Argentine. «Le kirchnérisme, étape supérieure du ménémisme»

Cristina Kirchner en«compagnie» de Daniel Scioli et Carlos Zannini
Cristina Kirchner en«compagnie» de Daniel Scioli et Carlos Zannini

Entretien avec Miguel Bonasso
conduit par Fabian Kovacic

Polémique comme à son habitude, le journaliste Miguel Bonasso a accordé un entretien à Brecha. Son dernier livre est intitulé: Ce que je n’ai pas dit dans “Recuerdo de la muerte” [Souvenir de la mort], ouvrage qui avait été publié en 1984. Recuerdo de la muerte est un livre de «non-fiction» qui retrace des actions criminelles de la dictature, comme la séquestration en Uruguay d’un militant montoneros, son transfert dans ce haut lieu de la torture – aujourd’hui musée – qu’était l’ESMA (Ecole de Mécanique de la Marine) et sa fuite lors du Mondial de football, en juin 1978.

La thèse du dernier livre de Miguel Bonasso est que, 30 ans après la restauration de la démocratie, l’Argentine est toujours gouvernée depuis les sous-sols par les services de renseignement et des fonctionnaires corrompus, le tout sous le monitoring de l’empire états-unien. Et d’après lui, cette thèse s’applique à tous les gouvernements dits progressistes de la région.

Miguel Bonasso est né en 1940. Au début des années 1970, il rejoint les rangs des Montoneros, dont il critiqua l’orientation militariste croissante, aux côtés de Rodolfo Walsh et Juan Gelman. Poursuivi par la dictature militaire, il vécut dans la clandestinité, puis se réfugia au Mexique et, par la suite, à Rome. C’est de cette ville que fut lancée par la direction des Montoneros la catastrophique «contre-offensive» – retour massif de militants en Argentine – qui aboutit à leur massacre et/ou à leur disparition. La rupture avec l’organisation Montoneros fut dès lors consommée.

En 2007, peu de temps après que Cristina Fernandez de Kirchner succède à son mari – Néstor Kirchner – à la présidence de l’Argentine, Bonasso, député, rompt avec le soutien accordé à la présidente. Entre autres suite au veto présidentiel prononcé contre la loi qu’il avait proposée concernant la préservation des ressources hydriques glacières. Cette loi impliquait l’interdiction de forages pétroliers et l’exploitation minière. La tonalité «développementiste» de ses critiques au kirchnérisme traduit aussi sa trajectoire politique. Le kirchnérisme est souvent caractérisé comme «progressiste» par certains courants de la gauche en Europe. Une des facettes du kerchnérisme est exposée, dans un style abrupt, par Miguel Bonasso.

La proximité passée de Bonasso avec «les Kirchner» explique la première question. Cet entretien donne un éclairage. (Rédaction A l’Encontre)

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Ce livre constitue-t-il une vengeance contre le couple Kirchner?

Je crois qu’il transcende la question des pro et des anti-Kirchner. Même si le livre contient des critiques au gouvernement, il met surtout en cause le fait que les services secrets – en particulier celui connu sous le nom de SIDE (Secrétariat du renseignement de l’Etat) et d’autres services de la Police fédérale – sont restés en place tout au long de ces trente années de démocratie. Même si les règles du jeu ne sont pas les mêmes que sous la dictature, nous sommes tous espionnés. Il y a 14 services fédéraux de renseignement dans le pays, auxquels il faut ajouter les 24 départements de renseignement des polices provinciales. Dans ce livre, je mentionne – bien avant qu’il ne soit tué en février de cette année – le procureur Alberto Nisman et ses liens avec l’ex-chef des renseignements Jaime Stiusso. Je parle aussi de son ex-épouse, la juge Sandra Arroyo Salgado, et de ses liens avec la SIDE. Plusieurs passages de ce livre anticipent sur les événements. J’ai consacré une partie importante aux Kirchner dans la mesure où ils se sont présentés comme étant les seuls à préserver les droits humains.

Pourquoi ce titre: Ce que je n’ai pas dit dans «Recuerdo de la muerte» pour parler des trente dernières années de démocratie ?

portada-blog-05Le titre est délibérément ambigu. Ce sont des trucs que j’ai appris d’Alexandre Dumas, le romancier que j’admire le plus, des trucs de feuilleton pour accrocher le lecteur. Ce que je n’ai pas dit dans Recuerdo de la muerte est ce que je ne pouvais pas imaginer qu’il arriverait. Comment pouvait-on imaginer qu’un corps secret de la Police fédérale avec plus de mille agents – qui n’ont pas le droit de dire qu’ils appartiennent à cette corporation – continuerait à exister en 2015? Comme s’il s’agissait d’une loge secrète, mais dépourvue d’objectifs patriotiques, qui a pour mission de s’infiltrer dans des organisations sociales. Il faudrait demander à la présidente Cristina Fernandez pourquoi elle n’a pas éliminé ces services. Mais c’est une question que l’on pourrait poser à tous les gouvernements démocratiques qui se sont succédé en Argentine au cours de ces 32 ans.

Pourquoi les services de renseignement avec leurs obscures machinations ont-ils survécu sans que personne n’ose les décapiter ou les réformer?

Très concrètement, cela est dû à l’Etat capitaliste et à son ultima ratio qui est la violence. J’admire de plus en plus Karl Marx, je pense que le vieux barbu a vu les choses très clairement. Le dernier recours du capitalisme est la violence, que l’Etat applique lorsqu’un conflit social dépasse les bornes. Dans ce cas, le gouvernement argentin dispose de nombreux Milani [César Milani, l’ex-chef de l’armée] qui peuvent appliquer cette violence. On n’a jamais cessé d’espionner les Argentins. La dictature a été si dure et si terrible que nous avons tous cru que la démocratie du style états-unien, qui est celle qui domine en Argentine, était le paradis et que nous étions sortis de l’enfer. Or, être chômeur dans cette société fait subir une violence terrible; vivre comme chômeur à Buenos Aires aussi. Combien d’Argentins meurent à cause de l’indigence? Peut-être beaucoup plus que ceux qui sont morts au cours de la «sale guerre».

Comment se fait-il que des gouvernements comme ceux de Cristina Fernandez, de Tabaré Vazquez (Uruguay), de Dilma Rousseff (Brésil) ou de Rafael Correa (Equateur) soient identifiés comme progressistes par des millions d’électeurs qui renouvellent leurs mandats?

Ce sont des effets liés aux mots d’ordre traditionnels pour lesquels le mouvement socialiste mondial a lutté contre l’exploitation. C’est un problème de discours. L’Argentine a été exploitée de manière déplorable: sa campagne est soumise à la dispersion de glyphosate [pesticide] de Monsanto qui provoque des cancers chez des milliers de personnes; on est en train de détruire les réserves d’eau potable constituées dans les glaciers de la Cordillère des Andes. C’est le blocage de la loi sur la protection des glaciers qui a entraîné ma rupture totale avec le couple Kirchner. Le ménémisme (référence à Carlos Menem, président de 1989 à 1999) a vendu les bijoux de la grand-mère, mais ce gouvernement a vendu directement la grand-mère.

Pourquoi cette rupture avec le kirchnérisme?

Je n’ai jamais été enrôlé dans le Parti justicialiste (PJ), ni dans le kirchnérisme, mais j’ai été proche par le jeu des alliances. Même dans les années du gouvernement de Héctor Campora, en 1973, je n’étais pas du PJ, mais de la Jeunesse péroniste (JP), qui était le groupe qui exprimait la rébellion. L’ordre de ces deux lettres a une certaine importance! Le PJ exprimait le conformisme et était un outil électoral; alors que la JP était un instrument de lutte. J’avais déjà des divergences avec le kirchnérisme, mais pour moi le vase a débordé lorsqu’ils ont tardé à réglementer la loi sur les forêts…

D’après vos critères, il ne s’agit donc pas d’un gouvernement progressiste?

C’est un gouvernement qui a manié quelques questions progressistes et qui a parfois pris des mesures importantes. Je considère qu’il était correct de nationaliser les AFJP (Administradora de fondos de jubilaciones y pensiones – fonds de retraite) et j’ai voté en conséquence en tant que député. Mais, je ne suis pas d’accord avec le modèle général, qui est un modèle de déprédation. Les campagnes sont dominées par les semences transgéniques et le pouvoir monopolistique de Monsanto, qui entraînent des conséquences pour la santé humaine, car la folie du soja porte préjudice à d’autres productions et appauvrit le sol. Les grandes entreprises minières sont régies par le même concept: l’extraction se fait à un prix ridicule pour l’Etat et avec des conséquences mortelles pour la population future.

Dans les provinces de San Juan et de Rioja l’eau est rare parce qu’il s’agit de zones désertiques. Les glaciers produisent de l’eau, mais ils sont détruits par l’industrie minière à cause de quelques gouverneurs qui se prennent pour des seigneurs féodaux et qui utilisent les ressources nationales comme s’il s’agissait de leur propriété privée.

Comment croire au progressisme kirchnériste alors que le régime accepte cette méga-exploitation extractiviste qui risque de renvoyer l’Argentine à l’ère coloniale, quand nous vendions des matières premières? Nous sommes à nouveau dans le monde d’Eduardo Galeano lorsqu’il écrivait Les veines ouvertes de l’Amérique latine. On nous prend nos matières premières, on gère nos finances et une brochette de banquiers et d’industriels est en train de fermer les usines. Et quand les travailleurs protestent auprès du gouvernement, celui-ci leur envoie la gendarmerie pour les réprimer. C’est le gouvernement qui a fait le plus de morts et d’inculpés depuis le retour de la démocratie.

Qu’est-il donc arrivé à ce progressisme dans lequel se reconnaissaient les Mères de la Plaza de Mayo, Bonasso, la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et tant d’autres dirigeants fondateurs du Frepaso [Confédération de partis politiques de gauche constituée en 1994]? Qu’en est-il de ce progressisme qui semble aujourd’hui à moitié brisé?

La question est complexe. Il y a des choses qui ne sont pas devenues publiques, mais sur lesquelles personne ne peut me contredire. En 2004, nous sommes allés avec ma femme, Ana Skalon, qui est décédée depuis, souper à Los Olivos, la résidence présidentielle. J’ai proposé à Nestor et à Cristina de dissoudre la SIDE et de juger les membres ayant commis des actes délictueux. Ils se sont regardés, et je me suis rendu compte que j’avais été vaincu.

Daniel Scioli et Raoul Castro, le 23 juillet 2015
Daniel Scioli et Raoul Castro, le 23 juillet 2015

C’est au début de 2003 qu’a eu lieu ma première rupture avec les Kirchner, suite à une discussion de deux heures que j’ai eue à la Casa de Santa Cruz, en pleine capitale. Nestor venait de nommer Daniel Scioli en tant que co-équipier [vice-président de 2003 à 2007, actuel candidat à la présidence lors des élections d’octobre 2015, et gouverneur de la province Buenos Aires, reçu le 23 juillet 2015 à Cuba par Raul Castro pour une rencontre fraternelle», selon Granma]. Je lui ai dit qu’il faisait fausse route, que nous faisions ainsi entrer le ménémisme dans le gouvernement sous des prétextes bidon. Kirchner m’a alors dit des choses terribles: «Dans les années 1970, nous vous obéissions et nous ne demandions pas pourquoi.» Je ne lui avais jamais donné un ordre, il était à la périphérie du mouvement. Quand je lui ai demandé pourquoi il faisait des choses comme la nomination de Scioli, il m’a répondu: «Parce que je suis aussi péroniste et aussi parce que, comme le disait le général Péron, les maisons se fabriquent aussi avec des briques de bouse.» Bien sûr, je lui ai répondu, le problème est que quand il pleut les murs deviennent humides et ils sentent la merde. Et ce gouvernement sent la merde.

Sur la question des droits humains, ne voyez-vous pas une politique cohérente?

Le kirchnérisme a étatisé les droits humains, non pas comme un bien de l’Etat en termes hégéliens, comme expression du bien commun, mais comme l’expression d’une faction qui gère l’Etat et n’a pas envie de s’en aller. La formule Scioli-Zannini [Carlos Zannini est candidat à la vice-présidence; il était très proche de Nestor Kirchner dès 1983 et fut un de ses proches collaborateurs dans la province de Santa Cruz] est l’expression parfaite de cette politique de pérennité.

Hebe Bonafini et César Milani
Hebe Bonafini et César Milani

Les droits humains restent liés aux oscillations de cette faction qui détient le pouvoir. Il s’agit en réalité d’une manière de les privatiser. Tout cela s’accompagne d’attitudes plus ou moins grossières de la part de représentants du mouvement historique des droits humains comme Estela Carlotto [présidente des Grands-Mères de la Place de Mai; elle a retrouvé en 2014 le fils de sa fille, Laura, et de son compagnon – tous deux assassinés par les militaires comme Montoneros]. Ou encore Hebe de Bonafini [elle fut présidente des Mères de la Place de Mai, dont la première initiative publique date de 1977]. Hebe Bonafini a embrassé publiquement le général César Milani. [Milani a été l’objet de dénonciations pour son rôle, comme jeune militaire, en 1976, dans l’«Opération de réorganisation nationale», puis d’accusations de malversation de charges publiques; il a été nommé lieutenant général en fin 2013 appuyé par Cristina Kirchner. Milani a démissionné pour «des raisons strictement personnelles» en juin 2015. Il fut soutenu par Hebe Bonafini; celle-ci a été fortement critiquée par l’association des Mères de la Place de Mai Linea Fundadora et d’autres ONG défendant les droits humains.]

Ou alors surgissent des personnages comme Anibal Fernandez [secrétaire général de la présidence du péroniste Eduardo Duhalde, ministre de l’Intérieur de 2003 à 2007 sous Nesto Kirchner, puis chef de cabinet de Cristina] qui a fait partie du pacte entre Kirchner et Eduardo Duhalde pour que ce dernier ne soit pas soumis à une enquête suite à ses affaires en lien avec des substances psychotropes. Et Hebe lui livre le mouchoir blanc [symbole des revendications des Mères de la Place de Mai], en oubliant qu’il ne lui appartient pas, qu’il représente les milliers de personnes qui ont combattu le régime militaire ou qui ont été des opposants politiques.

Léonie Duquet (à gauche) arrivée en Argentine en 1948, et Domon (à droite), arrivée en 1967
Léonie Duquet (à gauche) arrivée en Argentine en 1948, et Domon (à droite), arrivée en 1967

Je suis parmi ceux qui ont le moins souffert, je n’ai subi que l’exil et je me considère comme étant privilégié, mais des milliers d’autres ont été tués dans la lutte ou sous la torture. Et voilà que Estela Carlotto défend Milani avec l’argument qu’il était trop jeune lorsqu’il a participé à la sale guerre. Milani avait alors 23 ans, le même âge qu’Alfredo Astiz [dit «l’ange de la mort»] lorsqu’il a infiltré les Mères de la Place de Mai [sous le nom d’Alfredo Nino] pour trahir Azucena Villaflor [une des fondatrices des Mères de la Place de Mai, séquestrée, torturée et jetée d’un avion] et les religieuses françaises [Alice Domon et Léonie Duquet enlevées, torturées et tuées; Astiz a été condamné à perpétuité en France par contumace. Après avoir été amnistié en Argentine dans les années 1980, il sera condamné à perpétuité en 2011].

Pourquoi supposer que Milani ne pouvait pas participer à la répression, alors qu’il était un officier de renseignement tout comme Astiz? Dans un sens on peut dire que le ménémisme a accompli sa tâche et que le kirchnérisme a des éléments hérités de ces conceptions politiques.

J’insiste: comment situer alors ce gouvernement de centre-gauche dans la région?

L’impérialisme est toujours plus astucieux que nous. Je suis de ceux qui pensent que l’empire continue à être bien vivant et en bonne santé. Pendant que le gouvernement ici fête l’étatisation de YPF (Yacimientos petroliferos fiscales – groupe pétrolier), de PDG de l’entreprise, Miguel Galuccio [un ancien de Schlumberger], signe des accords avec David Rockefeller pour exploiter le gisement de Vaca Muerta [très importante réserve de gaz de schiste]. De fait, il ne s’agit pas d’une récupération étatique de la compagnie pétrolière, si c’était le cas la Sindicatura General de la Nacion [organisme de contrôle des opérations du secteur public] aurait le pouvoir d’ingérence et de contrôle sur les accords qui se signent. De fait, il existe un accord secret avec Chevron. Par cet accord, 51% des actions de l’entreprise restent en mains privées. Donc, le parlement ne peut rien faire pour s’y opposer.

Que pensez-vous de cette société qui a voté à trois reprises pour le kirchnérisme, et qui votera probablement une quatrième fois dans le même sens?

Je suis pessimiste. Cette société souffre d’une anomalie. Le kirchnérisme est intervenu dans ce qui aurait dû être le développement du pays pour maintenir sous le joug une population appauvrie au moyen de plans sociaux qui ne sont qu’une miette pour le pouvoir. Et il a eu la chance – que d’autres gouvernements civils et militaires n’ont pas eue – de pouvoir compter sur un contexte international favorable aux «commodities» [produits de base dont les prix ont été à la hausse conjointement à la quantité exportée]. La première phase du péronisme avait un aspect positif, car il a utilisé l’excédent à l’industrialisation du pays; il a généré sa propre classe sociale et un modèle économique. Ce n’est pas du tout ce qui se passe actuellement.

Quelle est la fonctionnalité de Milani pour ce gouvernement ou pour quiconque arrivera au pouvoir?

C’est une bonne question. Je crois qui il serait fonctionnel pour quiconque accéderait à la Casa Rosada (siège du gouvernement). Les secteurs de droite veulent le présenter comme un militaire bolivarien, similaire à Chavez, progressiste. Le problème est que Milani a des rapports avec le Commandement du Sud des Etats-Unis [responsable pour les opérations militaires en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans la Caraïbe]. C’est un homme du renseignement et c’est la CIA qui détient la domination régionale, ce qui n’a rien à voir avec un projet de gauche, national et populaire. Mais le fait que nos gouvernements latino-américains utilisent une langue nationale et populaire arrange très bien l’empire.

Pourquoi?

Parce que les conceptions et les actions de l’empire ont connu plusieurs étapes. Il y a eu les dictatures militaires dures et saignantes. Ensuite, il y a eu les gouvernements démocratiques de transition, suffisamment faibles pour être contrôlés. Et maintenant, devant le souhait légitime d’unité des peuples latino-américains, peu lui importe la rhétorique, tant qu’elle ne se traduit pas dans des actes concrets. L’Argentine, le Brésil, le Venezuela, l’Uruguay, le Paraguay ont-ils réalisé la Banque du Sud? Celle-ci est restée à l’état de projet non réalisé parce que les fonds de tous ces gouvernements sont dans la banque internationale, au cœur des pays centraux.

Autrement dit, vous êtes d’avis que l’empire continue à dominer dans nos pays?

Sans aucun doute. Avec qui Cristina Kirchner Fernandez entretient-elle les meilleurs rapports pour faire des affaires? Avec Rockefeller. Où séjourne-t-elle lorsqu’elle visite le Conseil des Amériques? Dans des hôtels de Rockefeller. Nous avons un langage anti-impérialiste pour le peuple, mais un «général génocidaire» dirige l’armée [avant sa démission] pour réprimer les mouvements sociaux. Et cela se passe dans tous nos pays. En son temps, Hugo Chavez a fait des transformations importantes, tels que les plans d’alphabétisation sociale et de santé. Mais aujourd’hui, le régime vénézuélien de Nicolas Maduro montre déjà des forts signes de vieillissement. La rhétorique a avancé des milliers de kilomètres, mais les faits concrets n’ont avancé que de quelques pas.

Est-ce que nous nous trouvons devant la fin du kirchnérisme en cette année 2015 ?

Pas du tout, il est au contraire en train de se consolider. Il constitue une force politique réelle qui va durer dans le temps parce qu’il est une des formes qu’a adoptée le péronisme pour se transformer tout le long de son histoire. L’autre jour on me demandait si j’étais péroniste. Si le général Milani et Ernesto «Nabo» Barreiro, chef des tortionnaires du centre clandestin de La Perla, se disent péronistes, je ne peux pas l’être, je ne peux pas faire partie de cette clique. Le péronisme a cessé d’être un moteur de transformation sociale en Argentine et est devenu un moyen de cooptation des secteurs les plus marginaux. Quel est le crime du péronisme kirchnériste? C’est qu’il n’a pas été utilisé les énormes ressources du pays pour le réindustrialiser et générer non pas des aumônes [système d’assistance clientélaire, traditionnel] pour acheter la gratitude, mais des droits sociaux acquis, comme l’exige la Constitution.

Nous dirigeons-nous vers un modèle analogue à celui du PRI mexicain ?

On peut en effet se poser la question. Il semble que oui.

Et l’opposition?

Elle est d’une droite qui se dissimule à peine, ils regrettent la dictature militaire. [L’industriel et fils d’industriel Mauricio Macri sera le principal opposant à Scioli; le FIT – Front de gauche et des travailleurs – structuré par le Partido Obrero (PO) et le PTS (Parti des travailleurs socialistes) – présente comme candidat à la présidence Jorge Altamira, dirigeant historique de PO et comme candidat à la vice-présidence le jeune Nicolás Del Caño, député national pour la province de Mendoza, membre du PTS.]

Comment définiriez-vous le kirchnérisme?

Sans doute comme l’étape supérieure du ménémisme. La formule de San Martin lorsqu’il a dit que dans notre patrie il y a trois quarts d’ignorants et d’idiots et un quart de pervers est encore d’actualité. (Entretien publié le 25 juin 2015; traduction A l’Encontre)

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Fabian Kovacic est correspondant à Buenos Aires de l’hebdomadaire publié à Montevideo: Brecha.

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