Par Chiara Carratù
Après la grande journée de mobilisation du 5 mai 2015 – voir l’article publié sur ce site le 15 mai 2015 – le mouvement de protestation contre le projet de «Bonne école» du Premier ministre Matteo Renzi ne s’est pas arrêté. Plusieurs actions locales d’enseignant·e·s, d’étudiant·e·s, d’élèves et de parents d’élèves se sont déroulées au cours de ces dernières semaines. Il faut signaler «la grève des notes», à savoir le boycott des examens de fin d’année qui vient de se terminer. Il a connu une adhésion moyenne de 80%, selon des sources syndicales. Ces mobilisations ont permis de maintenir la pression durant tout le débat portant sur des amendements (plus de 2000) au projet de loi, que ce soit au Sénat ou à la Chambre des députés. Plusieurs voix contraires à ce projet se sont aussi manifestées ces derniers jours. Matteo Renzi a déjà annoncé la possibilité que la concrétisation de sa «Bonne école» ne pourra pas se faire dans les délais prévus et qu’il serait nécessaire de reporter la décision en 2016. Le mouvement de l’école a exprimé une vraie combativité. Son but: obtenir le retrait complet du projet de l’école néolibérale de Renzi. Les prochains jours seront décisifs pour connaître le résultat concret de ce mouvement. La bataille contre le projet de «Bonne école» pourrait aboutir à une première véritable victoire (partielle) du mouvement de protestation qui semble connaître un nouvel essor en Italie grâce au rôle des enseignants de l’école publique, véritable «fer de lance » des protestations de ces derniers mois dans le pays. Des mobilisations nationales doivent se dérouler du 23 au 25 juin. Nous y reviendrons. Ci-dessous nous publions un article d’information paru sur le site de Sinistra Anticapitalista. (Réd. A L’Encontre)
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Lors de sa récente apparition à l’émission télévisée Porta à Porta [conduite par Bruno Vespa, un «homme de Berlusconi»], le Premier ministre Matteo Renzi a parlé à nouveau de son projet de «Bonne école». Il a annoncé que les quelque 3000 amendements présentés dans le cadre de la discussion du projet au Sénat portent atteint à l’ensemble du projet ainsi qu’à une mesure jugée centrale, à savoir l’embauche de 100’000 enseignant·e·s précaires prévue par la proposition de loi (Disegno di legge-DDL). A ce propos, la démarche d’adoption de ce projet pourra se prolonger d’une année. La possibilité de l’impasse autour de ce projet était annoncée depuis quelques jours et, en particulier, depuis que le DDL a été jugé non constitutionnel par la Commission des affaires constitutionnelles de la Chambre des députés. Plusieurs aspects anticonstitutionnels de la «Bonne école» ont été mis en évidence non seulement par les organisations syndicales mais aussi par des magistrats fort connus tels que Ferdinando Imposimato, président honoraire adjoint de la Cour suprême de cassation, qui a aussi lancé un appel au président de la République Sergio Mattarella [1].
Les déclarations du président du Conseil prononcées lors de cette émission télévisée révèlent un élément de nouveauté par rapport aux précédentes déclarations portant sur la «Bonne école». Le chantage à la base de la philosophie du projet peut être résumé ainsi: ou on accepte tout le paquet (embauche en échange de la perte des droits), ou tout va exploser, y compris les embauches prévues. Aux déclarations de Renzi s’ajoutent celles de la ministre Stefania Giannini [2] et du ministre Giulano Poletti [3]. Ces ministres soulignent le danger d’adopter un projet de loi (DDL) spécifique concernant seulement les embauches en le détachant du projet d’ensemble de la «Bonne école». Une prise de position du Parti démocrate (PD) fait écho à la position de Renzi. Le PD lance un appel – qui est de facto un chantage adressé aux syndicats et à l’opposition interne au PD [«critique » vis-à-vis de ce projet de loi] – qui affirme: «Dans les prochains jours l’opposition [au sein du PD] peut travailler au sein de la Commission afin d’éliminer ou de réduire les amendements dans le but d’aboutir à l’adoption de la réforme dans des délais brefs et en procédant ainsi à l’embauche des précaires. On verra si les syndicats vont se profiler en faveur ou contre les 100’000 salarié·e·s précaires qui devraient être embauchés.» [4]
En réalité, face à une chute de popularité et face aux protestations continue du «monde de l’école», Renzi essaye de jouer à nouveau la carte de la division en mettant l’un contre l’autre les syndicats – qui jusqu’à maintenant se sont mobilisés de façon unitaire contre le projet de «Bonne école» – et les travailleurs et travailleuses précaires de l’école, menacés de ne pas être embauchés.
Le charlatan Renzi utilise ces déclarations – comme il l’avait fait en s’improvisant enseignant pour expliquer, par le biais d’une vidéo, lors du lancement du projet de «Bonne école» – pour s’adresser «au public» et non pas aux enseignants dans le but qu’une éventuelle défaite du DDL ne soit pas attribuée au gouvernement. C’est ainsi qu’il continue à mener conjointement la bataille contre l’opposition au sein du PD et contre les syndicats (par le biais du chantage autour des embauches). Son but est d’isoler la protestation des travailleurs et travailleuses du monde de l’école du reste du pays, afin de prévenir les diverses possibilités de solidarité entre des salarié·e·s des divers secteurs et de diviser les précaires de l’école qui, à parité de formation comme prévu par la «Bonne école», ne seront pas tous embauchés.
Le Premier ministre justifie aussi le choix du renvoi et de la non-embauche des précaires par décret [comme demandé par les enseignant·e·s mobilisés] comme une dite prise de responsabilité vis-à-vis des bureaux ministériels qui, étant donné les délais restreints, n’arriveront pas à garantir un bon début de la nouvelle année scolaire.
Le Premier ministre Renzi a aussi déclaré: « […] à ce stade, à moins d’une improbable course pour boucler l’affaire dans les quinze jours qui suivent, pendant le mois d’août 44’000 précaires vont être embauchés dans le cadre de l’ancienne procédure. Le reste…va se concrétiser à partir de l’année prochaine […] » [5]. Le problème n’est donc pas de nature technique, car dans tous les cas de figure, à cause du turnover [rotation], des embauches vont être faites, mais en termes de décret politique: le détachement des embauches du reste du projet serait la première défaite du gouvernement Renzi. Ce qui donnera raison à qui s’est battu avec force en descendant dans les rues du pays au cours de ces derniers mois. Le gouvernement ne peut absolument accepter l’éventualité de ce type de défaite.
L’impasse dans laquelle le gouvernement est tombé autour du projet de «Bonne école» constitue une démonstration qu’il y a une possibilité réelle que ce projet soit retiré et que Renzi lui-même puisse être battu par l’action directe plus que par les manœuvres politiques au sein d’une configuration gouvernementale qui s’intéresse avant tout à ses rentes de pouvoir au détriment du destin de la classe laborieuse de ce pays.
A l’heure actuelle, nous ne devons pas nous contenter du renvoi, mais il faut continuer la lutte et les mobilisations jusqu’à obtenir le retrait du projet de loi et exiger les embauches. Seulement ainsi nous pourrons affirmer avoir gagné cette bataille. Pour aboutir au retrait du projet, il est nécessaire de continuer à se mobiliser dans les rues et à battre le fer tant qu’il est chaud, en élargissant le front de la mobilisation. A partir d’aujourd’hui et dans les prochains jours, nous sommes appelés à des nouvelles mobilisations: après les manifestations syndicales de Flc-Cgil, Cisl e Uil Scuola, Gilda e Snals, Cobas du 18 juin à Rome, demain [19 juin 2015] et après-demain [20 juin 2015], des mobilisations se tiendront dans d’autres villes. Les mobilisations nationales du 23 au 25 juin 2015 sont aussi confirmées. Continuons à participer nombreuses et nombreux c’est le bon moment. (Traduction A l’Encontre; article publié en italien en date du 17 juin 2015)
Chiara Carratù est enseignante dans la ville de Turin (Piémont) et membre de Sinistra Anticapitalista.
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[1] Ferdinando Imposimato est un magistrat et avocat connu en Italie qui s’est occupé de la lutte contre la mafia et le terrorisme en Italie. En tant que magistrat, il a été impliqué dans plusieurs cas importants, notamment dans des procès contre des membres des Brigades rouges, le rapt et l’assassinat du premier ministre italien Aldo Moro (1978), l’attentat contre Jean Paul II (1981). Lors d’une conférence nationale organisée le 24 avril 2015 par l’Association des enseignants invisibles à habiliter (Adida), il a lancé un appel au président de la République, Sergio Mattarella, pour l’inciter à intervenir et bloquer le projet de «Bonne école» qui s’oppose aux principes de la Constitution italienne. Imposimato a déclaré que le projet de loi porte atteinte à plusieurs articles de la Constitution, notamment à l’article 3 qui affirme que la République doit œuvrer à la révocation des obstacles d’ordre économique et social qui limitent, de facto, la liberté et l’égalité, empêchent le plein développement de l’être humain et la participation effective de tous les travailleurs, y compris les enseignants, à l’organisation politique, économique et sociale de l’Etat; l’article 36, selon lequel les enseignants ont le droit à un salaire adéquat à la qualité et à la quantité de travaux effectués ainsi qu’à mener une vie libre et digne; l’article 4 selon lequel l’Etat doit garantir le droit au travail et l’article 33 portant sur la liberté d’enseignement. La vidéo (en italien) de l’intervention d’Imposimato lors de la conférence de l’Adida peut être consultée sur ce lien: https://www.youtube.com/watch?v=l4w2vy0jxcg. (Réd. A l’Encontre)
[2] Stefania Giannini est membre du parti Choix citoyen pour l’Italie (Scelta Civica). Elle a été nommée ministre de l’Education et de la Recherche du gouvernement Renzi, le 22 février 2014. La fête de L’Unita, du nom du quotidien italien fondé par Antonio Gramsci et longtemps organe officiel du Parti communiste italien (PCI) de 1924 à 1991, est aujourd’hui une journée de fête du PD, parti issu de la trajectoire historique du PCI. Lors de la dernière fête de L’Unita, qui s’est tenue le 25 avril 2015 à Bologne, la ministre Giannini a été fortement contestée lors d’un débat sur le projet de «Bonne école» par un groupe d’enseignants, de parents d’élèves et d’étudiant·e·s. Elle a été contrainte d’abandonner la salle. (Réd. A l’Encontre)
[3] Ancien membre du Parti communiste italien (Pci), Giuliano Poletti est aujourd’hui un politicien «indépendant». Depuis le 22 février 2014 il est ministre du Travail et des Politiques sociale du gouvernement Renzi. De 2002 à 2014, il a aussi été président de la Ligue nationale des Coopératives (LegaCoop). (Réd. A l’Encontre)
[4] Cette déclaration se trouve dans un article paru sur le site du quotidien La Repubblica, le 16 juin 2015. L’article en italien est disponible en cliquant sur ce lien: http://www.repubblica.it/scuola/2015/06/16/news/scuola_renzi_quest_anno_saltano_le_assunzioni_-117004519/. (Réd. A l’Encontre)
[5] Voir note 4. (Réd. A l’Encontre)
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