Dossier par la rédaction de
A l’Encontre
Le 13 juin 2017, Baudoin Loos du quotidien belge Le Soir, affirmait: «Quand un homme considéré comme très proche du régime comme Noureddine Miftah, le président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux, ose intituler une tribune libre sur le site PanoraPost.com «Le royaume est en danger», c’est que la situation devient grave.»
• Depuis le printemps 2017, les manifestations pacifiques n’ont cessé d’aller croissant. B. Loos note que la «répression est au rendez-vous puisque la police a tenté de briser le mouvement («Hirak») en arrêtant plusieurs de ses dirigeants dont Nasser Zefzafi.
• Dimanche, 11 juin, à Rabat, la capitale du royaume, une grande manifestation de solidarité a eu lieu, rassemblant une foule considérable, au moins 100’000 personnes, sans doute plus, bien loin en tout cas des 12 à 15’000 personnes évaluées par les autorités. Le 12 juin, plus de trente chercheurs marocains soulignent: «En désignant le Palais comme seul interlocuteur fiable pour formuler leurs demandes, les manifestants du Hirak pointent justement la difficulté des élus à jouer pleinement un rôle d’intermédiation et à porter la parole d’une jeunesse dont les rêves et les ambitions sont de plus en plus frustrés». Et l’aller plus loin: «La majorité des demandes des manifestants du Rif n’est pas spécifique à cette région marginalisée. Ces revendications concernent tous les Marocains aspirant à un vécu et un avenir meilleurs pour eux et pour leurs enfants: une justice sociale, une équitable distribution des richesses, une bonne gouvernance et un développement économique durable. Bref de réelles pratiques démocratiques». Qu’il y ait une dimension identitaire, cela ne fait pas de doute. Le journaliste belgo-marocain Labib Fahmy, originaire du Rif, précise: « Oui dans la mesure où cela concerne une région qui a une histoire, qui s’est révoltée contre le joug espagnol dans les années 1920, contre la férule royale dans les années 1958-59 et qui s’est encore révoltée en 1984. Mais cette spécificité n’implique pas que le séparatisme soit le but actuel. Le mouvement existe en tant qu’émanation des Rifains fiers de leur identité au sein du Maroc. Puis, il ajoute: «la contestation est restée confinée au Rif, dans le nord. Puis elle s’est propagée un peu partout au Maroc». Ce que le cours de la «colère sociale» illustre, comme le pointait la déclaration des chercheurs. Labib Fahmy s’interroge sur les voies politiques que peut prendre un tel mouvement social et le rôle des diverses forces en relation avec lui. Il constate: «Comme souvent, les islamistes, qui ne commencent jamais les mouvements populaires, tentent d’en profiter et de surfer sur cet élan». Puis, il estime et espère: «Mais personne ne les laissera dévoyer ce mouvement populaire de contestation sociale.»
• La politique du Makhzen (du réseau de pouvoir autour du roi) se résuma pour l’heure: à la diffusion «d’informations» selon lesquelles ce mouvement, massif, était le résultat de manipulations en provenance de «l’étranger»; à une répression accrue; à des promesses d’initiative de développement qui ont la saveur amère d’une herbe mâchée 100 fois. Le 26 juin, la répression se déchaîna, comme le rapporte l’article du site marocain Le Desk publié ci-après: «Al Hoceima et sa région en état de siège».
• Le site Tel quel, en date du 28 juin, rapporte la réponse de la population du Rif face à la brutale répression du lundi 26 juin. Cette réaction indique l’intelligence populaire face à la répression. «Un Tantana (concert de casseroles), voilà la forme de protestation pour laquelle ont opté des militants du Hirak afin de faire entendre leur voix. Mardi 27 juin, au lendemain d’une journée de l’Aïd tendue, marquée par des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, un «appel à éteindre les lumières et scander des slogans sur les toits» a été relayé sur les réseaux sociaux.
Dans la soirée, vers 22 heures, le concert de casseroles a démarré sur les toits de la ville. Sur une vidéo diffusée en direct sur Facebook et vue plus de 100’000 fois, on entend les manifestants frapper sur des ustensiles de cuisine, tout en répétant les slogans habituels du Hirak: «vive le Rif», «non à la militarisation», «tous Nasser Zafzafi». Ce n’est pas la première fois que cette forme de protestation est employée par les militants du Hirak. Le 6 mai au soir, une centaine d’habitants d’Al Hoceïma avaient organisé un concert de casseroles dans les rues de la ville. Le 22 juin, le concert s’est déplacé sur les toits des maisons, pour protester contre le «blocus sécuritaire» imposé à la ville
• Des fractions de la classe dominantes saisissent la faiblesse du régime, sa crise de direction, son incapacité à répondre aux exigences de la population du Rif et, plus largement, de la majorité populaire. Ainsi Medias24 – dont le sous-titre qualifie d’où il parle «Information économique marocaine en continu» – constate le 27 juin 2017:
«Alors que la population d’Al Hoceima attendait un geste de Rabat au niveau de la libération des militants et des manifestants du Hirak à la veille de l’Aid Al Fitr, la réponse de (non)nominations de walis [sorte de préfet régional, il y en a 12 nommés par le roi et qui disposent de pouvoirs discrétionnaires] et de nouveaux mots sur des enquêtes administratives à mener n’ont pas dissuadé les populations d’Al Hoceima, d’Imzouren, d’Ajdir et d’El Aroui de sortir dans la rue comme cela était annoncé depuis plus d’une semaine.
L’Aid, jour de fête, était devenu «jour de deuil» pour beaucoup de familles d’Al Hoceima et d’Imzouren […]. Tout comme l’administration semble avoir du mal à saisir la frustration et le ressentiment des populations du Rif depuis 30 ou 40 ans, elle a semblé avoir du mal à saisir la colère des gens d’Al Hoceima après la mort de Mohcine Fikri le 28 octobre dernier [vendeur de poisson qui a été écrasé dans la benne broyeuse d’un camion à ordures alors qu’il tentait de récupérer les quelques poissons qu’il voulait vendre pour survivre avec sa famille]…
Aucune famille ne sort indemne de l’arrestation arbitraire – ou vécue comme telle – de l’un ou de plusieurs de ses membres et l’Instance Equité et Réconciliation comme le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) sont extrêmement bien placés pour le savoir.
Les arrestations intervenues depuis fin mai alors que jusqu’alors, les manifestations étaient pacifiques, symbolisent tout ce que les Rifains et les organisations des droits de l’homme dénoncent depuis des décennies dans la région: une répression politique sans discrimination, une présence sécuritaire massive et un centre politique qui vient imposer son ordre dans une région périphérique qui n’en demande pas tant. Le malentendu était important, il devient plus grand voire désormais total entre Rabat et le Rif.
Depuis 40 ou 50 ans, toutes les erreurs politiques imaginables ont été commises. Répression, oubli, promotion d’une économie mafieuse faite de haschich, de contrebande et de trafics d’êtres humains, beaux discours et manque d’actions concrètes comme l’illustre le court et triste destin d’Al Hoceima Phare de la Méditerranée. […] Subitement, nous découvrons qu’Al Hoceima Phare de la Méditerranée va dans le mur. L’absence de vie politique partisane autonome, concurrentielle, animée, est une donnée inquiétante. Les jeunes ont des aspirations: travailler et aussi s’engager. S’il n’y a ni l’un ni l’autre, la radicalisation menace, les discours les plus inachevés trouvent un public, car la nature a horreur du vide.
Le syndrome du vide est également perceptible dans les médias, notamment les médias publics. 45% à 50% de l’audience tv s’évade vers les chaînes étrangères, chiffre qui n’est pas anodin et qui n’est pas courant dans le monde.
Les jeunes sont demandeurs d’attention, de participation, d’emploi, de moralisation de la vie publique, de réduction des inégalités sociales, de dignité, de sincérité dans les discours. Voilà la voie à suivre.»
Dans de telles configurations politiques – d’autant plus dans un contexte régional chaotique et miné par l’imprévisibilité, par l’événement inattendu (par définition) mais qui s’inscrit dans une période initiée en 2011 – ces «feuilles de route» teintées de cette sagesse que des dominants savent exprimer, dans de telles conjonctures, sont rarement suivies. Les traits des affrontements sociaux – aux caractéristiques et expressions multiples – vont dicter les diverses phases d’un Hirak qui n’est pas que Rifain. (Rédaction A l’Encontre)
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Al Hoceima et sa région en état de siège. Plusieurs blessés dénombrés
Par Issam El Yadari
Une grande manifestation était prévue en ce jour [le 26 juin 2017 au Maroc] de l’Aïd el-Fitr appelée en soutien aux détenus du Hirak. La ville a été placée sous couvre-feu non déclaré par les autorités, empêchant ainsi par la force tout rassemblement. Toutes les voies terrestres reliant le chef-lieu du Rif et les localités avoisinantes font l’objet d’un blocus serré par des unités de la gendarmerie royale de guerre, généralement stationnées au Sahara. Plusieurs blessés ont été constatés après des heurts violents avec la police anti-émeutes.
C’est un véritable couvre-feu de jour non déclaré qui règne sur Al Hoceima et la majorité des localités environnantes en ce jour de Aïd el-Fitr, marquant la fin du mois sacré du ramadan.
Dès les premières lueurs du matin, et en prévention de l’annonce d’un rassemblement devant se tenir dans le centre d’Al Hoceima, un impressionnant dispositif de sécurité a été déployé dans le chef-lieu du Rif, épicentre la contestation populaire qui dure depuis maintenant huit mois dans la région.
Des annonces diffusées sur les réseaux sociaux avaient appelé à une manifestation ayant pour principal objectif de réclamer «la libération immédiate des prisonniers politiques, le retrait de toutes les forces de police en présence et le retour à une situation antérieure au 28 octobre».
La Gendarmerie Royale prévôtale déployée
Des unités de la gendarmerie royale prévôtale (dite de guerre, Adarrak al-malaki al-harbi, généralement stationnées au Sahara au vu de leurs missions encadrées par un dahir [un décret royal] dans les zones de conflit militaire, ont été appelées en renfort pour établir des check-points sur tous les axes routiers menant à la ville.
Ce dispositif était visible aux alentours d’Imzouren, Aït Bouayach, Tamasint, Aït Abdallah, Aït Qamra, Boukidaren et Ajdir. Certains témoignages attestent que ces unités sont sous le commandement d’un Général. [sur Facebook, Imad Sitou note le 26 juin 2017: «article 24 de la Constitution marocaine: est garantie pour tous, la liberté de circuler et de s’établir sur le territoire national.»]
Ces barrages ont filtré toute personne désirant se déplacer d’une bourgade à une autre empêchant ainsi le passage de familles entières qui voulaient rejoindre leurs proches, notamment à Al Hoceima. Il a été rapporté au Desk que le véhicule du journaliste Hakim Benaissa, directeur d’Akhbar ar-Rif [publication et site] a été minutieusement fouillé et ses papiers retenus «à cause de sa plaque minéralogique jugée non conforme».
Un quadrillage très serré est venu compléter ce blocus. Au niveau de la place centrale d’Al Hoceima (baptisée place des martyrs), une vingtaine de fourgons de la police, usant de leurs sirènes, ont empêché tout rassemblement dépassant trois personnes.
Dans les quartiers chauds qui avaient connu des batailles rangées [1], ceux-là qui avaient connu des batailles rangées entre des jeunes manifestants munis de pierres et les forces anti-émeutes usant de gaz lacrymogènes et de canons à eau, durant les dernières nuits chahutées du ramadan, des centaines de policiers ont été placés à tous les coins de rue. Plusieurs interpellations ont été dénombrées.
Sur les hauteurs de Sidi El Abed, Barrio Roman ou encore Hay Marmoucha, les forces de police étaient visibles sur les toits des maisons.
Des policiers ont tenté de faire retirer des étendards noirs placés par les familles des détenus sur leurs balcons et terrasses pour exprimer leur chagrin. Chez Mohamed Al Asrihi, directeur du site Rif24, réputé proche de Nasser Zafzafi, cette tentative a causé une altercation avec son père qui, pris de malaise, a été évacué en ambulance aux urgences de l’hôpital Mohammed V.
Les manifestants ont réussi à braver le blocus
Malgré cette pression sécuritaire destinée à imposer le calme en ce jour de fête religieuse, de nombreux manifestants ont réussi à braver l’interdiction et ont pu déferler en colonnes compactes vers un point de ralliement non loin de la grande place d’Al Hoceima, ce qui a provoqué quelques heurts avec la police, des blessés légers et des interpellations. La plupart criaient: «Le peuple du Rif a décidé la chute de la militarisation!» (Publié dans The Desk.ma, le 27 juin 2017)
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[1] «La soirée du 15 juin a été rude à Al Hoceima, où des jeunes ont définitivement changé le décor du face-à-face avec les forces de l’ordre. Finis les rassemblements massifs, étendards du Rif au vent, autour de leaders au micro, désormais quasiment tous détenus. Le Hirak [ce soir-là] s’est transformé en batailles rangées avec la police, jets de pierres contre tirs de grenades lacrymogènes, jusqu’au bout de la nuit. Des centaines de jeunes ont bravé les forces de l’ordre à Al Hoceima avant que les rassemblements ne dégénèrent. Les plus déterminés, ceux qui ne croient plus à la lutte pacifique et qui crient que «Silmya, c’est fini!» (le pacifisme, c’est fini) ont mis leur menace à exécution, dès que la police a décidé de les charger. Organisés en bandes éparses, ils ont répliqué par une pluie de projectiles. En réplique, la police anti-émeute a fait usage de bombes lacrymogènes. Une première pour ces rassemblements nocturnes. […] Nombre de manifestants se sont réfugiés dans les ruelles adjacentes, après avoir été coursés par les policiers casqués. «La répression et la détention ne nous empêcheront pas de continuer notre Hirak» ont commenté nombre d’entre eux.
Plus tôt dans la journée, les nouvelles n’étaient pas réjouissantes: les arrestations ont continué à être signalées. De nombreux étudiants de l’université multidisciplinaire de Selwan ont boycotté les examens. L’annonce faite par Saadeddine El Otmani, à l’issue du Conseil de gouvernement que «des visites de terrain allaient être effectuées sous peu» a été prise pour un énième affront alors que la revendication première des frondeurs est la libération immédiate et sans condition de plus d’une centaine de détenus, à Al Hoceima et à Casablanca. Des marches de protestations ont été organisées de jour dans les villages d’Imzouren Tmacent, à Midar et Laroui […]. Des familles de détenus ont rapporté que les policiers en faction dans les parloirs du centre de détention où sont incarcérés les premiers condamnés ont empêché que les échanges se fassent en rifain afin de pouvoir contrôler leurs paroles. La défense a vivement contesté cette interdiction, allant jusqu’à faire référence à l’Apartheid sud-africain. […]
La décision prise par le ministère de l’Intérieur d’interdire la grande marche nationale du 20 juin en commémoration des événements sanglants de la révolte de 1981 a elle aussi encouragé le Hirak à plus de radicalité.» (Le Desk, 16 juin 2017) La répression, la brutalité de l’intervention policière, les provocations des forces dites de l’ordre, les interpellations de manifestants pacifiques, l’arrestation de «leaders» – leaders d’un mouvement qui a une histoire, qui dispose aujourd’hui d’un niveau de réflexion et culture élevé et n’est pas le résultat d’une «manipulation de l’étranger», comme le diffuse le pouvoir, selon un schéma traditionnel emprunté par tous les pouvoirs forts – créent logiquement et de manière compréhensible des expressions plus vives de combativité d’un secteur de la jeunesse. (Réd. A l’Encontre)
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L’option sécuritaire du régime
Par Charlotte Bozonnet
Combien de blessés et d’arrestations? Si aucun décompte officiel n’a été donné, la soirée du lundi 26 juin a été, selon plusieurs témoignages, la plus violente depuis le début de la mobilisation sociale à Al-Hoceima, dans le nord du Maroc, il y a huit mois. «Ce fut une journée très longue, dans un climat particulièrement lourd», souligne une militante locale jointe par téléphone, qui évoque «de nombreuses arrestations, des confrontations dans plusieurs quartiers ainsi que des blessés».
Pendant toute la journée, des militants ont posté sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des barrages de police installés sur les routes afin d’empêcher les habitants des environs de rejoindre Al-Hoceima. Un appel à y manifester avait été lancé pour lundi, jour de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan. Un nombre important de personnes ont toutefois réussi à se regrouper dans les rues de la ville en fin de journée, où ils ont été violemment dispersés par la police, selon plusieurs témoignages et vidéos.
De son côté, la MAP, l’agence de presse marocaine, citant des autorités locales, a indiqué qu’«un groupe d’individus, dont certains étaient encagoulés, ont procédé (…) à des actes de provocation et à des jets de pierres à l’encontre des forces de l’ordre, causant des blessures à 39 éléments de ces forces ayant nécessité leur transfert à l’hôpital». Ces individus se seraient aussi attaqués au service des urgences de l’hôpital provincial, «causant des dégâts matériels à ses dépendances et à l’une des ambulances qui transportait deux éléments blessés des forces de l’ordre».
Depuis le 28 octobre et le décès d’un jeune marchand de poisson du pays, Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait d’empêcher la destruction de sa marchandise saisie par la police, la mobilisation n’a jamais cessé à Al-Hoceima et dans plusieurs localités alentour. Elle s’est même durcie. Si les premiers cortèges exigeaient que justice soit rendue pour la mort du jeune Rifain, les rassemblements se sont rapidement mués en un mouvement plus large de revendications économiques et sociales en faveur de cette zone enclavée.
Animé par des jeunes de la région, le Hirak (le mouvement), nom donné à ce mouvement de contestation, est longtemps resté pacifique. Jusqu’au vendredi 26 mai. Ce jour-là, Nasser Zefzafi, le leader du Hirak, a pris la parole dans une mosquée de la ville pour protester contre le prêche de l’imam qui avait accusé les manifestations de provoquer la «fit-na» (le «désordre», la division). Les autorités ont alors ordonné son arrestation, marquant un durcissement de la crise. En un mois, plus d’une centaine de personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées, dont certaines pour des charges graves d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Plusieurs milliers de policiers ont été envoyés à Al-Hoceima, sans parvenir à empêcher les manifestations quotidiennes réclamant la libération des jeunes arrêtés ces dernières semaines et des réponses aux revendications du mouvement.
Option sécuritaire
Les accusations de répression se sont multipliées. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International ont affirmé dans un communiqué publié le 22 juin que Nasser Zefzafi avait été «battu et insulté» par les policiers lors de son arrestation et ont appelé à ouvrir une enquête. Une coalition marocaine regroupant vingt-deux associations de défense des droits de l’homme a, elle, dénoncé des arrestations «abusives» et l’usage «excessif» de la force lors des interventions des forces antiémeute dans le Rif.
Au-delà des cercles militants, on s’inquiète aussi de l’option sécuritaire choisie par le pouvoir. «Ce qu’il s’est passé à Al-Hoceima aujourd’hui, jour de l’Aïd, est une honte. Cette approche sécuritaire conduit tout le pays à une catastrophe», a jugé le journaliste et animateur télé Abdellah Tourabi dans un Tweet.
Les événements de lundi ont d’autant plus surpris que la veille, des déclarations du roi du Maroc, Mohammed VI, avaient laissé penser à un début d’apaisement. Dimanche soir, au cours d’un conseil des ministres à Casablanca, le souverain avait fait part de «sa déception, son mécontentement et sa préoccupation» pour le retard pris par le programme de développement consacré à la ville d’Al-Hoceima, et doté d’une enveloppe de 600 millions d’euros. Mohammed VI a expliqué «ne pas autoriser les ministres concernés à bénéficier du congé annuel afin qu’ils assurent le suivi des projets mentionnés». (Article publié dans Le Monde du 29 juin 2017; titre réd. A l’Encontre)
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Des centaines de jeunes Rifains tentent de rallier les côtes andalouses
Par Isslam El Yadari
Un afflux massif de candidats à l’exil européen via l’Espagne a été constaté par des ONG opérant dans le Détroit de Gibraltar, rapporte El Confidential. Trois facteurs sont évoqués pour l’expliquer: le beau temps propice à la traversée, le désir d’éviter la route libyenne et la situation de tension accrue vécue dans le Rif
Pour la première fois depuis des années, les plus récentes statistiques rapportées montrent que les candidats marocains à l’immigration clandestine qui tentent de rallier les côtes andalouses, sont plus nombreux que les subsahariens.
«La révolte endémique du Rif a, ces jours-ci, donné lieu à ses premières conséquences pour l’Espagne», écrit le journal espagnol, se basant sur des données compilées par des ONG opérant dans le détroit de Gibraltar. Celles-ci indiquent qu’un afflux important en Andalousie a été observé dans les zones de Tarifa et de Motril.
«Parmi les 224 immigrants qui ont été secourus samedi dernier à bord quatre embarcations, (dont trois près de la côte de Cadix), seulement neuf étaient des Africains subsahariens», rapporte une responsable d’ONG citée par El Confidencial, qui estime que durant les dix derniers jours quelque 500 Marocains sont arrivés par la mer en Andalousie.
Se mettre à l’abri de la vague d’interpellations «La plupart sont de jeunes Rifains qui fuient vers l’Espagne, essayent de se mettre à l’abri de la vague d’interpellations menée par les forces de sécurité marocaines pour tenter de mettre fin à des manifestations ayant débuté il y a huit mois dans la province d’Al Hoceima. Elles se sont intensifiées depuis la fin mai, dégénérant de manière quotidienne en affrontements violents avec la police anti-émeute», commente le journal espagnol.
Trois facteurs sont évoqués pour expliquer cet afflux massif: le beau temps propice à la traversée, le désir d’éviter la route libyenne qui mène à la Sicile, devenue très risquée, et la situation vécue par le Rif depuis les arrestations parmi les membres et sympathisants du Hirak.
Un relâchement des autorités marocaines peut aussi s’expliquer, selon les sources espagnoles citées par El Confidencial, par la mobilisation de près de 25’000 éléments des forces de l’ordre pour contenir la contestation.
C’est dans ce contexte qu’une visite du roi Felipe VI d’Espagne, «préoccupé par cette crise inédite depuis l’avènement de Mohammed VI», avait été programmée le 12 juin avant d’être annulée pour des raisons d’agenda. Le monarque espagnol étant disposé à soutenir le roi du Maroc, révèle El Confidencial, citant des sources au Palais de la Zarzuela, qui indiquent cependant qu’aucune nouvelle date n’a été fixée jusqu’à présent. (Publié par Le Desk, le 27 juin 2017)
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Selon l’agence Europa Press, quatre immigrés «illégaux» arrivés le 15 juin au port de Motril dans la province de Grenade après avoir été secourus par des garde-côtes espagnols, ont demandé l’asile politique au gouvernement de Madrid «en raison de la situation qui prévaut à Al Hoceima». Ils ont été pris en charge par la Croix-Rouge. Le site Yabiladi, qui a relevé l’information, estime que leur requête a peu de chance d’aboutir, l’Espagne ayant une doctrine très sévère en matière d’exil, notamment de la part de ressortissants marocains, notamment sahraouis qui font référence à des motifs d’ordre politique. (28 juin 2017)
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Al Hoceïma: mais finalement que demandent-ils?
Lettre ouverte adressée aux autorités marocaines par Marie Arena, députée européenne, Jamal Ikabzan, députée de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Fathia Saidi, Echevine à Evers, Simone Susskind, députée du Parlement Bruxellois
Appel aux autorités marocaines à libérer les prisonniers politiques.
Fin octobre 2016, la mort de Mohcin Fikri, un jeune vendeur de poisson broyé accidentellement dans une benne à ordure a mis le feu dans la province d’Al-Hoceïma. Sa mort réveillait les injustices sociales et politiques vécues dans cette région depuis plus de 60 ans. Malgré les efforts consentis par le roi Mohamed VI, la frustration et le sentiment d’abandon restent bien présents dans le chef des habitants de cette région de résistance et de tradition.
Depuis plus de 7 mois, la contestation s’organise pacifiquement autour du Hirak (Mouvement) et de son leader Nasser Zefzafi arrêté, après son irruption dans une mosquée de la ville. S’en sont suivies des centaines d’arrestation, des jugements assortis de peines lourdes (à partir de 18 mois de détention) et une concentration policière et militaire sans précédent dans la région constituant souvent une entrave à la liberté d’expression et de rassemblement.
L’avenir de tout un pays en jeu
Pourtant le message reste clair : « la contestation continue et de manière pacifique ». Mais finalement que demandent-ils ?
Leurs revendications portent sur une meilleure prise en considération des besoins des provinces « isolées » telle celle d’Al Hoceima dans les politiques sociales, d’éducation, culturelles, médicales et économiques.
Et, depuis les arrestations, ils demandent des droits auxquels chaque citoyen peut prétendre, à savoir ses droits civiques, la lutte contre l’impunité et la corruption ainsi que la libération de tous les prisonniers politiques, la fin de la torture et des violences policières…
Finalement, quoi de plus normal pour des citoyens que la volonté de se soigner, de travailler, de s’éduquer et de s’exprimer librement ? Il en va de l’avenir d’une région et d’un pays.
Nos relations avec le Maroc et la région du Sud de la Méditerranée sont fortes, tant de pays à pays, mais aussi entre l’UE et le Maghreb et le Maroc en particulier. Elles se matérialisent par de nombreux accords tous basés sur le développement économique et social de la région dans un climat de paix, de sécurité et de stabilité dans le respect des principes fondamentaux des droits humains.
La crise d’Al Hoceima demande davantage d’efforts de notre part et doit être mise à l’ordre du jour de tous les débats régissant ces accords afin d’utiliser tous les leviers qui permettent de rencontrer les objectifs du développement décentralisé.
Nous espérons un geste de la part des autorités marocaines à savoir tout d’abord la libération des prisonniers politiques. Ce geste symbolique sera une première étape qui devrait permettre de s’asseoir autour de la table, de renouer le dialogue et de s’attaquer en profondeur aux problèmes qui minent cette région.
Il en va de la stabilité d’une région, d’un pays mais aussi et surtout du respect des droits de tout citoyen qui a besoin d’espoir pour vivre.» (Publié dans le quotidien belge Le Soir, en date du 27 juin 2017)
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