Ni Daech, ni Assad, pour une paix juste

Bachar el-Assad, à Damas, reçoit Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie
Bachar el-Assad, à Damas, reçoit Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie

Les diverses initiatives militaires, en Syrie, d’une coalition hétéroclite contre ledit Etat islamique (Daech) participe d’une réécriture politique propagandiste du «printemps arabe» en Syrie. Le soulèvement massif et pacifique de la population, dès mars 2011, est effacé des mémoires médiatisées. Sont gommées, de plus en plus: la terrible répression du régime Assad, opérée par ses régiments «spéciaux» et par ses criminels mafieux, les chahiba, qui s’approprient les biens des habitants de régions dites sous contrôle du régime, par ses hélicoptères déversant des barils de TNT. L’emprisonnement et la torture effrayante de dizaines de milliers de personnes ont été prouvés par les photos et documents de «César». A cela s’ajoutent la destruction par les chars de quartiers entiers, maison après maison, la dévastation d’hôpitaux et de cliniques, l’utilisation des armes chimiques en août 2013 (ce qui s’est répété au premier semestre 2015).

La réalité de cet «Etat de barbarie», comme l’avait écrit Michel Seurat (Syrie. L’Etat de barbarie, 1989), ne semble plus être la source véritable de la tragédie dans laquelle est plongée, depuis quatre ans, la population de Syrie. Autrement dit, la propagande à la Goebbels de la dictature de Bachar el-Assad, qui démarra dès les premiers jours du soulèvement, acquiert aujourd’hui un pseudo-statut de véracité médiatique. En effet toutes les puissances militaires ainsi que les Etats réactionnaires de la région font de Daech (Etat islamique) le seul ennemi à combattre militairement. Ils valident ainsi le discours dictatorial d’Assad: «Je mène une guerre contre des terroristes manipulés par des forces étrangères. Vous devez reconnaître et comprendre la légitimité de l’autodéfense du régime.»

Présenter le régime Assad comme le pilier d’une «transition vers la normalisation» revient, de facto, à le défendre face à la très large majorité de la population syrienne, qu’elle connaisse le statut d’exilé interne ou de réfugié dans divers pays. De Washington à Moscou en passant par Téhéran – au-delà d’intérêts divergents – est donc soutenue la pérennité du régime. Ce qui rend impossible une paix juste permettant à un peuple supplicié de reconquérir des droits démocratiques et sociaux élémentaires.

Poutine, depuis le 30 septembre, lance son opération de bombardements en Syrie. Les troupes russes appuient le noyau des forces répressives liées au régime d’Assad. Le but du Kremlin est clair: renforcer la position militaire d’un régime qui était de plus en plus affaibli. Pour l’appuyer, Poutine fait appel à Vsevolod Tchapline, chef du Département des Affaires publiques de l’Eglise orthodoxe russe. Ce dernier déclare à Moscou: «La lutte contre le terrorisme est une guerre sainte et, de nos jours, notre pays, la Russie, est peut-être celui qui le combat le plus activement.» Dès 2012, Tchapline affirmait le soutien au président Bachar el-Assad et attribuait à la Russie le rôle de «défenseur des chrétiens du Moyen-Orient qui doivent désormais faire face à un génocide». Poutine trouve dans la hiérarchie catholique orthodoxe la sanctification nationaliste et religieuse de son intervention impérialiste. Le protestant méthodiste G. W. Bush – adepte des citations de Jésus-Christ – avait fait de même en déclarant «la guerre du bien contre le mal» suite aux attentats du 11 septembre 2001, deux ans avant l’intervention américaine en Irak en 2003.

Ce genre de «guerre sainte» chrétienne-orthodoxe n’est pas pour déplaire aux Assad. Ils ont toujours joué simultanément la carte de «protecteurs des minorités religieuses», de «rempart» contre l’islamisme (écrasement de la population de Hama en 1982) et d’une prétendue laïcité. Les forces de Daech ne manqueront pas d’utiliser cette «guerre sainte» moscovite pour conforter leur propre «djihad».

L’histoire de la barbarie coloniale et impérialiste dans la région ne peut être séparée de ce «choc des barbaries» qui est présenté, de manière frauduleuse, comme un conflit irrationnel entre chiites et sunnites. Un conflit qui pourrait illusoirement prendre fin si des acteurs «rationnels» – de Bachar à Poutine en passant par Obama et Staffan de Mistura (envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie) – organisaient une transition avec Assad ou au mieux un assadisme sans Assad. Le peuple syrien étant sacrifié sur l’autel des intérêts concrets des puissances impérialistes, du clan au pouvoir depuis 45 ans en Syrie et des acteurs réactionnaires de la région.

Le président iranien, Hassan Rohani, lors de l’Assemblée des Nations unies à New York, le 28 septembre 2015, a déclaré que le régime de Bachar el-Assad «ne devait pas être affaibli» si «l’Occident souhaitait vraiment combattre le terrorisme». Rohani soulignait que le retrait de Bachar el-Assad transformerait la Syrie en havre pour les «terroristes», terme employé par le régime syrien pour désigner les rebelles et toute opposition. Dès le mois de juin 2015, Qassem Soleimani, le patron de la force Al-Qods, division spéciale du corps des Gardiens de la révolution, déclarait: «Dans les jours qui viennent, le monde va être surpris par ce que nous préparons, en coopération avec les chefs militaires syriens.» La surprise faisait allusion à la reprise de villes perdues par les forces de Bachar telles que Idlib, Jisr al-Choughour, Palmyre. A la même époque, une source provenant des services de sécurité syriens éclairait le sens du renforcement de la présence de troupes iraniennes, du Hezbollah libanais et de milices chiites irakiennes: «Quelque 7000 combattants iraniens et irakiens sont arrivés ces dernières semaines en Syrie pour la défense de la capitale […]. Le plus important contingent est irakien. Le but est d’arriver à 10’000 hommes pour épauler l’armée syrienne et les milices pro-gouvernementales, d’abord à Damas, et dans un second temps pour reprendre Jisr al-Choughour, car c’est le verrou vers la côte méditerranéenne et la région de Hama, au centre du pays.»

Avec l’intervention ouverte de l’aviation russe fin septembre, préparée depuis des mois, le dispositif aboutissant à la remise en selle de la dictature syrienne saute aux yeux. Le pouvoir du Kremlin profite du bourbier dans lequel l’impérialisme américain s’est enfoncé en Irak et en Afghanistan pour élargir sa présence en Syrie (Tartous) et dans la région: relations avec le dictateur Sissi à qui des armes sont livrées et avec le régime sectaire et corrompu irakien de Haïder al-Alabadi. Poutine peut de la sorte accentuer une campagne de propagande nationaliste en Russie. Ce qui contrecarre partiellement les effets impopulaires de la crise économique. Enfin, il justifie tous les moyens répressifs utilisés contre les dits islamistes du Caucase. Pour l’heure, l’effet boomerang possible de sa politique au Caucase ne s’est pas encore concrétisé.

L’administration Obama, qui depuis un an organise avec une coalition hétéroclite des bombardements sur la Syrie contre Daech, critique avec hypocrisie le pouvoir russe de ne pas viser en priorité le même ennemi. Cette même administration, le 10 septembre 2013, dénonçait «un dictateur» qui «viole la loi internationale avec du gaz empoisonné». Or, l’administration Obama, comme d’autres forces impérialistes, se sont toujours refusées à livrer aux rebelles des armes efficaces contre les hélicoptères déversant des barils de TNT et les blindés syriens. Or, depuis 2011, les forces rebelles réclamaient cette aide. Face à ce manque d’appui effectif, des Etats de la région (Arabie saoudite, Qatar, Turquie) ont joué leurs propres cartes en armant des groupes djihadistes, aujourd’hui visés par les Soukhoï russes. L’armée de Bachar avait la même pratique. Une sérieuse étude du Jane’s Terrorism & Insurgency Centre (IHS) démontrait qu’en 2014 seulement 6% des 982 opérations «contre-terroristes» du régime syrien visaient Daech.

Autrement dit, Daech a servi la diplomatie des Assad et de ses protecteurs russe et iranien. Quant à l’aviation états-unienne ou française, elles visent Daech (avec peu de succès), mais ne touchent pas aux forces du régime. Des contradictions existent entre les intérêts des acteurs impérialistes, mais dans ces tensions Assad est celui qui est épargné.

Aujourd’hui, remettre Assad au centre d’une «solution en Syrie» est directement lié pour les puissances impérialistes européennes à un objectif: tarir la source de «la vague de migrant·e·s». L’aveuglement des membres de l’UE est révélé par un simple fait. Tous les rapports des organisations humanitaires indiquent que celles et ceux qui quittent, aujourd’hui, la Syrie sont des ressortissants de régions contrôlées encore par la dictature syrienne. Mais ils ne peuvent plus supporter la barbarie des mafias et des gangsters chahiba qui les extorquent de toutes les manières. De plus, beaucoup d’entre eux veulent aussi échapper à la conscription dans l’armée du dictateur. Les millions de réfugiés se trouvent déjà depuis des mois au Liban, en Jordanie, en Turquie.

Le régime de l’autoritaire Recep Tayyip Erdogan utilise la crise migratoire pour négocier avec l’UE. Les réfugiés seront fixés en Turquie à condition que l’UE supprime les visas pour les Turcs, fournisse une aide d’un milliard de dollars dans ce but et, en plus, qu’elle accepte, en silence, la guerre menée par son armée contre le peuple kurde. La mise en place d’une zone tampon à la frontière turco-syrienne participe du combat contre les Kurdes.

Aucune paix juste et durable pour la population n’est possible en laissant au pouvoir Assad qui, pour rappel, a fait plus de victimes que les criminels de Daech. Les interventions impérialistes et le sauvetage d’Assad prolongent une guerre civile dont le prix humain est terrible. Une aide massive aux réfugié·e·s, une paix, y compris avec la présence de troupes de l’ONU, répondent certainement, aujourd’hui, aux vœux de la très large majorité des Syriens qui espèrent participer à la reconstruction de leur pays conjointement à l’édification d’une société démocratique assurant les doits civiques, civils et sociaux pour toutes et tous. (MPS, 16 octobre 2015)

Ce texte est distribué par le Mouvement pour le Socialisme (MPS) lors de la manifestation organisée à la place des Nations à Genève, le 16 octobre 2015.

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