comités d’Etablissement et Comités d’Entreprise.

[2] Voir à ce propos l’article «Invoquer l’unité, oui ; la faire c’est mieux!» [Théo Roumier, Christian Mahieux]. Cahier de réflexions Les utopiques n°4, février 2017 (www.lesutopiques.org).

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