Le mardi 6 septembre 2016 a commencé, à l’échelle du Brésil, la grève des employé·e·s de banque. Le 20 septembre, selon la Confédération nationale des travailleurs du secteur financier (Contraf-CUT), 12’608 agences ont été paralysées ainsi que 49 centres administratifs. Le 21 septembre, dans un communiqué, le Syndicat des employé·e·s de l’Etat de São Paulo annonçait le 17e jour de grève et la jonction de la lutte avec la journée de grève nationale, le 22 septembre, de la fonction publique.
Le 20 septembre 2016, sur le site de la Central sindical e popular/Conlutas, afin d’illustrer les diverses initiatives prises par les grévistes dans la très large majorité des Etats, était mentionnée l’action de «don du sang» des grévistes de la ville de Bauru (une ville de 400’000 habitants dans l’Etat de São Paulo) comme une action de solidarité avec ceux qui «luttent pour la vie». Le quotidien économique dominant O Valor rappelle qu’en 2015 la grève de la même catégorie avait duré 15 jours, avec un gain salarial réel très limité. Une façon de minorer la présente mobilisation.
Or, le contexte socio-politique est différent d’il y a un an. En effet, il y a eu la destitution de Dilma Rousseff et la mise en cause, le 15 septembre, de Lula par le Ministère public fédéral (MPF). Elle fut faite avec une mise en scène télévisée dont le contenu n’était pas en «conformité» avec la formulation précise des accusations; un Lula dont le parti (le PT) a cultivé les liens avec des grandes entreprises et les partis historiques de la bourgeoisie, ce qui a constitué l’humus de la corruption. Et cette mise en cause de la figure historique du PT se produit à un moment où les enquêtes contre la corruption des principaux dirigeants des partis de la droite officielle semblent avancer à pas de tortue. Il faut y ajouter que l’avalanche de contre-réformes du gouvernement de Michel Temer est accueillie par de très larges secteurs populaires avec le slogan «Fora Temer» (Dehors Temer).
Il ne s’agit pas de tracer la perspective d’un «début de montée des luttes sociales». La sagesse politique devrait mettre en garde contre cette inclination. Des premiers tests vont permettre de prendre la température. Tout d’abord, la réalité et la dynamique de la journée de lutte du 22 septembre contre la contre-réforme du système des retraites et du Code du travail. Ensuite, celles de la grève des travailleurs de la métallurgie fixée au 29 septembre; d’autres secteurs vont-ils s’y joindre, comme l’ont fait les travailleurs de la construction civile de Belem? Et que va-t-il se passer en octobre: Force syndicale et la CUT (Centrale unique des travailleurs) vont-ils engager une mobilisation en octobre? Ce point d’interrogation est grand.
La conclusion exprimée par Regis Munhoz – historien et membre du Secrétariat à la formation du syndicat des employé·e·s de banque de l’Etat de São Paulo – dans cet entretien accordé à un des rédacteurs du Correio da Cidadania, Raphael Sanz, met en garde contre les conclusions hâtives de «projets trop ambitieux». (Rédaction A l’Encontre)
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Correio da Cidadania: Comment la grève des employés de banques s’est-elle organisée et quelles sont ses principales revendications ?
Regis Munhoz : La liste des revendications autour de la campagne salariale est très large, il y a plus de 250 articles sur lesquels nous établissons nos revendications. Le processus de construction d’un cahier de revendications est également complexe. D’abord, nous organisons des congrès avec les syndicats de base au niveau des Etats fédéraux, de là nous établissons les revendications, puis nous allons ensuite vers un congrès national qui réunit différents syndicats, la Confédération Nationale des employés de banque et les fédérations par Etat et par région. C’est sur la base de cette conférence nationale que nous déterminons quelles revendications vont être présentées auprès de la FENABAN (Fédération Nationale des Banques).
Une bonne partie de ces revendications est donc décidée par les membres de la «base». Nous faisons passer des questionnaires, discutons avec les employé·e·s de banque dans les agences afin de définir quelles sont les priorités de la campagne et, après l’établissement du cahier de revendications, nous entrons dans le processus de dépôt de ces revendications. La grève ne survient que lorsqu’il n’y a plus de possibilité d’accord autour de la table de négociation.
Parmi les revendications principales, nous avons l’augmentation des salaires, qui comprend l’inflation – qui est au-dessus de 9,5% – et plus de 5% d’augmentation réelle. Sont exigées aussi des améliorations de la PLR (Participation aux Bénéfices et aux Résultats), ainsi que les «tickets» repas ou pour l’alimentation [qui ne relèvent pas d’une obligation légale pour l’employeur] et le treizième panier d’alimentation, soit une valeur équivalente à ce que l’on recevrait avec un 13e salaire.
Il y a aussi des questions plus spécifiques comme l’égalité des chances et de genre. Dans le système financier, les femmes gagnent beaucoup moins que les hommes. Principalement la femme noire. Celle-ci se trouve à la base de la pyramide salariale, elle est celle qui reçoit le moins dans ce système. C’est pour cela qu’il y a une série de revendications que nous avançons pour essayer de corriger de telles «contradictions».
Correio da Cidadania: Quel bilan tirez-vous de cette première semaine de grève ?
Regis Munhoz : Nous avons commencé le mardi 6 septembre 2016. Le 13 septembre, nous avons eu une séance de négociation avec les patrons, lors de laquelle ceux-ci ont proposé une hausse de 7%, une proposition qui est au-dessous de l’inflation, et une allocation unique de 3300 reais [quelque 995 CHF], offre que nous qualifions d’offre «ferme ta gueule», parce qu’il y a un problème: l’inflation monte, le salaire ne suit pas cette croissance et nous nous trouvons avec une perte salariale et une chute du pouvoir d’achat des employés de banque.
La grève est forte. Lundi, nous avons fait cesser le travail à 42’000 employé·e·s de banque et l’idée est de continuer la grève, principalement dans les banques publiques où il y a assez d’espace pour organiser une «paralysie», mais aussi dans les bâtiments de banques privées. Il est important d’augmenter le niveau de cette paralysation.
Ici à São Paulo, nous avons environ 120’000 employé·e·s de banque. Le taux de grévistes se situe autour de 40% de grévistes. Il y a des jours où nous arrivons même à 50%. Les paralysations sont fortes et peuvent encore augmenter.
Les négociations sont très compliquées. Les banquiers viennent avec l’argument de la crise, mais la crise touche bien plus fortement les travailleurs. Pour les banquiers, il n’y a pas de crise, voyez les bénéfices qu’ils ont faits ces dernières années. Si nous prenons les bilans des six derniers mois des plus grandes banques brésiliennes, nous constatons des bénéfices toujours plus grands. Si nous prenons le taux d’intérêt de la Selic [indice pour les taux d’intérêt], qui est à 14,25%, on remarque que les banques investissent dans la dette publique et touche des intérêts. Pour eux, il n’y a pas de crise, mais ils utilisent cet argument. Ils disent que leurs bénéfices sont en diminution, mais nous ne voyons pas les choses comme cela.
Correio da Cidadania: Dans la conjoncture de crise que nous traversons, quelles solutions le Syndicat des Employés de Banque propose-t-il pour le dénouement de la grève et quelle analyse fait-il, de manière plus générale, de la crise économique globale?
Regis Munhoz: Le mot d’ordre de la campagne salariale des employé·e·s de banque est «Seule la lutte te donne des garanties». La conjoncture nous fait subir un recul de nos droits, c’est-à-dire que les salarié·e·s vivent sous la menace de perdre une série de droits qui ont été conquis durement et qui sont aujourd’hui fixés dans le Code du Travail [le CLT pour «Consolidaçao das Leis do Trabalho»]. Maintenant, nous courons le risque de perdre des choses telles que la journée de travail de huit heures et la retraite à soixante-cinq ans. Nous allons aussi perdre le fonds de garantie, puisque le gouvernement veut que celui-ci soit lié à la retraite. Et nous courons aussi le risque que le 13e salaire ne soit plus obligatoire et que l’entreprise le verse selon son bon vouloir sur la base d’un supposé accord avec le travailleur. Ce que nous voyons, c’est une conjoncture dans laquelle nous n’avons nulle part où aller si ce n’est vers la lutte et la prise de conscience des travailleurs et travailleuses.
Cette réforme du droit du travail est une défaite que l’élite brésilienne est en train d’imposer à l’ensemble des travailleurs du pays. Il existe des pays, surtout en Europe, où les journées de travail sont beaucoup plus courtes que les nôtres, six heures par jour dans certains pays. Et ils viennent avec l’argument selon lequel le fait d’augmenter la durée de la journée de travail, ou de lier le salaire à un paiement à l’heure ou en lien avec la productivité. C’est un gros mensonge. Ils nous disent que l’augmentation de l’emploi dans le système capitaliste repose sur l’augmentation de la productivité. Si le patron, le propriétaire de la fabrique, de la banque ou du commerce a un employé qui au lieu de huit heures va en travailler douze, il y a augmentation de la production par salarié sans qu’il y ait besoin d’engager un autre employé. C’est un calcul simple. Ils veulent économiser sur la main-d’œuvre pour augmenter la marge bénéficiaire des entreprises.
Correio da Cidadania: Si l’on pense aux luttes sociales qui ont lieu actuellement, qu’est-ce qui a causé cette sensation de terre brûlée, avec des actions de lutte qui partent sur une position défensive? Vous, comme formateur de cadres, constatez-vous un abandon du travail à la base au cours des dernières décennies?
Regis Munhoz: C’est certain que le travail à la base est essentiel. Il est important de dire qu’à travers toute l’histoire, il est souvent difficile de trouver une gauche organisée. Elle a toujours été désorganisée, il y a eu des conflits internes. Toutefois, à certains moments elle a tout de même réussi à s’organiser, en dépit de toutes les divergences. Si nous regardons vers les années 1970 et 1980 au Brésil, alors nous voyons une période très fertile dans l’histoire de la gauche brésilienne. Et quand nous regardons la fondation même du PT (Parti des travailleurs) et de la CUT (Centrale unique des travailleurs), dans lesquels presque toute la gauche est présente, il y a également un fort travail à la base qui fonctionne à partir de divers mouvements: sur la santé, le transport, contre la cherté, pour l’éducation. Il y a toute une série de mouvements qui, avec beaucoup de force, partent de la base, comme par exemple les Communautés Ecclésiales de Base.
L’entrée dans la période néolibérale et celle marquée par la fin de l’Union Soviétique ont mis en crise la pensée de gauche dans le monde entier, spécialement celle de la gauche classique, «partidaire». La gauche a subi un choc. A l’intérieur de différents partis, de nombreux cadres ont modifié leurs points de vue. Même à l’intérieur du PT. La conjoncture même a conduit à l’idée de l’individualisme et a imposé des difficultés aux luttes syndicales à partir des années 1990. Les syndicats ne parvenaient plus à organiser des grèves, n’obtenaient pas d’augmentations autres que la compensation de l’inflation, le personnel des banques publiques était licencié. comme il l’aurait été dans une banque privée. Et c’est encore comme cela aujourd’hui.
Avec l’arrivée du PT au pouvoir [2003], il a été possible de «renverser» certaines questions, mais le travail à la base a été abandonné. Il a été oublié principalement par le PT qui, jusqu’alors, était le plus grand parti de gauche. L’on observe que lorsque les cadres d’un mouvement ou d’un parti se bureaucratisent et que de nouveaux ne se forment pas afin de continuer le travail à la base. Il se crée alors un abîme entre la base et la bureaucratie, et ce mouvement devient une simple courroie de transmission pour la bureaucratie, c’est-à-dire qu’il n’y a pratiquement plus de base. Au point que nous ne voyons plus dans les périphéries sociales et urbaines de mouvements comme ceux des années 1980.
Nous avons aujourd’hui sur la question du transport le Mouvement Passe Livre [transport gratuit], qui est un grand exemple, ou le MTST [Mouvement des travailleurs sans toit] et autres mouvements sur la question du logement. Et ce sont des mouvements qui remplissent bien leur rôle, ainsi que les celui enseignants du secondaire, mais malheureusement nous voyons que la gauche se tient éloignée d’eux, ce qui est une grande erreur. Je vois qu’il y a des tentatives timides de rapprochement. Si ces mouvements vont avoir du succès ou non, nous le verrons au cours des mois et années à venir. Mais à mon avis, ce qui est fondamental actuellement, c’est de rétablir le dialogue avec les «périphéries», qui constituent la base de tout le mouvement social et syndical.
Correio da Cidadania : Quelles sont les perspectives pour la grève et sa possible fin dans les prochains jours ?
Regis Munhoz : La grève des employés de banque est en marche vers une nouvelle négociation supplémentaire ce jeudi 15 septembre. L’idée est de tenter de conclure un bon accord, mais nous ne sommes pas en mesure d’en dire plus puisqu’il est impossible de savoir ce qui se passe dans la tête des banquiers.
Correio da Cidadania: Et comment imaginez-vous les prochaines années pour les travailleurs et travailleuses?
Regis Munhoz : Au moins dans les prochaines années, nous aurons de nombreuses luttes. La CUT est en train de proposer un jour de paralysie pour le 22 septembre, en discussion avec d’autres centrales syndicales qui vont l’appuyer. L’objectif ambitieux, difficile à atteindre, est de construire une large grève générale pour faire barrage aux mesures du gouvernement actuel de Temer.
Ce que la gauche pense, que ce soit pour que Dilma revienne ou pour avoir de nouvelles élections, ce sont toutes des propositions. Je pense que la diversité d’opinion est excellente, mais le plus important maintenant est de questionner la manière dont la politique est menée au Brésil. Cela ne sert à rien d’organiser de nouvelles élections. Quel type d’élections voulons-nous organiser? Voulons-nous le même système politique pour élire les mêmes personnes? Ou bien demander le retour de Dilma? Et que faire si elle revient? Gouvernera-t-elle de la même manière avec les mêmes personnes?
Il n’y a pas beaucoup de perspectives de changement. Le scénario pour la gauche est simple: il faut essayer de penser à de nouvelles manières de s’organiser, armer les gens de courage et commencer à organiser la confrontation politique avec l’élite. (Entretien publié sur le site de Correio da Cidadania le 14 septembre 2016; traduction A l’Encontre)
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