Entretien avec Marzeni Pereira
Marzeni Pereira était un technicien de l’entreprise Sabesp, soit la Companhia de Saneamento Basico do Estado de São Paulo S.A. La Sabesp est une firme spécialisée dans la collecte, la distribution des eaux et le traitement des eaux usées. Elle a été fondée en 1973. Elle est cotée en Bourse depuis 1996 et fait partie de l’indice Bovespa, soit l’indice phare de la Bourse de São Paulo. Ce qui traduit son poids économique. Son capital est actuellement en mains privées à hauteur de 49,8%; une part significative appartient à des investisseurs internationaux récompensés par le versement de dividendes attractifs. La Sabesp se développe dans de nombreux Etats du Brésil et dans divers pays, parmi lesquels le Costa Rica, l’Espagne, Israël.
Marzeni Pereira a été licencié par la direction de la firme en mars 2015. Un licenciement politique. Marzeni Pereira est un militant du PSOL (Parti du socialisme et de la liberté). A partir de son expérience et de ses qualifications professionnelles, suite à 22 ans de travail dans cette entreprise, il a mis en cause la politique de la Sabesp dans la gestion de l’eau de São Paulo, cette mégalopole de plus de 9 millions d’habitants. La crise actuelle d’approvisionnement en eau donne une actualité accrue aux questions et critiques faites depuis un certain temps par Marzeni Pereira.
Au cours de cet entretien ressortent la complexité de la gestion des ressources hydriques dans une telle région et les impasses induites par les choix dictés par les exigences d’une rentabilité actionnariale. Elles conduisent à ne pas développer le potentiel scientifique et technique d’une structure telle que la Sabesp; à réduire son personnel qualifié et à multiplier les contrats de sous-traitance; à négliger l’assainissement des eaux usées; à exproprier la population, entre autres la plus déshéritée, non seulement de son droit d’accès à l’eau potable, mais de son droit de participation aux décisions stratégique. En outre, la gestion politico-économique de la Sabesp débouche sur une attaque contre les salariés se traduisant par une cooptation de l’appareil syndical et une répression contre ceux qui ne plient pas. Au long de son entretien, qui nous conduit dans des «détails», de facto, fort importants, Marzeni Pereira laisse entrevoir qu’une perspective «écosocialiste» nécessite la mise en valeur de la maîtrise technique et scientifique des salarié·e·s et non pas quelques déclarations de principe. (Rédaction A l’Encontre)
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Correio da Cidadania: Selon des informations publiées récemment, pour la première fois en 31 jours, les niveaux du système Cantareira – système d’approvisionnement en eau de l’Etat de São Paulo, composé de cinq réservoirs interconnectés – sont montés (encore que de seulement 0,1%…) entre dimanche et lundi de la semaine passée (30 et 31 juillet), atteignant environ 19% de la capacité de stockage du réservoir. Qu’est-ce que cela représente?
Marzeni Pereira: En effet, il y a une stabilisation, mais pas une augmentation. Il y a bien eu une augmentation de 0,1%, mais qui est à nouveau retombée. On est maintenant à 18,8%, sauf que ce chiffre représente une valeur négative de 10,5%. En réalité, nous sommes en train d’utiliser 10,5% du «volume mort»[1]. Mais il y a encore un autre problème: il est possible que nous entrions bientôt dans la deuxième partie de ce «volume mort». Au mois de juillet de l’année passée, nous avons dû pomper la partie supérieure. Cette année, nous courons le risque de devoir entrer dans la deuxième dès le début du mois d’août.
Correio da Cidadania: Que pensez-vous de la situation actuelle de l’approvisionnement d’eau, en ayant en tête le fait que beaucoup de spécialistes avaient prévu des situations très compliquées pour cette saison de l’année [c’est actuellement l’hiver au Brésil] et pour l’été prochain [notre hiver 2015-2016]?
Marzeni Pereira: Par rapport à ma première réponse, il y a encore deux éléments aggravants. Nous avons moins d’eau cette année que l’année passée. Nous disposons maintenant d’à peu près 90% de l’eau que nous avions il y a une année. Le second problème est qu’en ce moment, les nappes phréatiques sont plus basses que l’année passée. Avec moins d’eau dans les réservoirs et dans les rivières, il y a un abaissement de la nappe phréatique. C’est ce qu’on appelle l’«effet éponge»: cela signifie que lorsque de la pluie tombe, au lieu de s’écouler et de remplir les rivières et les réservoirs, elle s’infiltre dans la terre et va recharger la nappe.
Cela constitue un problème parce que nous ne savons pas quand il va pleuvoir. Si les pluies continuent à se faire attendre, comme cela s’est produit entre 2014 et 2015 (et qu’il n’a fini par pleuvoir qu’entre février et mars 2015), nous aurons de grands problèmes. Il est fort possible que nous n’ayons pas d’eau jusqu’à février 2016 et il n’y a aucune garantie, par exemple, que nous ayons de l’eau en janvier. S’il ne pleut pas au moins autant qu’il a plu entre 2013 et 2014, nous allons entrer dans une situation de catastrophe ici à São Paulo. On ne peut pas écarter un risque d’effondrement de l’approvisionnement. Nous sommes dans une situation bien pire que ces deux dernières années.
En comparaison avec les deux autres périodes mentionnées, il n’existe qu’un seul facteur favorable: la consommation. Entre 2014 et 2015, dans un contexte d’élections et de stratégie du gouvernement de l’Etat [de São Paulo] qui, pour ne pas affecter son agenda électoral, n’avait pas voulu révéler le problème du manque d’eau, la consommation était plus élevée que maintenant. Au point que nous en étions à fournir autour des 65’000 litres par seconde, provenant de tous les systèmes. Aujourd’hui, nous tirons environ 55’000 litres, ce qui représente plus ou moins 16% de différence.
A titre d’exemple, la consommation provenant du système Cantareira était à cette même période de l’année passée proche des 25’000 litres par seconde. Maintenant, nous sommes aux alentours de 15’000 litres. Actuellement, la quantité d’eau générale est plus faible que l’année passée. Certains réservoirs contiennent peut-être plus d’eau que l’année passée, mais ce sont tous de petits réservoirs en comparaison avec le système Cantareira ou celui de l’Alto Tietê [un des systèmes géré aussi par la Sabesp]
Notre plus grand réservoir est celui de Cantareira, son «volume mort» est quasi trois fois plus important que la totalité de Guarapiranga [lac artificiel situé au sud de la ville de São Paulo]. Des spécialistes pensent que le réservoir de Guarapiranga a aujourd’hui plus d’eau, mais ce n’est pas vrai. Actuellement, c’est le système Cantareira qui a le plus d’eau, bien que ce soit en «volume mort».
Correio da Cidadania: Que pensez-vous des rabais de prix accordés à l’industrie? Ont-ils affecté ou peuvent-ils encore affecter la qualité de vie de la population, ou alors les considérez-vous comme justifiables?
Marzeni Pereira: Nous devons nuancer cette question des rabais accordés à l’industrie. C’est une politique qui avait été adoptée par la Sabesp à une époque où il y avait un concurrent très prisé par l’industrie: les puits. La Sabesp avait alors décidé de s’adresser à ces grands consommateurs qui disposaient de puits d’approvisionnement alternatif en leur faisant la proposition de lui acheter l’eau plutôt que de tirer celle-ci de leurs puits. Ce fut une politique mise en place dans l’urgence et avec beaucoup de pugnacité, au moment où Gesner Oliveira était président de la Sabesp, entre 2007 et 2010.
Ce processus est appelé contrat de demande fixe et privilégie celui qui «dépense» beaucoup. Je le répète, cela a été fait avec l’intention que de tels consommateurs n’utilisent plus les puits. De mon point de vue, c’est une absurdité que d’offrir des rabais à un grand consommateur pour qu’il utilise toute cette eau potable à des fins non potables. Mais c’est la politique que la Sabesp a commencé à adopter durant la période que nous appelons néolibérale.
Je considère également comme erronée la politique consistant à augmenter l’offre et de vendre de l’eau à n’importe quel prix. Si nous ne considérons que l’univers de la consommation de São Paulo, ce n’est pas très représentatif. C’est immoral, mais ce n’est pas très représentatif. Cela ne signifie pas que ce sont les grands consommateurs qui sont seuls responsables de la haute consommation, mais ils font partie d’une politique d’expansion de la vente d’eau.
Malgré le fait que la Sabesp et le gouvernement de l’Etat n’aient pas augmenté la disponibilité en eau issue de diverses sources et aient maintenu pratiquement la même quantité d’eau qu’il y a 20 ans. Il n’y a pas eu non plus de politique de réduction des pertes [dans le réseau de distribution, les pertes sont évaluées, en moyenne, à 37% du total au Brésil, à quelque 30% dans l’Etat de São Paulo] au cours des 25 dernières années. En réalité, il y a eu sur ce point une politique très modérée, menée sans le sérieux nécessaire. Il n’y a pas non plus de politique de réutilisation des eaux usées. Nous pouvons dire que sur ce sujet, les politiques sont ridicules. Il n’existe au sein de la Sabesp que des projets visant à augmenter le volume utilisé, ce qui pour une entreprise tournée vers l’environnement et la santé publique n’a rien de raisonnable.
En résumé: alors qu’elle n’a rien fait pour augmenter les diverses sources d’eau ni pour réduire les pertes et qu’elle n’a pas examiné la question du retraitement de l’eau, la Sabesp a jusqu’ici mené une politique d’augmentation de la vente d’eau. On se trouve donc face à un problème: la courbe de demande d’eau a dépassé la courbe de l’offre. Les ressources hydriques ne supportent pas cela et la moindre période de sécheresse un peu prolongée provoquera, que ce soit aujourd’hui ou dans quelque temps, un manque d’eau à São Paulo. Tout cela en raison d’une politique d’expansion de la vente d’eau.
Correio da Cidadania: Face à cela, quelle analyse faites-vous de la gestion menée par la Sabesp, particulièrement depuis que l’entreprise a commencé à être confrontée simultanément à la situation de pénurie et à celle de ses bénéfices?
Marzeni Pereira: Si la Sabesp ne subissait pas d’ingérence par le capital, d’obligation d’augmenter ses bénéfices [cotation en Bourse de São Paulo] et de collecter des fonds, elle aurait tenu compte de la question de l’approvisionnement d’eau à São Paulo. Le fait est que le discours du gouvernement, tourné vers les élections, a également contribué au problème. L’année passée, quand nous avons eu la certitude que l’été 2013/14 n’avait pas fourni la quantité d’eau nécessaire pour garantir la sécurité hydrique, la Sabesp a élaboré un plan de «distribution alternée » [rodizio] pour toute l’année 2014, afin de garantir qu’il y aurait assez d’eau jusqu’en 2015 et qu’il y en aurait même jusqu’au début de 2016 s’il devait ne pas pleuvoir assez en été 2015.
Mais en raison des élections, le plan n’a pas été mis en place au début de l’année passée. Il ne l’a été qu’au milieu de l’année et de manière camouflée, sans qu’il soit dit que c’était un rodizio. On disait que c’était une réduction de pression et jusqu’à aujourd’hui, on n’assume pas le fait qu’il y a un rodizio. Dans certaines régions, le rodizio se fait sur une alternance 12/12: cela signifie qu’il manque d’eau pendant 12 heures, puis qu’il y a de l’eau les 12 heures suivantes. Dans d’autres lieux, l’alternance est différente. Cela change selon la région, selon la zone de pression. On voit donc que la Sabesp aurait la possibilité de gérer la crise s’il n’y avait pas les problèmes d’ingérence, autant du capital, qui ne veut pas voir ses bénéfices diminuer, que du gouvernement de l’Etat, qui ne veut pas subir de préjudice à l’occasion des élections.
La Sabesp est l’entreprise la mieux préparée du Brésil pour gérer l’assainissement, tant du côté de son personnel technique que de son infrastructure dont aucune autre entreprise au Brésil ne dispose. Mais elle est en train de détruire son propre corps technique en licenciant beaucoup de gens, en n’engageant pas et en ne formant pas de nouveaux professionnels. Ils préfèrent contracter des entreprises de sous-traitance et jouer le jeu politique néfaste du gouvernement.
Le gouvernement de l’Etat a lui aussi cette vision de recherche de capitaux, d’emprunts sur le marché. Lui-même est un grand actionnaire, mais ne met pas d’argent dans la Sabesp. Il ne veut qu’en retirer. Je ne vais pas dire qu’il retire tout, mais il se considère comme un actionnaire ayant droit à sa part et cela est un problème. Pour que vous vous fassiez une idée, au cours des onze dernières années, entre 2003 et 2014, la Sabesp a distribué en dividendes 4,5 milliards de reais. Si elle était une entreprise tournée vers l’assainissement et non vers la distribution de dividendes, elle investirait, avec ses bénéfices, massivement dans l’assainissement.
Revenons au rodizio : pour éviter d’y avoir recours au début de l’année passée, un autre plan a été mis en place et je le considère comme intelligent. Mais il doit être assumé en tant que tel. Le problème est que la Sabesp a mis en place un rodizio et qu’elle n’assume pas. Elle devrait dire: «Nous avons mis en place un rodizio et si nous n’avions pas fait cela, il n’y aurait déjà plus d’eau.»
Le rodizio d’heures qui a été mis en place maintenant et qui consiste à fermer les robinets entre 10 et 12 heures par jour, fait que les pertes diminuent. Si nous avons eu autrefois dans le secteur d’approvisionnement des pertes allant jusqu’à 30%, celles-ci ont chuté à 20 ou même 15%, puisque durant la moitié de la journée il n’y a ni perte ni fuites. La politique de réduction du temps de pressurisation du réseau contribue de manière significative à en réduire les pertes. Mais d’un autre côté, cette politique comporte un risque de contamination du réseau.
La méthode consistant à pressuriser le réseau durant une période de la journée et à le fermer durant une autre période de la même journée est une méthode qui pénalise moins la population. Il a par exemple été dit qu’il était prévu un rodizio de cinq jours sans eau et de deux jours avec eau, mais ce qui se produit est un rodizio quotidien de 3/1. Nous avons une partie de la journée (6 heures) avec eau et trois parties de la journée (18 heures) sans eau, ce qui équivaut à six jours sans eau et deux jours avec eau. C’est un rapport de 3 pour 1 alors que l’autre modèle est de 2,2 pour 1. Mais l’actuel rodizio de 3 pour 1 pénalise moins la population, parce que la grande majorité des gens ont un réservoir d’eau leur permettant de stocker celle-ci. Et celui qui n’en a pas rempli des seaux. Si c’était un rodizio de type 5/2, la pénalisation serait beaucoup plus grande.
Le problème du rodizio de 3 pour 1 est qu’en raison d’une variation de pression très grande, ce système abîme les réseaux de manière brutale. Pendant la période où le réseau est pressurisé, il se trouve avec 50, 60 mètres cubes d’eau, même plus dans certains endroits. Dans d’autres périodes, il se trouve à zéro, c’est-à-dire que c’est une variation de pression très forte au cours d’une journée et cela porte des coups au réseau. Cela peut même abîmer tout le «maillage» d’approvisionnement de la Sabesp, si on poursuit avec ce système sur une période plus longue. C’est un processus que nous nommons une fatigue, puisque cela provoque une usure des réseaux.
Cela n’a pas encore été révélé dans les médias. Et c’est peut-être même la première fois que c’est dit: si elle devait continuer avec ce système de fermer et ouvrir chaque jour, la Sabesp pourrait, dans la prochaine période, venir à en souffrir et à devoir changer tout son réseau. La «fatigue» augmente et les réseaux peuvent éclater. Le risque est plus grand là où il n’y a pas de système d’admission d’air ni de ventouse [pour diminuer la pression sur les parois des tuyaux, comme la pression entre une vitre et une ventouse collée sur elle est faible].
Correio da Cidadania: Parlons du gouvernement de l’Etat de São Paulo. Comment évaluez-vous ses moyens d’action depuis que la crise de l’eau a commencé? Y a-t-il eu un mouvement allant dans le sens d’une amélioration de ces réseaux, de taxation supérieure des firmes?
Marzeni Pereira: Je considère que le gouvernement continue à agir de manière irresponsable et que les médias qui le protègent sont de connivence avec lui dans l’irresponsabilité, et même qu’ils sont complices. Qu’est-il en train de se passer? Il y a une nouvelle croissance de la consommation d’eau à São Paulo. Nous avons déjà été à 50’000 litres par seconde et voilà que nous sommes en train de revenir à 60’000. Et cette consommation va augmenter à nouveau en période plus chaude.
Il n’existe aucune garantie qu’il va pleuvoir l’été prochain. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne va pas pleuvoir, ce n’est pas cela. Je suis le premier à prier pour qu’il pleuve. Mais il n’y a aucune garantie. Personne ne peut dire s’il va ou non pleuvoir d’ici à deux ou trois mois. Dans l’incertitude, que doit-on faire? On doit agir avec précaution. C’est ce que devrait être la politique. Quand le gouvernement dit qu’il ne va pas y avoir de manque, il dit à la population de rester tranquille, qu’elle peut gaspiller comme elle veut. Il n’y a aucun sens à dire qu’il ne va pas manquer d’eau et d’en même temps en stimuler l’économie.
Et voyez comme les médias commerciaux sont malins pour cacher le fait que le gouvernement se conduit de manière irresponsable dans la situation actuelle. Imaginez que nous sommes en train d’entrer dans la seconde partie du «volume mort» du système Cantareira. En septembre 2015, le débit du Cantareira va être réduit de 15 mètres cubiques par seconde – ce qui correspond celui d’aujourd’hui – à 10.
Les autres systèmes vont devoir secourir le Cantareira alors qu’ils ont déjà besoin de secours eux-mêmes. Le Alto Tietê, par exemple, qui a moins d’eau que l’année passée, va devoir secourir le Cantareira. Et comment va-t-il secourir le Cantareira s’il n’a pas d’eau lui-même? Quant au Guarapiranga, c’est un petit système, on a augmenté sa capacité de traitement de l’eau, mais non sa capacité de réserve. Le problème ne réside pas dans le traitement mais dans le réservoir qui, s’il est petit, n’a pas de capacité.
Ainsi, ne pas dire à la population que la crise n’est pas terminée, ne pas dire à la population qu’il y a encore un risque de collapsus et qu’il existe un risque de contamination du réseau, c’est un crime. C’est absurde de ne pas dire cela. Au minimum, il faudrait intenter un procès contre le gouverneur de l’Etat de São Paulo [Geraldo Alckmin, du Parti de la social-démocratie brésilienne]. Parce qu’il y a là un crime environnemental, un crime de santé publique et un crime de responsabilité. Rien que cela. Et comme personne ne dit rien… Ou, quand on en parle, ce sont les médias qui, de manière simpliste, sortent leurs nouvelles sur le climat et cherchent à ne lier la crise de l’approvisionnement qu’avec le manque de pluie. C’est un mauvais service qu’ils nous rendent.
Correio da Cidadania: Au-delà des questions administratives liées à l’Etat de São Paulo, vous avez affirmé dans une interview de 2014 que la crise était due aussi au modèle de développement et de consommation spécifique à l’agronégoce. Dans ce sens, que pensez-vous de la manière dont le sujet est présenté au public?
Marzeni Pereira: De plus en plus, l’agronégoce brésilien est en train d’augmenter sa part dans l’économie et de gagner de plus en plus de force dans les organismes politiques, spécialement au Congrès national. Il flexibilise toujours plus la législation environnementale, voyez le code forestier qui a subi un recul.
J’ai fait des recherches et j’ai trouvé un élément très intéressant donné par le Ministère de l’Industrie et du Commerce. En 2013 seulement, pour les quatre produits que sont la viande, le soja, le blé et le café, l’agronégoce brésilien a exporté l’équivalent de 200 trillions de litres d’eau, ce qui correspond à 10 années d’approvisionnement d’eau de la région métropolitaine de São Paulo. Seulement pour que vous puissiez vous faire une idée de ces chiffres: ce sont plus ou moins 200 systèmes Cantareira qui ont été exportés en 2013, seulement avec ces quatre commodities. Une telle consommation est absurde et la liberté que l’on a d’exporter des marchandises qui ont un coût environnemental si élevé l’est aussi. Il est certain que tout cela a des conséquences sur les populations des villes mais aussi sur les populations indigènes et riveraines. Quand l’agronégoce fait usage de l’eau, non seulement il l’utilise, mais, de plus, il l’empoisonne. Et toute personne qui se sert de cette eau finit par être empoisonnée elle aussi.
Le coût environnemental de l’agronégoce est très élevé et son «retour sur investissement» est très faible. La quantité d’emplois qu’il génère est minime. Dire seulement qu’il n’apporte pas de dettes pour le pays est un simple artifice comptable. Et ils osent dire encore que la balance commerciale est favorable? De mon point de vue, l’agronégoce n’apporte aucun bénéfice. Nous devons absolument avoir une discussion sérieuse sur ce sujet, afin de déterminer quels sont ses bénéfices et quels sont ses maléfices. C’est important pour le pays.
Correio da Cidadania: Quelles sont les perspectives pour la population à moyen terme? Quelles politiques doivent-elles être appliquées par les gouvernements pour que le problème de l’eau puisse être résolu?
Marzeni Pereira: Le court terme est le suivant: la population va devoir continuer à économiser. Bien que la consommation domestique tourne autour de 8% au Brésil, nous devrons économiser. Le problème est que personne ne discute des économies à réaliser dans l’industrie ou dans l’agriculture. On ne parle que des 8%. Du 92% restant, personne ne parle. Mais même sur ces 8%, je pense qu’il est important que les gens économisent. La région métropolitaine de São Paulo parviendra à préserver l’eau pour plus longtemps si elle l’économise.
Il faut cependant aussi prier pour qu’il pleuve, parce que si ce n’est pas le cas, les choses vont se compliquer. Mais en soi, cela ne va pas suffire. Il faut une politique agressive de collecte, de traitement et d’utilisation de l’eau de pluie. Ici, à São Paulo, nous avons un potentiel de récolte d’eau de plus de 15 mille litres par seconde (c’est une moyenne annuelle, entre octobre et mars, on arrive à récolter beaucoup d’eau de pluie, alors que dans les périodes de sécheresse, on en récolte évidemment beaucoup moins). C’est le chiffre avancé par le Cantareira aujourd’hui.
Ainsi, imaginez ce que cela serait s’il y avait un programme de récolte d’eau de pluie conduit par la Sabesp. Cela n’a pas de sens que chacun le fasse dans sa maison, il pourrait y avoir des problèmes de contamination et d’épidémies. A court terme, un projet de récolte et de traitement des eaux de pluie pourrait être mis en place, c’est-à-dire que le gouvernement lui-même devrait le stimuler, avec des techniciens, de l’argent, des projets, y compris des appels d’offres. Il serait ainsi possible de faire une bonne récolte sur le court terme.
Pour que nous puissions nous faire une idée: les mois où il pleut le moins, cela tourne autour de 40 mm. Dans une maison de 100 mètres carrés, il devrait donc être possible de récolter près 4000 litres en un mois, ce qui donnerait de l’eau pour environ 15 jours pour les résidents. Malheureusement, un tel projet n’est pas dans l’intérêt de la Sabesp. Qu’en serait-il de sa récolte de fonds? De cette manière, la raison mercantile empêche que le gouvernement fasse une campagne sérieuse; il préfère courir le risque de collapsus plutôt que de lancer un projet comme celui-là.
A moyen terme, nous devrons exiger la réétatisation de la Sabesp et mettre l’assainissement sous le contrôle de la population. C’est essentiel. Sans doute aurons-nous à repasser par des crises comme celle que nous vivons, mais le problème est surtout de savoir si nous voulons continuer à commettre les mêmes erreurs en récoltant de l’argent avec l’assainissement et en le donnant aux actionnaires privés sous forme de dividendes.
Les gains obtenus par l’assainissement doivent être réinvestis dans l’assainissement. Cela se passe ainsi en France, où l’on est en train de réétatiser et de remunicipaliser l’assainissement des eaux. Plusieurs municipalités françaises avaient un assainissement privatisé et elles en ont aujourd’hui repris une partie significative.
L’Etat a donc repris la main et a même réduit la facture, à l’inverse de ce qui se passe chez nous, où, en additionnant les réajustements que nous avons déjà eus en 2015, il y a eu une augmentation de 22,7% de la facture de l’eau. Et la Sabesp est en train de prévoir une nouvelle augmentation de tarif. Cela avec un taux d’inflation se situant aux environs de 10%.
D’un autre côté, nous ne pouvons la réétatiser et la confier aux mains d’un gouvernement financé par les grandes entreprises, principalement en périodes électorales, quel que soit d’ailleurs le parti en question. En plus du fait d’étatiser, nous devons créer des mécanismes pour que la population ait accès à la gestion de l’entreprise. Il n’y a pas de sens à ce que la population paie la récupération des eaux usées pour que celles-ci soient jetées n’importe où, sans traitement, dans le cours d’eau le plus proche. La population paie pour collecter et traiter, non pas pour chasser un problème. Pas même la moitié des eaux usées sont traitées à São Paulo. A moyen terme, nous devons réfléchir à cette question.
Il est également nécessaire de penser à réduire les pertes. Il n’est pas possible d’être en plein XXIe siècle et d’avoir des pertes à hauteur de 30%. C’est un chiffre très élevé qu’il est possible d’abaisser. Pour cela, nous devons en finir avec la sous-traitance dans la gestion des réseaux de l’eau et dans les connexions entre les différents systèmes. Cette connexion relève d’un travail spécifique qui a besoin d’une main-d’œuvre spécialisée afin de ne pas connaître des pertes aussi importantes. Les entreprises sous-traitante ne forment pas la main-d’œuvre, ce qui cause une série d’erreurs fatales pour le système d’approvisionnement.
En plus de cela, il a une très forte rotation des travailleurs tertiarisés. Alors que le personnel technique de la Sabesp reste en moyenne 15 ans dans l’entreprise, les employés de la sous-traitance ont des contrats d’une durée de deux ou trois ans. C’est une période d’accumulation d’expérience. Mais dès qu’ils commencent à comprendre les choses, le contrat est terminé. Il est nécessaire d’en finir avec ce système de sous-traitance.
Il faut aussi que la Sabesp rompe avec les cartels des entreprises qui vendent les matériaux avec lesquels on construit les réseaux, par exemple les fabricants de PVC ou de tuyaux en fonte.
Il existe un lobby pour les achats, même s’il existe des matériaux qui assurent un écoulement de meilleure qualité. Un tuyau de PVC a un raccordement tous les six mètres; un tube de PEHD (Polyéthylène Haute Densité), lui, peut avoir un raccordement à chaque 100 mètres, avec une soudure de qualité, ce qui présente moins de possibilité de fuites.
Correio da Cidadania: Pour conclure, de quelle manière peut-on mettre en relation cette phase de sous-traitance avec la crise dans la gestion de la Sabesp, autant sur la question de l’approvisionnement de l’eau que sur celle des licenciements?
Mareni Pereira: J’ai été licencié de la Sabesp le 16 mars 2015. J’ai reçu un avis de licenciement et je n’ai pas confirmé sa réception, parce que je n’acceptais pas ce licenciement. Eux ont justifié le licenciement par un problème de liquidités comptables. En réalité, il y a eu une réduction des rentrées d’argent, mais ce ne sont pas les travailleurs qui ont causé ces problèmes de caisse. Ces problèmes sont survenus en raison de la réduction de la consommation que le gouvernement a lui-même encouragée et qui est, certes, nécessaire en raison de la crise d’approvisionnement.
Le Secrétariat de l’Environnement de l’Etat de São Paulo faisait déjà la prévision qu’entre 2015 et 2018 il pourrait y avoir une crise d’approvisionnement. Entre 2014 et 2015 seulement, il y a eu près de 600 licenciements. Mais comme l’année passée était une année électorale, quasiment tous les licenciements se sont produits maintenant, en 2015.
Quant à moi, j’ai reçu ma notification de rupture de contrat et mon licenciement hors de la procédure normale, à la fin de l’année passée. La justification était mon militantisme et mon militantisme sur le thème de la crise de l’eau qui impliquait des critiques à l’égard du gouvernement. Il y avait déjà eu des velléités de la part de la direction de l’entreprise pour me licencier. Moi et quelques autres étions visés. A la fin de l’année passée, j’ai reçu un coup de téléphone pour me dire que je serais licencié. Pourtant, malgré mon militantisme, j’étais reconnu à la Sabesp comme étant un travailleur sérieux faisant du bon travail.
Il est absolument clair que j’ai été puni pour mes engagements. J’ai accordé plusieurs entretiens à des médias «alternatifs» et la Sabesp dispose d’un moteur de recherche où apparaît tout ce qui sort dans les médias. C’est alors publié à l’interne et archivé. Tout le monde à la Sabesp a par exemple été au courant de l’interview que j’ai accordée en février de cette année à El Pais. Et moins d’un mois plus tard, j’ai d’ailleurs été licencié.
La volonté de réduire le nombre d’employés de l’entreprise date de 1995 [en an avant l’entrée en Bourse]. Il y a dix ans, la Sabesp comptait environ 18’000 travailleurs. Aujourd’hui, nous sommes moins de 14’000. Le syndicat lui-même porte une responsabilité. Nous avons un syndicat dont la direction est là depuis longtemps et qui travaille comme une espèce d’allié du gouvernement et des actionnaires. Chaque année, le licenciement de 2% du nombre d’employés est inclus dans un accord collectif. Cette année, ils ont licencié 2% du personnel, cela en plus des départs à la retraite. Et il n’y a eu aucun reclassement d’employés licenciés. Ainsi, en période de crise, la Sabesp licencie et fait appel à des employés de sociétés sous-traitantes (ou d’intérim) appartenant justement aux entreprises qui financent les campagnes électorales.
Il y a une vision de ces administrateurs néolibéraux selon laquelle c’est le secteur privé qui fait bien le travail et non le secteur public. Dans la réalité, le secteur public peut faire du très bon travail s’il le fait avec sérieux et qu’il n’est pas soumis aux partenaires privés. Le travail effectué par la Sabesp est sans doute bien meilleur que celui qui est effectué par les entreprises. Autre chose encore: le travail sous-traité est aussi plus cher, en plus d’être de qualité inférieure. Nous devons le dire noir sur blanc. La politique de l’entreprise comme du gouvernement est de réduire le nombre d’emplois et ils vont de plus sous-traiter, y compris, le cœur de métier de l’entreprise.
Pour revenir à la question du syndicat: il y a eu le licenciement de 604 travailleurs cette année et il n’y a pas eu un seul jour de débrayage. Ils ont passé un «accord de paix du travail» dans lequel le syndicat s’engageait à ne pas faire grève et l’entreprise à ne pas licencier davantage. Il avait été promis d’entrée qu’aucun travailleur ne serait licencié d’ici à la fin des négociations si le syndicat s’engageait à ne pas faire grève. Mais l’entreprise avait déjà licencié. Il y a donc clairement une connivence.
L’année passée, le syndicat a signé l’accord collectif avant l’échéance, cela afin de ne pas fâcher le gouvernement, puisqu’il y avait la possibilité de faire grève autour des dates de la Coupe du Monde. Cet accord au rabais a été passé au mois d’avril 2014, avant la date d’échéance, en mai. Cela ne s’était encore jamais produit. Les accords avaient toujours été conclus après le mois de mai, jamais avant. Et on a inclus une nouvelle clause, prévoyant le licenciement de 2% supplémentaires parmi le personnel technique. Avec cela, plus de licenciements sont donc prévus pour septembre 2015. Cela compromet encore plus l’approvisionnement en eau. (Traduction A l’Encontre; publié sur le site en ligne Correio da Cidadania, en date du 4 août 2015)
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[1] Le «volume mort» est la partie stockée dans un système hydraulique mais qui en principe n’est pas ou plus difficilement récupérable. Exemple: le fond d’une cuve ou la tranche la plus profonde d’un barrage hydraulique. Fait partie du «volume mort» l’eau dans les canalisations et les tunnels, ce qui n’est pas négligeable dans un système complexe.
Le volume total d’un bassin de rétention est défini ainsi par la somme du volume mort et du volume utile. Le volume mort est le volume qui ne peut pas sortir du bassin de rétention sans pompage, c’est-à-dire le volume contenu en dessous de la canalisation aval. Le volume utile est le volume contenu dans le bassin de rétention au-dessus du volume mort.
Les différents volumes sont définis sur le schéma ci-dessous.
Une vision plus complète et éclairant la complexité est donnée par le schéma ci-dessous du système Cantareira.
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