Par Myriam François
La conférence des donateurs pour la Syrie organisée le jeudi 4 février à Londres visait à répondre aux besoins des près de six millions de personnes déplacées en Syrie et des plus de quatre millions de réfugiés présents dans d’autres pays en obtenant des engagements de la «communauté internationale» à hauteur de 9 milliards de dollars.
Ces engagements surviennent à un moment où les «pourparlers de Genève», destinés à trouver une solution politique à la crise, se trouvent dans une impasse, alors que le régime syrien intensifie les frappes aériennes contre les territoires rebelles dans la campagne environnante d’Alep, et que l’opposition a annoncé qu’elle ne se joindrait pas officiellement aux négociations sans que les conditions humanitaires soient améliorées, réclamant en outre la libération des prisonniers politiques, la fin des bombardements aveugles et l’acheminement de l’aide dans les zones assiégées.
Bien que l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, Staffan de Mistura, insiste sur le fait que la suspension des pourparlers jusqu’au 25 février reflète «une pause temporaire [et non] un échec», le chef du Haut-Conseil de l’opposition pour les négociations, Riad Hijab, a prévenu que son équipe ne reviendrait pas à Genève si les conditions n’étaient pas remplies, tandis que la délégation du gouvernement syrien a également refusé de lancer officiellement les négociations, craignant que certains dirigeants de l’opposition ne soient ce qu’elle qualifie de «terroristes». En d’autres termes, le processus politique a atteint ce qui ressemble à une impasse.
Dans ce contexte, l’engagement pour apporter une aide aux Syriens déplacés semble être un effort bienvenu visant à remédier à un problème complexe et apparemment insoluble. En effet, la Syrie a été décrite par des représentants des principaux organismes des Nations unies à Damas comme «la situation humanitaire la plus désastreuse du XXIe siècle» et est actuellement considérée par l’UNICEF [voir sur le site UNICEF la déclaration titrée: Syrian Children Under Siege] comme l’un des pays les plus dangereux pour les enfants.
Toutefois, un certain scepticisme entoure également les engagements de cette année. Pour commencer, les conférences précédentes d’aide pour la Syrie n’ont pas abouti aux résultats escomptés: l’an dernier, à peine la moitié de l’objectif avait été réalisé. Et avec l’engagement à hauteur de 3,8 milliards de dollars en 2015, 8,4 milliards de dollars étaient nécessaires selon des sources de l’ONU pour couvrir le coût de l’aide humanitaire, soit une goutte d’eau dans l’océan proverbial, laissant les Syriens dans les camps de réfugiés, entre extrême pauvreté et misère.
Rien qu’au cours des deux dernières semaines, plusieurs dizaines de réfugiés ont trouvé la mort dans un camp reculé à la frontière jordanienne, à un moment où les tempêtes hivernales, les blessures, la malnutrition et les maladies laissent des traces sur le long terme.
En outre, même si les engagements en matière d’aide sont honorés, il n’y a aucune garantie de voir l’aide en elle-même être acheminée. Près d’un demi-million de Syriens vivent actuellement en état de siège, les sièges étant devenus une arme de guerre essentielle employée par le régime et Daech, et des forces rebelles.
Selon l’ONU, près de 75 % des demandes formulées par l’organisation au gouvernement pour acheminer l’aide sont restées sans réponse [et d’autres sont détournées, selon des sources sérieuses, de médecins et membres d’ONG – réd.]. De plus, l’acheminement de l’aide en lui-même s’est retrouvé enchevêtré dans l’imbroglio politique, l’ONU ayant récemment été accusé de politiser l’aide après qu’il est apparu que l’organisation était au courant de l’état de désespoir qui touche la ville assiégée de Madaya [et de plus de dix autres, voir note 1, avec carte], mais a choisi de ne pas le souligner en raison des relations tendues avec le régime.
La politisation de l’aide a été en outre mise en évidence par l’engagement du Royaume-Uni, axé sur une aide visant à apporter des emplois dans les pays de transit afin de persuader les Syriens de rester au Moyen-Orient. Pour de nombreux pays européens, l’aide aux Syriens est moins destinée à trouver une solution à long terme à la crise qu’à maintenir les Syriens à l’extérieur de l’Europe.
Et c’est ici que nous pouvons poser la question très pertinente de savoir si ces milliards seront effectivement utilisés pour mettre fin à la guerre et non pour la prolonger. L’aide pourrait servir à atténuer la misère extrême et à créer un sentiment que les camps, destinés à être temporaires, peuvent constituer en réalité des solutions de vie à long terme pour les Syriens. Mais en fin de compte, cela ne fait que déplacer le problème.
Le Moyen-Orient a déjà dû faire face à des vagues successives de déplacements, depuis la Palestine, l’Irak et maintenant la Syrie, et l’ampleur actuelle des déplacements forcés, associée à un bouleversement politique généralisé, représente un «tournant historique pour la région comme on n’en a jamais connu depuis la fin de la Première Guerre mondiale», par Maha Yahya [The refugees and The Making of an Arab Regional Disorder], associée principale à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.
Le flou dans lequel de nombreux Syriens vivent actuellement ne sera pas éclairci simplement en améliorant les conditions de vie dans les camps de réfugiés, bien qu’il s’agisse clairement d’une priorité urgente. Comme l’avait déclaré en 2014 Amin Awad, ancien chef du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Moyen-Orient, «nous ne pouvons pas subvenir à nos insuffisances politiques en nous focalisant exclusivement sur l’aide humanitaire».
En fin de compte, la fourniture de l’aide en question aux Syriens repose sur la problématique de l’accès, chose que la situation politique actuelle rend quasiment impossible. Il est certain qu’un engagement réel et significatif pour venir en aide aux Syriens doit sérieusement prendre en compte la capacité à fournir cette aide à ceux que l’engagement vise à aider.
Ce dont les Syriens ont réellement besoin, c’est d’une solution politique à la crise actuelle qui leur permettrait de rentrer chez eux, et non d’engagements condescendants à destination de «zones économiques spéciales», un raccourci politique visant à transformer des camps de réfugiés destinés à être temporaires en des campements plus permanents d’où il sera plus difficile pour les réfugiés de partir et de demander l’asile.
Alors que les positions politiques se durcissent à travers l’Europe quant à l’accueil de réfugié·e·s, l’aide ne doit pas être pour l’Europe un moyen de renoncer à sa responsabilité d’accorder l’asile à ceux qui en ont besoin. De même, aucune somme d’argent ne peut remplacer la valeur de la volonté politique nécessaire pour garantir aux Syriens un avenir viable dans leur propre pays. (Article publié dans MEE, le 5 février 2016)
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Myriam François, journaliste franco-britannique, animatrice de radio et télévision, écrit des articles sur l’actualité, la France et le Moyen-Orient.
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