Etats-Unis, Baltimore. «Nous avons le droit d’être dans les rues pour Freddie»

500Par Alana Davenport

Dans la soirée de lundi [27 avril 2015], le gouverneur de Maryland, Larry Hogan, a donné l’ordre à la Garde nationale [soit l’armée] d’entrer dans Baltimore dans le but de mettre fin aux protestations qui surgirent après les funérailles de Freddie Gray, un Noir décédé le 19 avril, une semaine après que sa colonne vertébrale ait été presque sectionnée et son larynx écrasé lors de son arrestation par des agents de police de Baltimore. La maire Stephanie Rawlings-Blake [démocrate] a également ordonné la fermeture des écoles et l’instauration d’un couvre-feu à partir de 22 heures.

Après plusieurs jours de manifestations, enflammés par une réponse de plus en plus militarisée de la part de la police (y compris des provocations délibérées contre des manifestant·e·s exprimant leurs frustrations et leur colère face à la mort de Freddie Gray), les manifestations ont atteint un nouveau stade le 27 avril. Plusieurs magasins et véhicules de police ont été endommagés. Il a été fait état que des agents de police ont été blessés lors d’affrontements au cours desquels des briques et des pierres ont été jetées contre eux.

Des pontes de la droite comme Tucker Carlson ont caractérisé ses manifestations comme «une menace à la civilisation elle-même», mais les médias se sont montrés moins désireux de montrer les provocations policières, y compris celle où l’on voit des flics conduisant des véhicules blindés sur les trottoirs comme moyen visant à «disperser les foules» ainsi que la fermeture délibérée de sections du système de transit (métro) de Baltimore, ce qui coinça les élèves de lycée et les obligea à s’affronter à des policiers fortement armés alors qu’ils tentaient de rentrer à la maison.

Lundi, lors d’une conférence de presse, la maire Rawlings-Blake s’est plainte des dommages «gratuits» à la propriété causés par des «voyous». Mais la colère que la mort de Freddie Gray a provoquée vient de loin: il s’agit du résultat d’un racisme fortement enraciné et des inégalités sociales, sans même parler d’une longue histoire de brutalités et d’assassinats policiers, la plupart d’hommes Afro-américains.

Le pasteur Graylan Hagler, un activiste des droits civiques, né à Baltimore et actif à Washington, a écrit ceci sur les médias sociaux: «Les médias peuvent appeler cela émeutes, mais les affrontements ciblent les forces “de l’ordre”. Il est clair que “l’application de la loi” a créé une telle animosité et colère parmi les jeunes hommes noirs ici à Baltimore que l’assassinat de Freddie Gray a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En outre, les dirigeants politiques de Baltimore ne peuvent bénéficier d’une quelconque autorité morale lorsqu’ils s’expriment parce qu’ils ont été à la tête, toutes ces années, de décisions validant la situation de quartiers de plus en plus dévastés, du chômage et du désespoir.» (Introduction de SocialistWorker.org)

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baltimore-scuffles-police-protest.siLa colère des manifestant·e·s a éclaté à la suite du meurtre de Freddie Gray, qui est mort à l’hôpital le 19 avril, plusieurs jours après que son larynx ait été écrasé et sa colonne vertébrale presque sectionnée alors qu’il était en détention préventive.

Au cours de la semaine qui a suivi, les manifestant·e·s ont rempli les rues exigeant que la police rende des comptes et exprimant leur colère face au meurtre d’un autre Noir sans armes par la police. Les plus grandes manifestations se sont cependant déroulées au cours du week-end dernier [25-26 avril]. La plupart des médias ont monté en épingle les quelques dommages à la propriété qu’il y a eus à cette occasion, tout en minimisant toutes les preuves de racisme systématique et de violence policière qui ont conduit à cette réaction.

L’indignation est un autre symptôme de la colère qui couve face à l’épidémie de meurtres par la police, qui se déroule en moyenne toutes les huit heures à travers le pays en cette année 2015.

Gray a été arrêté le 12 avril en dehors de Gilmor Homes, où il vivait, à un pâté de maison du poste de police du district de l’ouest, dans le quartier de Sandtown-Winchester. La police déclare qu’ils poursuivirent Gray et l’arrêtèrent après qu’il ait réalisé un «contact visuel» avec des agents et avoir fui. Les flics n’ont pas dévoilé de quoi était accusé Gray bien qu’ils ont «découvert» plus tard qu’il portait un couteau de poche – ce qui n’est pas exactement un crime, ainsi que même la maire de la ville a été contrainte de reconnaître.

Des vidéos prises depuis un portable montrent que Gray a été traîné, hurlant de douleur, ses jambes traînant et menottés, dans un fourgon de police. Il semble qu’il ait demandé un inhalateur, qui ne lui a jamais été donné. Plus tard, le fourgon s’est arrêté et on lui a mis des menottes aux pieds. Il y eut d’autres arrêts ainsi que d’autres demandes de soins médicaux avant que des auxiliaires médicaux soient appelés 40 minutes plus tard. A l’hôpital les médecins découvrirent que la colonne vertébrale de Gray était sectionnée à 80% au niveau de la nuque et que son larynx était écrasé. La police a refusé de dire comment Gray a subi de telles blessures – tout cela est encore «en cours d’enquête». 

La police a pu emmener délibérément Gray dans un «trajet difficile», une technique policière illégale qui consiste à conduire de manière abrupte alors que des suspects sans ceinture se trouvent dans un fourgon de police afin de les effrayer et de les blesser. La police de Baltimore a un long passé de la pratique de ces prétendus «trajets difficiles» – ce qui est le cas de Dondi Johnson, qui est mort d’une fracture de la colonne vertébrale en 2005 après avoir subi un tel «trajet difficile» pour avoir uriné sur la voie publique.

Les six agents de police qui ont arrêté et accompagné Gray dans le car ont été suspendus tout en recevant l’intégralité de leurs salaires. Après la mort de Gray et les protestations qui exigeaient que la police rende des comptes, le Fraternal Order of Police (FOP) publia une déclaration comparant les manifestant·e·s à des «lynch mobs» [soit la foule qui, dans le Sud des Etats-Unis, pratiquait des lynchages… de Noirs] qui déniaient aux agents leurs droits constitutionnels à un procès équitable. Le FOP a également déclaré: «nous ne sommes pas concernés par la confiance de la communauté vis-à-vis de l’enquête» et «qu’il n’y a quoi qu’il en soit pas d’indication d’une quelconque activité criminelle, mais notre soutien ne fléchira en aucune mesure.»

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Freddie Gray est le dernier d’une longue liste de victimes des violences policières à Baltimore (Maryland).

attachmentEn février 2015, Travon Scott, âgé de 30 ans, est mort dans une cellule de détention après que l’on ait rapporté l’avoir trouvé avec des difficultés de respiration (bien que la police déclare que la force n’a pas été utilisée lors de son arrestation). George V. King, âgé de 19 ans, est décédé en mai 2014 des suites de ses blessures provoquées par l’utilisation d’un Taser par des agents de police. Ceux-ci ne furent pas poursuivis. Agé de 44 ans, Tyrone West a été battu par la police et un agent de sécurité de l’Université de Morgan State jusqu’à ce que mort s’en suive lors d’un contrôle routier, en juillet 2013. Personne n’a été poursuivi à la suite de son décès. La mort, en septembre 2012, d’Anthony Anderson, âgé de 46 ans, a été classée comme homicide suite à un traumatisme crânien après que la police l’a plaqué au sol. Mais les procureurs décidèrent que les agents ne firent pas un usage excessif de la force. Une fois encore, personne n’a été poursuivi.

Selon l’American Civil Liberties Union (ACLU), entre 2010 et 2014, 109 personnes sont mortes dans l’Etat du Maryland après avoir «rencontré» la police. La ville de Baltimore a le nombre le plus élevé de cas dans l’Etat: 31. Environ 70% des personnes mortes à la suite de «rencontres» avec la police étaient des Noirs.

Baltimore est différente de multiples façons par rapport à Ferguson, dans l’Etat de Missouri. Pourtant, il  y a des similitudes qui se reflètent dans les taux divergents en termes raciaux de la pauvreté et de l’emprisonnement. Baltimore est une grande ville de plus de 620’000 habitant·e·s, avec 63% de Noirs. Le revenu médian des ménages s’élève à 41’000 dollars. En dehors de la ville, la population est à 60% blanche et le revenu médian des ménages atteint 73’000 dollars. En ce moment, la ville coupe la fourniture d’eau à 25’000 habitant·e·s qui ont dépassé les délais de paiement après une flambée des tarifs – alors qu’il semble que la ville détourne le regard face aux factures non payées des entreprises. Les écoles et les centres récréatifs de Baltimore ont souffert une série de fermetures, en particulier dans les quartiers noirs les plus pauvres.

Chacun des six districts législatifs situés à Baltimore a au moins 1000 habitant·e·s en prison – un nombre qui est atteint nulle part ailleurs dans le reste de l’Etat. Le Western district de Baltimore, où est situé le quartier de Sandtown-Winchester, se situe au sommet de la liste avec 1855 habitant·e·s en prison.

En parallèle, moins de 30% des agents de police de Baltimore vivent en fait dans la ville. Environ 80% des policiers de Baltimore sont blancs. Depuis 2011, la ville a utilisé 5,7 millions de dollars des impôts des contribuables pour payer des jugements de tribunaux et des accords à la suite de 102 actions en justice pour «inconduite policière».

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Le récit diffusé par les médias est que les protestations suite à la mort de Freddie Gray sont «devenues violentes» samedi 25 avril sans qu’il y ait eu des provocations. La presse a concentré son attention sur les vitres brisées et les perturbations de la circulation dans le centre-ville au cours de cette nuit-là, le «pillage» d’un magasin 7-Eleven ainsi que sur les affrontements avec la police près du poste de police du Western District.

Ces représentations ignorent les manifestations pacifiques de plus de huit heures qui ont débuté dans le quartier noir économiquement dévasté de Sandtown-Winchester, où Freddie Gray vivait. Plus tard, les manifestant·e·s ont défilé à travers le centre-ville et ont convergé vers l’Hôtel de ville où la foule atteint 2000 personnes, tout cela sans aucun incident.

Les médias ne diffusent pas les photos qui circulent sur les médias sociaux où l’on voit les gangs Crips et Bloods défilant côte à côte, en parallèle avec des membres de la Nation of Islam – après avoir appelé à une trêve entre eux pour exiger que justice soit rendue. Exclues également des nouvelles, les images des familles de diverses races, avec des enfants et des personnes âgées, des religieux avec leurs paroissiens, des syndicalistes, des étudiant·e·s, des activistes de quartier réunis tous ensemble autour du message: «All night, all day, we’re gonna fight for Freddie Gray!»

Les médias n’ont pas non plus donné des éléments de contexte pour comprendre les dommages à la propriété, ce que certains manifestant·e·s ont déclaré être en partie provoqués par de fans de sport intoxiqués, qui se trouvaient au centre-ville pour le match des Orioles [équipe de baseball de Baltimore], qui crièrent des injures racistes et jetèrent des bouteilles d’eau à un groupe de plus de 100 personnes qui s’était éloigné de la plus grande marche pour se diriger vers le stade de baseball fortement gardé.

L’affirmation faite par des officiels de la ville de Baltimore selon laquelle les dommages à la propriété étaient l’œuvre «d’agitateurs extérieurs» – une autre affirmation qui fait écho à ce qui s’est passé à Ferguson –  échoue à rendre compte de la profondeur et de la colère justifiée des habitant·e·s de la ville.

Lors du rassemblement pacifique à Gilmor Homes, samedi, James, âgé de 17 ans, a rendu la principale question en présence très claire: «Je veux que la police cesse de nous tuer. Nous ne pouvons aller nulle part sans être harcelé.» Un autre habitant, qui s’est présenté lui-même comme Ray, a dit: «Comment est-ce possible de tuer quelqu’un pour un simple contact visuel? Les flics sont fichtrement racistes à Baltimore.»    

Observant les dédales de la police, leurs équipements ainsi que les barrières autour du poste de police de Western District, un homme portant le prénom d’Alonzo a ajouté: «On nous enseigne que la police est prétendument un service public. Cela ressemble plus à un campement militaire.»  

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CDejFpnUsAAtqsuDepuis des années, de nombreux activistes et organisations à Baltimore réalisent un travail long et pénible contre les brutalités policières, mais leurs luttes sont passées largement inaperçues dans la presse.

Le Baltimore Bloc a coopéré avec les familles des victimes des violences policières et a mené une surveillance de l’activité policière afin de tenir les communautés de quartier informées. Ils ont soutenu Tawanda Jones, la sœur de Tyrone West, qui a été battu jusqu’à la mort en 2013, dans l’organisation de ses protestations hebdomadaires, West Wednesday, depuis que son frère a été assassiné.

Le Baltimore Algebra Project a attiré l’attention sur le pipeline qui relie l’école à la prison et a empêché avec succès la construction d’une nouvelle prison pour les jeunes. City Bloc est un groupe d’étudiant·e·s du Baltimore City College qui ont encouragé les jeunes à manifester contre la brutalité policière. La Right to Housing Alliance a été essentielle dans le combat contre la violence économique qui cible les communautés noires par rapport aux droits des locataires et aux coupures de la fourniture d’eau, tout en s’élevant contre les «inconduites policières».

Cette année, les Leaders of a Beautiful Struggle et le pasteur Heber Brown III de la Pleasant Hope Baptist Church ont travaillé ensemble pour faire adopter une loi modifiant la «Law Enforcement Officers Bill of Rights» qui est un obstacle à ce que la police rende des comptes et entrave les enquêtes en matière de plaintes de civiles contre la police.

Le Ujima People’s Progress Party intègre dans sa plate-forme le contrôle de la police par les habitant·e·s des quartiers et agit en faveur d’une réforme du Civilian Review Board, qui n’a actuellement pas le pouvoir d’assigner à comparaître ou poursuivre en justice les agents de police contre lesquels des plaintes ont été déposées et ne peut que rarement procéder à des auditions de plaintes.

La section 7 de UNITE HERE, qui organise les travailleurs à bas salaires du secteur hôtelier, des jeux, des blanchisseries et d’autres industries de service, a voté unanimement son soutien au mouvement Black Lives Matter et a  de nombreuses activités de protestation contre les violences policières. Le All People’s Congress et la Southern Christian Leadership Conference de Baltimore ont appelé à des rassemblements de masse à l’occasion des meurtres de Trayvon Martin, Mike Brown, Eric Garner et Freddie Gray.

Les organisations militantes à Baltimore sont fragmentées mais, à l’occasion du meurtre de Freddie Gray, certains groupes ont tenté de travailler ensemble au sein d’une coalition, formant le Bmore United comme structure centralisée où les gens peuvent obtenir des informations, partager leurs ressources et offrir des soutiens sur les questions de brutalité policière et de responsabilisation de la police à Baltimore.

Les Black Lawyers for Justice planifie l’organisation d’un meeting dans l’hôtel de ville pour le 29 avril, des manifestations plus nombreuses sont prévues pour samedi 2 mai.

Jusqu’ici, la réponse donnée aux protestations de Baltimore par l’establishment politique et médiatique s’est centrée sur le vandalisme mineur et les 34 arrestations. Ces dernières concernent principalement des jeunes Noirs, y compris ceux qui ont été non violent mais qui ont été ciblé simplement pour s’être exprimé avec vigueur. La plupart des personnes qui ont manifesté pacifiquement refuse de se distancier de ceux qui ont brisé des vitres parce qu’ils peuvent voir comment les médias utilisent cette question pour discréditer l’ensemble du mouvement.

En réalité, la mobilisation policière massive – on estime que 1200 policiers de Baltimore et en provenance d’autres endroits, auxquels se sont ajoutés des state troopers [«gendarmes» ou policiers au niveau de l’Etat, en particulier responsable de la circulation routière] ont pris part au «maintien de l’ordre» lors des manifestations de samedi dernier – a suscité une colère entièrement justifiée. En effet, la ville a mobilisé une force d’occupation pour monter la garde devant un stade vide, bien avant que les fans n’arrivent: une démonstration claire des priorités de la ville en matière de protection de la propriété et non de la vie des habitant·e·s noirs de la ville.

Après que plusieurs jours de protestation face au meurtre de Gray n’aient rencontré que plus de violence et de répression de la part des robo-cops, il est guère surprenant qu’il y ait des expressions amères de colère parmi les manifestant·e·s. Mais ces exemples ne concernent pas le crime réel – loin de là. Accepter le «business as usual» à Baltimore peut ressembler à la «paix» pour les élites de la ville, mais ce que cela signifie, en réalité, c’est une brutalité policière supplémentaire, un plus grand nombre d’emprisonnement, plus de violence économique, la dévastation des quartiers où habitent les communautés noirs ainsi que plus de morts. Et cela mérite un peu de perturbation jusqu’à ce que l’on accède à la justice. (Traduction A L’Encontre. Article publié le 28 avril sur le site SocialistWorker.org. Ben Blake a contribué à la rédaction de l’article.)

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