«Pour un autre syndicalisme»

Entretien avec Gianni Frizzo

Nous publions ci-dessous un entretien avec Gianni Frizzo [paru dans le bimensuel Solidarietà en date du 9 juillet 2009]. Il a été réalisé le vendredi 3 juillet après que les instances d’Unia-Tessin ont proposé une résolution au conflit interne [voir à ce sujet l’article publié sur le site alencontre le 3 juillet] et aussi après les démissions d’Ivan Cozzaglio et Riccardo Spadini qui avaient été réélus le 26 juin au comité cantonal d’Unia (Tessin).

G. Frizzo, animateur du comité «Giù le mani dalle Officine» (Touchez pas aux Ateliers mécaniques CFF de Bellinzone), aborde ici le thème d’une «nouvelle façon de faire du syndicalisme», c’est-à-dire un syndicalisme qui part d’en bas, de la base, qui est portée par des salarié·e·s qui deviennent des protagonistes directs des mobilisations et du syndicat, des salarié·e·s – manuels et intellectuels – insérés dans la production de biens et de services. Un syndicalisme qui se projette pour une nouvelle société, configurée par des salarié·e·s non aliénés et conscients de leur rôle déterminant.

Voilà en quelques mots la synthèse de ce nouveau modèle syndical que Gianni Frizzo a fait sien. Dans cette interview, il explique de même sa position suite à la rupture, désormais irrévocable, survenue entre le comité des Ateliers et le syndicat Unia. (Solidariietà)

Frizzo, la nuit t’a-t-elle porté conseil ?

Il y a encore en suspens l’affaire des dix questions que nous avons posées à Unia [voir sur le site alencontre l’article du 3 juillet]. Les événements de Biasca [assemblée cantonale d’Unia du 26 juin] doivent être clarifiés, comme l’application des statuts et les méthodes de votation. Et puis, il y a un autre aspect fondamental concernant les démissions des deux collègues [voir ci-dessus] qui ont quitté le comité régional du syndicat.

Pourquoi ont-ils démissionné ?

Evidemment parce qu’ils n’ont pas partagé les modalités de vote. Moi je souhaite préserver ma dignité et le respect vis-à-vis des autres. Je suis surpris maintenant qu’Unia m’ait proposé la réintégration dans leur comité. Mais pourquoi me proposent-ils de le réintégrer s’ils disent, en même temps, que je ne représente pas pleinement la base [des Ateliers] ?

Unia t’a critiqué pour le fait de ne pas avoir été présent à toutes les assemblées et de ne pas avoir pleinement travaillé pour représenter tous les travailleurs…

Pour moi, toutes les critiques sont bienvenues. Mais il aurait suffi que ces critiques et ces manquements soient exprimés par les personnes directement concernées et dans les lieux appropriés. A Biasca, lors de l’assemblée, personne n’a ouvert la bouche. Pourquoi ces critiques ne m’ont pas été adressées lors de l’assemblée ? Ou pourquoi n’ont-elles pas été formulées lors de l’assemblée que j’ai convoquée moi-même le 15 juin ? Je suis ouvert à toute critique, mais des événements pareils, comme la votation du 26 juin, je ne le digère pas.

Pour quelle raison ?

Parce qu’au lieu de discuter et de s’affronter sur les idées, lors de cette assemblée il y avait les «pizzini» [des fac-similés donnant des indications de vote].

Quoi qu’il en soit, malgré les fac-similés, les travailleurs présents à l’assemblée étaient capables de comprendre et de décider. S’ils avaient voulu Frizzo [au comité], ils l’auraient pu voter pour lui tout de même, n’est-ce pas vrai ?

C’est clair. Je suis d’accord sur le fait que les travailleurs sont des personnes capables de comprendre et de décider. Moi aussi je suis ouvrier et travaille dans un atelier toute la journée. Mais ma profession n’est pas celle de visiter les chantiers pour m’entretenir avec les ouvriers [allusion à la fonction des permanents syndicaux qui ont organisé l’assemblée]. Il est normal que, lors de ces entretiens, l’image d’une personne puisse être dépréciée ou louée…

A propos d’image. En plus des Officine, il y a d’autres sites de production en difficulté, comme les Agie [entreprise de machines-outils située à Losone, liée à Agie Charmilles-Genève, dans le groupe Georg Fischer], le Franzi [Officine Franzi, travaux sur métaux, à Barbengo, en situation de faillite], mais qui ne concentrent pas la même attention de la part des médias…

Cette situation suscite chez moi beaucoup de peine. J’appartiens à la classe ouvrière et je mets en avant mes idéaux, ouvertement et avec conviction. Le drame est que la mobilisation des Officine [Bellinzone] n’est pas considérée une valeur ajoutée pour la pratique syndicale. Les syndicalistes ne devraient pas nourrir des sentiments de jalousie à notre égard. Nous devons réussir à «exporter notre expérience» vers tous. Mais avec cette politique syndicale, nous enlevons des espoirs à un grand nombre de travailleurs. Cela me fait mal. Je souffre aussi de voir qu’un travailleur me regarde avec rage et jalousie.

Unia affirme qu’elle s’est engagée chaque jour lors de la grève. Il y avait chaque jour 20 à 25 syndicalistes d’Unia à vos côtés.

C’est vrai. Nous avons commencé il y a déjà dix ans avec le comité «giù le mani». Depuis dix ans nous convoquons donc des réunions ouvertes à toutes les organisations syndicales. Depuis dix ans le secrétaire d’Unia Bellinzone est représenté dans ce comité. En 2005, nous avons conclu un accord de collaboration avec Unia alors que j’étais président du SEV [Syndicat du personnel des transports]. Ce qui arrive dans Unia aujourd’hui, cela s’était produit il y a deux ans dans le SEV, quand la direction du syndicat m’accusait d’instrumentaliser politiquement les ouvriers avec le comité «giù le mani». Sur le fond, il est évident aujourd’hui qu’au niveau national il n’y a pas un syndicat qui est différent d’un autre.

Mais que signifie pour toi faire du syndicalisme ?

Moi, je ne suis pas un révolutionnaire. Je crois en un syndicat de base, dans lequel ce sont les travailleurs qui déterminent leur propre avenir, et non pas en un syndicat où il y a des personnes qui touchent des «indemnités» pour se payer le croissant le matin jusqu’au «relaxant» qu’ils ingurgitent avant d’aller dormir.

Fais-tu référence à un syndicalisme de la base ?

Pourquoi sommes-nous invités en Allemagne, en Italie et au-delà des Alpes pour comprendre ce que nous avons fait ici [aux Ateliers] ? Nous sommes ouverts aux invitations de tous, nous allons partout où nous sommes invités, afin de discuter et pour confronter nos idées et notre pratique.

Au Tessin, il ne me semble pas qu’il y ait la volonté d’aller au-delà de la belle petite histoire des Officine, de la grève, du grand nombre de personnes qui nous ont soutenus et de la solidarité. Il me semble que la démocratie d’assemblée, la voix ouvrière à l’intérieur d’une entreprise et plus généralement un approfondissement de ce qui s’est passé sont absents.

L’activité syndicale se fait tous les jours, jour après jour, chaque minute. Moi je discute directement avec le directeur parce que je dispose d’une légitimité qui m’est donnée par les travailleurs et je suis leur porte-parole. Leur porte-parole pour suggérer des innovations et faire des propositions à l’entreprise, afin d’améliorer les conditions de vie et de développement personnel de tous. Nous avons même réussi à stabiliser les conditions de travail de 30 ouvriers intérimaires avec l’introduction d’un contrat à durée indéterminé pour eux. Voilà de belles conquêtes. Et je ne comprends pas pourquoi, au lieu de tirer des enseignements de notre expérience, on alimente la jalousie à notre encontre.

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