L’économie capitaliste mondiale et le «monde agricole», celui pour l’essentiel des pays dits développés mais auxquels il faut ajouter le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie, la Chine, l’Inde, le Mexique, engendrent et font face à un nombre de plus en plus restreint de grands groupes à la fois agrochimiques et semenciers. De fait, il y a trois grands groupes à l’échelle mondiale et un «moyen» (BASF), comme indiqué dans l’article publié ci-dessous d’Alejandra Soifer.
Quelle est la logique de cette concentration (sous forme de rachats, de fusions)? En s’inspirant des interventions et articles de Bruno Parmentier, il est possible d’y répondre, partiellement, en faisant référence à la déclaration de Bayer-Montsanto: le groupe va mettre 2,5 milliards dans la recherche et développement (voir note 1) . C’est une somme énorme comparée au budget de centres de recherche comme l’INRA (Institut national de la recherche agronomique en France) qui disposait, en 2013, d’un budget de 881 millions d’euros, d’origine publique. Bayer-Monsanto ne joue donc pas dans la même ligue qu’un centre de recherche pourtant fort important en Europe.
Dans le contexte présent de l’agriculture industrielle a été «construite» une confluence entre trois ensembles: 1° Un point de rencontre entre les semences et les pesticides, plus exactement – du point de vue des firmes nommées – une partie significative des OGM sont compatibles avec un seul pesticide. 2° Le développement du big data (mégadonnées) permet d’établir des tableaux croisés entre la fertilité de la terre, le climat (les deux dans des configurations locales), les semences et les pesticides adéquats. Ces firmes visent donc à proposer une gestion agricole d’ensemble «adaptée», et non pas un produit plus un autre (dont elles disposent du brevet; et quand celui-ci est échu, c’est le paquet vendu qui permet de récolter des royalties). Ces firmes ont déjà commencé à introduire dans leurs modèles les effets des changements climatiques. 3° Dès lors, la recherche pour optimiser l’ensemble de facteurs pousse à l’intégration de firmes qui ont des points forts pouvant se compenser et se combiner. Cela afin de dégager un chiffre d’affaires (autrement dit des parts plus amples de marchés) et donc des profits – desquels les dépenses de recherche dépendent – que leur assurent leurs positions oligopolistiques.
Il n’est pas difficile de constater que, dès lors, un modèle d’agriculture industrielle est proposé avec un profil marketing d’une sorte de dialogue avec les agriculteurs dans leur contexte régional et de semences «adaptées».
Ces firmes pressentent l’impasse du «modèle agricole» des 50 dernières années qui a abouti à ce que la complexité énorme du sol soit gommée. Ce dernier a été réduit à une sorte de support qui reçoit, chaque année, sa dose de produits chimiques. Le résultat: la courbe des rendements agricoles n’est plus pentue et la découverte de nouvelles molécules utilisables est très coûteuse.
Passer, selon la formule de Bruno Parmentier – auteur de la Faim zéro: en finir avec la faim dans le monde (La Découverte, 2014) –, à une «réintégration de l’agronomie dans l’agriculture» est un des défis pour ces firmes. Bruno Parmentier, saisissant la logique de leurs options, souligne: «Tous les géants de la chimie voient bien qu’on est à la fin d’une époque, et que l’avenir sera pour une bonne part dans une nouvelle chimie «bio inspirée», et en particulier au «biocontrôle», au travers de produits naturels alternatifs aux pesticides. Cette industrie des produits biologiques agricoles représente aujourd’hui environ 2,3 milliards de dollars par an et enregistre des taux de croissance à deux chiffres! Or, sur ce plan, le milieu bio a incontestablement une longueur d’avance, et donc les grandes firmes tentent logiquement de s’y installer!»
Ce changement à la racine – afin que les agriculteurs des pays visés prioritairement ne se trouvent pas pieds et poings liés face à ces géants – nécessiterait, pour répondre aux besoins humains et environnementaux, de socialiser effectivement le cumul générationnel des multiples connaissances paysannes ainsi que des efforts de recherche et formation de la paysannerie, dont des instituts publics comme l’INRA (avec des prolongements dans le monde entier) pourraient être parmi les vecteurs, conjointement aux initiatives paysannes «à la base» déjà existantes.
Car, en effet, ces trois mégagroupes vont concentrer leurs efforts sur un type d’agriculture fortement capitalistique qui a comme débouché solvable une partie de la population d’un monde de plus en plus urbanisé. Leur position monopolistique va aboutir à une réduction de la biodiversité, du nombre de produits, dont les prix ne seront pas plus bas, au contraire. La pression de la grande distribution va s’y ajouter. Et les politiques agricoles imposées, dont la définition est fortement influencée par cet ensemble oligopolistique, y contribuent aussi. Ces éléments étayent et complètent l’article, traduit, que nous publions ci-dessous. (Rédaction A l’Encontre)
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Par Alejandra Soifer
Le 14 septembre, la firme allemande, géant «des sciences de la vie», Bayer a acheté Monsanto, la gigantesque compagnie américaine spécialisée dans les biotechnologies agricoles, pour une valeur de 66’000 millions de dollars, créant ainsi la plus grande firme d’agrochimie et de semences du monde [1]
Après des mois de rumeurs, l’entreprise allemande Bayer et l’états-unienne Monsanto ont confirmé que cette dernière avait accepté l’offre de 66’000 millions de dollars (soit 58,7 milliards d’euros) pour fusionner avec Bayer.
La firme transnationale Bayer, leader de l’industrie pharmaceutique, a décidé d’augmenter sa ligne commerciale dans l’agro-industrie. A sa branche déjà bien développée de produits agrochimiques – commercialisés par l’entreprise CropScience qui lui appartient – viennent donc s’ajouter plus de 2000 variétés de semences ayant un brevet de la firme Monsanto.
Cette fusion s’est faite dans un contexte particulier. Syngenta – concurrent d’origine suisse [issue en 2000 des divisions agrochimiques d’Astra-Zeneca et de Novartis] de Monsanto – a récemment été achetée par l’entreprise étatique ChemChina. Les marchés occidentaux deviennent de plus en plus un terrain de disputes. Les six entreprises multinationales consacrées à l’agronégoce se réduiraient ainsi à quatre géants: ChemChina-Syngenta, Bayer-Monsanto, Dow-Dupont, BASF.
Bayer compte actuellement près de 117’000 employés autour du globe, alors que Monsanto en a approximativement 23’000. Avec cette fusion, le secteur pharmaceutique de la compagnie allemande à un niveau global passe à la deuxième place, représentant 50% de son activité.
Dans le même secteur pharmaceutique, l’entreprise était en train de changer son orientation commerciale vers le développement de médicaments avec exclusivité de brevets et ayant un coût élevé, ce qui a entraîné des licenciements dans les secteurs de la vente, notamment en janvier de cette année. Les travailleurs de l’entreprise, qui ont déjà subi des réductions de personnel lors de fusions précédentes, ont expliqué au journaliste de Notas (Notas.org.ar) que ce nouvel achat pouvait renforcer cette tendance et entraîner la perte supplémentaire de postes de travail [2].
Une alimentation soutenable
Dans le communiqué publié par la nouvelle firme, il est signalé que l’objectif était d’arriver à «alimenter trois milliards de personnes supplémentaires dans le monde en 2050, et ce de manière soutenable sur le plan environnemental».
Dans ce sens, la Coordination gegen Bayer-Gefahren (CBG – Coordination contre les dangers de Bayer) a cité Hermann Stübler, le chercheur de la compagnie allemande, qui notait que «depuis plus de 25 ans, l’industrie phytosanitaire mondiale n’a pas développé ni mis sur le marché d’herbicide approprié pour la culture ayant un nouveau mécanisme d’action; c’est là une des conséquences de la consolidation de l’industrie, qui s’est accompagnée d’une considérable réduction de l’investissement dans la recherche de nouveaux herbicides (…) En conséquence, de plus en plus de plantes sauvages s’adaptent à ces produits et les agriculteurs doivent utiliser de plus en plus de produits agrochimiques, avec des effets dévastateurs sur la biodiversité».
La CBG a également dénoncé le fait que ce n’est pas la première fois que Bayer et Monsanto s’unissent. Entre 1954 et 1967. les deux entreprises ont formé une joint-venture appelée Mobay Chemical Corporation. Mobay a fourni au Département de défense des Etats-Unis un des composants chimiques essentiels pour la production de l’Agent Orange utilisé pendant la guerre du Vietnam.
D’après la Croix Rouge du Vietnam, l’utilisation de l’Agent Orange a entraîné un million de personnes ayant des handicaps ou des problèmes de santé ainsi que 400’000 morts. Néanmoins, contrairement à Monsanto, le nom de Bayer n’a pas été associé à cet épisode de la guerre chimique.
Si c’est du Bayer, c’est bon?
Dans divers médias internationaux, il y a des spéculations selon lesquelles l’entreprise pharmaceutique historique aurait l’intention de se défaire de l’entreprise Monsanto, puisque celle-ci a une mauvaise réputation, alors que les Allemands jouissent d’une bonne réputation parce qu’ils ont inventé l’aspirine.
Néanmoins, Bayer a dû affronter des procès millionnaires tout au long de son histoire. Le plus récent, en Argentine, était lié au médicament pour le traitement du cholestérol, connu sous le nom commercial de Lipobay, qui a entraîné la mort d’une centaine de personnes [3].
Dans ce cas, il avait été décidé de ne pas mentionner les effets secondaires dans le prospectus du médicament, en ignorant des règlements locaux et internationaux en matière de santé collective. Des personnes en bonne santé physique auxquelles on a prescrit ce médicament sont restées handicapées à vie. En 2001, le laboratoire a dû le retirer du marché dans le monde entier.
Après ce «faux pas», les actions de Bayer ont commencé à baisser en bourse. La firme a alors eu recours à l’achat du laboratoire Schering et de sa ligne de produits contraceptifs et oncologiques prouvés, ce qui lui a permis d’améliorer son image et de continuer à obtenir des profits exorbitants. (Article publié le 15 septembre 2016 sur le site Diagonal en langue espagnole; traduction A l’Encontre)
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[1] Pour financer l’opération, Bayer a contracté un prêt-relais de 57 milliards et 19 milliards de fonds propres. La future entité devrait générer un chiffre d’affaires de 23 milliards d’euros. Et, plus important, son budget de R&D (Recherche et Développement) se situera à hauteur de 2,5 milliards d’euros. L’activité semence sera basée aux Etats-Unis (Saint-Louis dans le Missouri) et celle relevant du phytosanitaire (produits pour «soigner» les plantes et «contrôler» les insectes et champignons) en Allemagne. Le groupe Bayer au début des années 2000 comportait quatre divisions: santé, agrochimie, chimie (aujourd’hui Lanxess) et matériaux composites (aujourd’hui Covestro). La perspective s’articulera sur deux pôles: santé (humaine et animale) et agrochimie. En 2010, Bayer avait acquis le secteur OTC (médicaments en vente libre) de l’américain Merck. Monsanto, spécialisé dans les semences transgéniques, disposait d’une position relative dominante. Mais son marché stagnait en termes de quantités et même sous l’effet de la baisse de prix des semences de maïs et de soja, ainsi que de revenus à la baisse dans les herbicides et les engrais. Monsanto a tenté de racheter l’helvète Syngenta, qui a été «repris» par le chinois ChemChina (actif aussi dans les pneus Pirelli). Monsanto devait se retourner et trouver un autre chemin: Bayer était là pour saisir l’occasion, après quelques déboires dans les médicaments et le plastique. (Réd. A l’Encontre)
[2] En mai 2016, la centrale syndicale fort modérée Industriegewerkschaft Bergbau, Chemie, Energie (IG BCE) a signé avec Bayer un accord pour «garantir» les emplois et les investissements en Allemagne et ne pas procéder «à des licenciements économiques» selon l’accord qui date, lui, de 2014. A voir. (Réd. A l’Encontre)
[3] L’hebdomadaire allemand Die Zeit, en date du 1er août 2002, consacrait un article à cette question portant le titre ironique suivant: «Desaster ohne Nebenwirkungen», soit «Désastre sans effets secondaires». (Réd. A l’Encontre)
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