Gabriel Brito s’entretient
avec Givanildo Manoel
Le projet d’abaissement de l’âge pénal de 18 à 16 ans – ce qui implique une incarcération dans les prisons d’adultes, avec les suites mutiples imaginables – est une autre facette de la politique du Parti des travailleurs (PT) et de ses alliés. Givanildo Manoel, un des animateurs du Tribunal Populaire «O Estado no Banco dos Réus» (pour indiquer que l’Etat est accusé d’un acte illicite) – qui organise des jugements symboliques contre les crimes des forces policières brésiliennes – caractérise cet abaissement comme relevant de ce qui pourrait être caractérisé comme un Etat pénal. Soit un Etat dans lequel on emprisonne avec détermination une couche sociale de jeunes. Ainsi, 70% du système carcéral brésilien est composé de jeunes entre 18 et 29 ans.
Cet Etat pénal doit être restitué dans le contexte d’une généralisation des politiques néolibérales qui implique la tendance à une privatisation du système carcéral. Une politique qui existe dans divers pays et qui commença avec sous le logo de «la tolérance zéro». Elle a débouché dans les années 1980 à une prétendue théorie qui introduit une césure dans le droit pénal. Il existerait – selon Günther Jakobs, son inventeur modernisé (en fait un retour à des sources des années trente) – une césure dans le droit pénal. D’un côté, il y a le «droit pénal du citoyen» (Bürgerstrafrecht) et, de l’autre, «le droit pénal de l’ennemi». Dans le premier le «sujet» est traité comme un membre d’une communauté politique au nom de laquelle il est jugé. Dès lors, il bénéficie de cette «citoyenneté» dans les procédures et autres garanties sanctionnées juridiquement. Dans le second, le «sujet» est considéré, par ses «comportements», comme s’étant lui-même mis au ban de la communauté politique. Il peut donc être traité par les institutions comme un «ennemi». Ce «droit pénal de l’ennemi» est devenu conquérant dans la foulée de la guerre contre le terrorisme, suite au 11 septembre 2001. Une «guerre» conduite contre des «unlawful combatants» qui, dès lors, peuvent être détenus dans des «black sites» ou Guantanamo. Les programmes d’exécutions, dites ciblées, par drones, prolongent cette pratique. Les guerres menées en Colombie contre le narcotrafic (en incluant, dès le début, des forces insurrectionnelles) sont une autre version de ce «droit pénal ennemi» appliqué, de fait, sans voir recours à la couverture juridique qui a servi au «Patriot Act» ou au «Homeland Security Act».
Les formes de guerre à l’œuvre au Brésil – et dans divers pays d’Amérique centrale – contre les «bandes de jeunes» ne sont pas étrangères à cette élucubration juridique. Ce que souligne, à la fin de son entretien, Givanildo Manoel. (Rédaction A l’Encontre)
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Correio da Cidadania : Comment voyez-vous la Proposition d’amendement à la Constitution (PEC) 171/1993 qui vise à faire passer la majorité pénale de 18 à 17 ans ? Quelles seraient les conséquences de l’approbation et de l’application de cette proposition ?
Givanildo Manoel: Il convient de répondre à cette question de l’abaissement de la majorité pénale et de ses conséquences en trois étapes différentes, correspondant chacune à un contexte d’époque différent. La PEC 171 constitue l’une des plus fortes attaques de ces dernières années contre des droits. Je pense donc qu’il est important de comprendre le contexte dans lequel cette PEC a été présentée pour pouvoir ensuite réfléchir à ses conséquences.
En 1992, un grand incendie s’était produit au sein de la FEBEM – Fondation brésilienne pour la protection des mineurs, l’antique Fondation Casa – dans le Tatuapé [l’un des districts du Grand São Paulo]. A l’époque, les médias avaient utilisé cet événement dans le même but qu’ils le font aujourd’hui, à savoir monter la population contre les adolescents et exiger l’abaissement de l’âge de la majorité pénale en rendant le Statut de l’Enfant et de l’Adolescent (ECA) responsable de ce qui s’était passé.
Le bruit qu’avait provoqué cet incendie avait été accentué par le Massacre de Carandiru qui s’était produit peu auparavant [le 2 octobre 1992, au pénitencier de Carandiru à São Paulo, 111 prisonniers avaient été tués à la suite d’une rébellion]. Mais malgré l’horreur de l’événement, la presse avait trouvé moyen de traiter les faits de manière sensationnaliste, comme d’habitude, en criminalisant encore plus ceux qui se trouvaient sous la responsabilité de l’Etat, un Etat qui non seulement leur avait pris la vie, mais avait tenté de cacher leurs morts puis de justifier celles-ci par des histoires fausses.
Il est toujours bon de se rappeler certaines particularités de cet incendie. Dans le bâtiment de l’administration de la FEBEM, à Tatuapé, il y avait une partie des papiers du scandale Baneser/Dersa/Metrô des gouvernements Quércia/Fleury, un scandale autour du détournement de milliards de dollars, et ces documents ont bien évidemment été brûlés.
Cette année-là, dans une direction tout à fait opposée à ce que prêchaient les médias corporatistes qui exigeaient le retrait de droits aux jeunes gens et aux jeunes filles, la CPI (Commission de protection des enfants] prouvait exactement le contraire de ce que défendaient les médias, à savoir que c’étaient justement les enfants et les adolescents qui étaient les principales victimes de la violence.
Tout le bruit fait autour de cette affaire a conduit l’un de ces députés populistes de droite, un faux moraliste, Benedito Rodrigues, à présenter la PEC 171. Il y a un fait assez curieux: ce député a été arrêté dans le cadre de l’opération «Boîte de Pandore», en même temps qu’a été arrêté l’ex-gouverneur du DF [District fédéral], José Roberto Arruda, en 2009. Et à l’heure qu’il est, ce député est encore libre.
Mais revenons à la question centrale: derrière tout cela, il y avait la résistance de la bourgeoisie contre une mise en place effective des droits des enfants et des adolescents, des fils des travailleurs. Les droits fondamentaux des fils de la bourgeoisie sont, eux, garantis depuis que celle-ci est arrivée au pouvoir au XVIIIe siècle.
En ce moment, l’abaissement de l’âge de la majorité l’âge prend un sens très pervers. Cela participe de la mise en place d’une politique de contrôle permanent des enfants des travailleurs qui, de plus, vise à emprisonner la jeunesse pour exploiter la main-d’œuvre qu’elle constitue. C’est une manière de fonctionner de l’Etat, que l’on pourrait appeler l’Etat pénal: emprisonner pour mieux exploiter la main-d’œuvre.
Nous ne savons pas encore quelles seront les conséquences immédiates de l’abaissement de l’âge de la majorité, puisque des accords sont en cours au sujet de la manière de faire. Il existe au Congrès plus de trente propositions d’abaissement, la PEC 171 est seulement le «parapluie», les autres propositions vont lui être annexées et le Congrès va mener les négociations afin de parvenir à la forme finale. Ce que nous pouvons déjà dire est que n’importe quel résultat sera tragique pour l’adolescence brésilienne.
Correio da Cidadania : Que pensez-vous du projet alternatif présenté par le sénateur José Serra (PSDB-SP) et déjà défendu par le ministre de la Justice, José Eduardo Cardozo, qui prévoit d’allonger le temps d’internement dans des unités de réhabilitation de mineurs tout en maintenant la majorité pénale à 18 ans? Que résulterait-il de cette alternative ?
Givanildo Manoel: Le PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne) a toujours été l’ennemi des droits des enfants et des adolescents, ses politiques ont été une tragédie et le meilleur exemple en est la FEBEM/Fondation Casa qui jusqu’à aujourd’hui est une des principales organisations à violer leurs droits. Et même après de multiples dénonciations, ils continuent de manière réitérée à violer les droits des enfants. La responsabilité du PSDB ne réside pas seulement dans la question de la Fondation Casa, mais dans la criminalisation elle-même, puisque nous ne pouvons oublier que c’est Geraldo Alckmin [actuel gouverneur de l’Etat de São Paulo] qui a mis en place la politique de la tolérance zéro, provoquant ainsi le triplement du nombre d’emprisonnements depuis le début de son mandat, sans compter les morts causées par sa police qui a pour principale cible la jeunesse. On le voit donc bien, le PSDB n’a aucun engagement sur le fait de garantir la vie des adolescents.
Malheureusement, le PT a mené une politique «douloureuse» pour la classe ouvrière. Au moment où la politique qu’il a appliquée s’est révélée être un grand désastre, le PT s’est mis à développer une politique lâche afin de se maintenir au pouvoir, en faisant à la droite des concessions non seulement économiques mais aussi des concessions sur ce que la pensée conservatrice a de pire, et cela en retirant des droits.
Le PT se justifie toujours auprès de ses militants en disant que ses décisions sont basées sur le « moindre mal », ce qui dans la pratique s’est toujours révélé être le plus grand des maux. Et maintenant le PT essaie de gaspiller la vie de plus de 21 millions d’adolescents, au nom de ce populisme réactionnaire qui exige du sang en n’apportant aucune rationalité ni projet tendant à humaniser la société.
Cela fait qu’une fois de plus le PT entre dans la «foire du compte des voix » du Congrès National, sacrifiant les droits des enfants pour ne pas faire tache sur la photo finale de tous les droits qui ont été retirés à la classe ouvrière par le Congrès.
Correio da Cidadania : Comment analysez-vous ce thème dans une année marquée par l’avancée de divers dossiers conservateurs allant du champ économique et politique jusqu’au champs moral, religieux et social? Quelles intentions les groupes politiques qui se battent pour l’abaissement de l’âge de la majorité ont-ils?
Givanildo Manoel : Comme je l’ai déjà dit sur la question précédente, ce qui se cache derrière le retrait de droits, c’est l’intention claire d’enfermer plus de jeunes afin d’exploiter une main-d’œuvre qui se trouve à une période constituant l’une des phases les plus productives et créatives de la vie. C’est aussi une manière de rendre effectif ce qui est prévu dans le Consensus de Washington [ensemble des contre-réformes appliquées au pays d’Amérique du Sud face à la «crise de la dette» selon les dix principes de John Willamson de l’école de Chicago], que nous gens de gauche avons déjà beaucoup débattu dans le passé: il s’agit de privatiser les politiques sociales, en les «marchandisant», c’est-à-dire en se mettant à les traiter comme un service ou une marchandise.
Du point de vue religieux, les néo-pentecôtistes, qui sont principalement à l’origine de cette bizarrerie sociale, n’ont absolument rien de chrétiens. Ils contredisent absolument tout ce que le Christ prêchait, ils agissent comme une secte pour s’affirmer, ils exploitent la désinformation, le sentiment immédiat et irrationnel.
En imaginant que le Christ vive aujourd’hui, je ne sais s’il atteindrait les 33 ans, mais je n’ai aucun doute sur qui seraient les Hérode. Et s’il parvenait à survivre et qu’il entre dans leurs riches temples en leur reprochant de blasphémer contre son père, il est également certain qu’ils le feraient arrêter. Ou encore, si le Christ se mettait devant les adolescents qui auraient leurs droits retirés et disait : «Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre», alors il serait lapidé jusqu’à la mort par les Feliciano, Cunha, Malafaia et autres [évangéliques].
Je pense que ce secteur évangélique est le pire déformateur des enseignements du Christ, et c’est pourquoi il ne mérite aucun respect de la part de quiconque défend un projet de société solidaire, fraternel et juste.
Correio da Cidadania : Dans votre vision, quelles autres politiques pourraient-elles être débattues dans notre société sur le thème de la sécurité publique ? Qu’est-ce qui serait selon vous efficace pour diminuer la criminalité au Brésil, indépendamment de la tranche d’âge ?
Givanildo Manoel: Ce que nous devons faire d’abord, c’est élargir la compréhension de ce qu’est la sécurité publique. Il est évident que ce n’est pas la police, et cela quelle qu’elle soit. Ce qui apporte de la sécurité aux gens, de manière générale, cela va des choses les plus simples, comme par exemple avoir de l’éclairage public, aux politiques d’éducation, de santé, de logement, culture, loisir, etc.
En second lieu, la Constitution et l’ECA [Statut de l’Enfant et de l’Adolescent] ont établi que les enfants et les adolescents n’étaient pas des priorités absolues pour le pays. Nous devrions donc être en train de réfléchir à la manière de changer cela, mais cette réflexion n’a jamais eu lieu. Même sans provoquer aucune révolution ou grands changements, rien n’a été mis en place.
Du point de vue structurel, nous avons été trompés il y a longtemps déjà. Toute la facture économique est payée par le peuple, par la classe ouvrière : les politiques des taux d’intérêt, de coupe dans les droits sociaux, de précarisation du travail, de privatisation des politiques sociales, toutes ces politiques ont augmenté fortement le niveau de la violence, principalement celle commise par l’Etat.
Si nous ne donnons pas un sacré coup de bâton et que nous ne faisons pas exactement le contraire de ce qui a été fait, cette réalité sera difficilement modifiable et les «anthropophages» modernes seront aux aguets, prêts à défendre les intérêts de leurs maîtres. Et nous (la classe ouvrière), la jeunesse et l’adolescence, nous payerons le prix le plus fort pour cette irresponsabilité des gouvernants qui gèrent le capital.
Correio da Cidadania: Que pensez-vous des positions prises par les médias, eux qui n’hésitent jamais à s’étaler longuement sur les crimes commis par des mineurs?
Givanildo Manoel: Les positions des médias sont celles de ceux qui détiennent le pouvoir et cela a toujours été ainsi. Il existe depuis longtemps une volonté délibérée de la part des grandes rédactions d’augmenter les tirages lorsqu’il y a un adolescent impliqué dans un crime, provoquant ainsi la sensation que la violence des adolescents a augmenté.
Nous ne pouvons absolument rien attendre des médias de marché, parce qu’ils défendent leurs intérêts, les intérêts de leur classe. Comme ils détiennent des instruments puissants (TV, radio, journaux, revues, sites), ils défendront toujours leurs intérêts, qui ne sont pas ceux du peuple, et ils tenteront de nous faire croire qu’ils disent la vérité. Souvenons-nous de Joseph Goebbels, idéologue de la propagande nazi, qui disait : « Un mensonge répété mille fois devient une vérité. »
Correio da Cidadania : Selon vous, comment la politique actuelle autour de la majorité pénale va-t-elle évoluer en cette période de forts reculs sociaux et annonciatrice de sévère récession économique ? Comment voyez-vous le futur, à court et à moyen terme, sur la thématique de la sécurité publique au Brésil?
Givanildo Manoel : Dans la pratique, la réduction de l’âge se produit déjà: le 70% de notre système carcéral est composé de jeunes entre 18 et 29 ans. En réalité, la lutte qui est menée se fait autour du déplacement ou non d’une limite symbolique, parce que la criminalisation, l’enfermement et les violations existent déjà, plus fortement que jamais.
Ce qui va se produire est la légitimation de cette barbarie, à partir de théories que nous avons déjà vérifiées, comme le «droit pénal de l’ennemi» dont l’origine est l’Allemagne nazie, et qui est largement mis en pratique au Brésil. Il suffit de voir qui sont ceux que l’on criminalise. Se sont des personnes choisies de manière sélective, à savoir les indigènes et les Noirs.
La période qui s’ouvre sera certainement celle de l’élargissement de cette logique de criminalisation, de contrôle, d’enfermement, d’exploitation et d’extermination, qui a comme principale victimes la jeunesse indigène et noire. (Traduction A l’Encontre ; entretien publié dans Correio da Cidadania le 26 juin 2015)
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