Mercredi soir [17 juin 2015] à Charleston, Caroline du Sud, un acte de terrorisme a été réalisé contre un groupe de Noirs qui s’était rassemblé pour prier. L’Eglise, Emanuel African Methodist Episcopal Church, était le lieu de révoltes d’esclaves déjà en 1822, ainsi que l’une des plus anciennes églises noires dans ce pays.
Nos cœurs et nos prières accompagnent les familles et les communautés de ceux et celles qui ont été inutilement tué·e·s.
Hier, Dylann Storm Roof, un Blanc âgé de 21 ans, a été arrêté sain et sauf, soupçonné d’être le terroriste auteur de cette tragédie horrible et brutale. Roof s’en rendu à l’église et a spécifiquement demandé le pasteur. Il a prié avec la congrégation et, après environ une heure, s’est levé et a déclaré: «Je dois le faire. Vous violez nos femmes et vous êtes en train de prendre le contrôle du pays. Et vous devez partir.»
Dans les jours qui suivent, nombre de médias dépeindront Roof comme un tireur mentalement malade, avec un passé troublé, qui a commis un crime isolé contre un groupe de Noirs sans méfiance.
Des photos provenant de Facebook montrent Roof portant un blouson avec le drapeau de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Nous, du mouvement #BlackLivesMatter, affirmerons toutefois qu’il ne s’agit pas, en réalité, d’un incident isolé, mais simplement d’un «incident» s’inscrivant dans une longue série de violences réalisées contre les Noirs, dans ce pays ainsi que dans le monde entier.
La véritable question que nous devrions poser est la suivante: qui a enseigné à Roof de haïr les Noirs à un point tel qu’il en vienne à tuer neuf d’entre nous dans une église? Est-il possible d’affirmer qu’il est le seul?
La réponse honnête à ce qui précède est que ce pays n’a jamais accordé de valeur aux Noirs – bien que les Noirs aient été d’une très grande valeur pour ce pays.
Jamais, nous n’avons été censés survivre. Nous avons été dérobés à nos familles et à notre terre, emmenés dans ce pays depuis le fond de bateaux, enchaînés ensemble comme des animaux. Nous avons été forcés de travailler pour bâtir un pays, que nous avons nourri et où nous avons fait pousser des plantes, un pays qui ne nous a jamais véritablement considérés comme des êtres humains et refuse encore d’honorer notre humanité. Les documents fondateurs de ce pays nous désignent comme 3/5 d’un être humain. Lorsque nous avons osé (et lorsque nous osons) affirmer notre humanité, nous étions (et nous le sommes encore) battus, fouettés, pendus à des arbres, les membres coupés, brûlés, abattus et violés.
Ce n’est pas une chose qui s’est produite dans le passé. Cela arrive toujours aux Noirs, en 2015. En réalité, il y a quelques mois, Otis Byrd a été retrouvé lynché, pendu à un arbre dans une forêt à l’extérieur de Jackson, dans l’Etat de Mississippi. [Son cadavre a été retrouvé, avec des draps autour du cou, le 19 mars; fin mai, le FBI a abandonné son instruction estimant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour poursuivre une enquête pour violation des droits civiques et pour meurtre.]
Jamais nous n’avons été censés survivre. Nous affirmons que les actes de Roof ne sont pas isolés, ils ne peuvent être évacués avec aisance et avec mépris comme relevant de la maladie mentale, mais plutôt comme le reflet d’une pathologie qui empoisonne ce pays: le racisme. Et nous affirmons que jusqu’à ce que nous combattions, en tant que nation, la violence raciste qui infecte et infeste ce pays nous ne ferons qu’assister à une croissance de tels actes.
Les paroles de Roof nous rappellent que Noirs, nous ne pouvons nous considérer, dans ce pays, en sécurité nulle part. Nous ne pouvons attendre protection de la police. Nous ne pouvons considérer être en sécurité dans une piscine, dans des églises, dans des supermarchés, dans des bus, dans nos communautés ou même dans nos maisons. Les enfants noirs ne sont pas en sûreté. Et nous ne pouvons considérer être protégés du traumatisme quotidien d’être les témoins de violences commises contre nos communautés. Dans ce cas, une jeune fille noire a joué à la morte sous le cadavre de sa grand-mère afin de rester en vie. Roof a laissé une femme en vie, lui disant qu’il voulait qu’elle raconte l’histoire de ce qui s’était passé cette nuit-là.
La vérité qui doit être dite est que même le premier président noir de notre nation doit affronter le fait que la violence contre les Noirs est une épidémie aux proportions colossales. Dans la mesure où la démographie de ce pays se déplace vers une majorité de personnes de couleur [entre autres en raison des migrations du Mexique, d’Amérique centrale, du Sud], une peur rationnelle et irrationnelle est présente que les personnes mêmes qui ont subi et subissent le poids d’une violence aussi brutale et flagrante résisteront un jour. Les paroles de Roof: «vous êtes en train de prendre le contrôle de notre pays. Et vous devez partir» reflètent la crainte sur laquelle la droite capitalise depuis les années 1970: la peur que la majorité devienne la minorité.
Et, comme les Noirs ne le savent que trop bien, être la minorité où que ce soit peut littéralement signifier la différence entre la vie et la mort.
Jeudi 18 juin, le président Obama a fait une déclaration: «Une fois de plus, des gens innocents ont été tués en partie parce que quelqu’un qui voulait faire du mal n’a eu aucun problème à porter la main sur une arme.» Malgré ce que notre président a dit, il ne s’agit pas simplement d’une question de contrôle des armes. Il s’agit, en réalité, de la question de la prédominance du racisme contre les Noirs qui aboutit, dans de nombreux cas, à une violence contre les Noirs et, trop souvent, à l’assassinat de Noirs.
A travers tout le pays et, de plus en plus, à travers la planète, les Noirs – jeunes, vieux et d’âge mûr; handicapés ou non; queer; transgenre; immigré·e·s; emprisonnés et autres – ont engagé des révoltes qui ont transformé notre paysage politique. Et, pourtant, il y a toujours ceux qui, face à l’extrême et à une violence qui n’est pas nécessaire, utiliseront cela comme une opportunité pour exiger la paix, pour détourner des vraies questions, essentiellement pour neutraliser ce qui sourdait depuis longtemps sous la surface.
Mais où se font entendre les appels que ceux qui ont enseigné à un jeune homme blanc à entretenir une telle haine contre les Noirs doivent rendre des comptes? Quelles sont les responsabilités d’une nation dont le racisme est inscrit dans son ADN même?
Nous, en tant que pays, face à un ce que des vies de Noirs toujours plus nombreuses sont fauchées avant l’heure, devons faire un choix. Il ne s’agit plus d’une question de savoir si le racisme existe ou non, ni même d’une question de savoir si le racisme est une épidémie qui empoissonne notre existence même. Le choix que nous devons faire est celui de savoir si nous voulons ou non y faire véritablement face.
Nos existences, de manière presque littérale, dépendent de cela. [Article publié le 19 juin sur le site truth-out.org; traduction A l’Encontre]
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