Après avoir provoqué un choc par ce qu’elles confirmaient – plus qu’elles ne révélaient – des pratiques barbares du régime de Bachar al-Assad, les photos prises et rendues publiques par l’ancien photographe de la Police militaire syrienne surnommé César ont commencé à parler. Chaque jour plus nombreux, des noms sont mis sur les visages déformés par la douleur ou émaciés par la faim.
Encouragés par l’initiative de «l’Association syrienne pour les disparus et les détenus d’opinion» (SAFMCD), qui a entrepris de mettre progressivement en ligne – 3709 l’étaient au 13 mars courant – les moins choquants de ces terribles documents, en regroupant les victimes, pour en faciliter l’identification, en fonction du service de moukhabarat ou de la branche des services de sécurité qui les avait enlevées, les habitants de Darya ont annoncé avoir reconnu parmi elles plusieurs dizaines de leur Vingt trois ont été clairement identifiés. Une dizaine d’autres, dont les traits ont été altérés par les coups, les souffrances et les privations, seraient également originaires de cette grosse municipalité de la proche banlieue de Damas.
Parmi eux figurent le cheykh Nabil al-Ahmar, imam de la Mosquée Anas bin Malek, qui avait encouragé les jeunes de la ville à manifester, et un important activiste répondant au nom d’Ahmed Olayyan, dont l’influence sur les protestataires pacifiques avait été considérable. Tous deux avaient été arrêtés lors de l’attaque de la ville menée en août 2012 par les forces régulières. Cette attaque s’était soldée par plus de 800 morts, parmi lesquels des femmes et des enfants, et par des centaines de blessés. Cette affaire –
«le plus grand massacre depuis le début de la guerre», selon L’Express – n’avait pas suscité beaucoup d’émoi, le régime ayant mobilisé tous les moyens habituels de sa propagande pour tenter d’imputer aux rebelles, comme à Houla quelques mois plus tôt, les méfaits de ses soudards. Aujourd’hui, près de 10’000 habitants de Daraya, parmi lesquels des femmes, sont encore emprisonnés.
D’autres victimes photographiées par César ont ailleurs été identifiées. C’est le cas du jeune Fadi al-Qoudaiïmi, originyaire d’al-Rahiba, un gros village situé au nord du gouvernorat de Damas campagne, dont l’histoire met en lumière le cynisme des agents du régime. Jeune marié, l’intéressé avait été enlevé lors d’une rafle menée dans le village le 9 mars 2013. Après avoir saccagé la maison familiale et l’avoir violemment battu sous les yeux de sa femme et de sa mère, les forces de sécurité l’avaient emmenée avec elles en compagnie de son père, de son frère, de proches et de voisins. Son père et son frère avaient été libérés quelque temps plus tard. Dans l’espoir d’obtenir aussi sa libération, sa femme avait payé une forte somme d’argent à un intermédiaire qui prétendait pouvoir le faire sortir de prison. Avec des complices, il avait tiré tout ce qu’il pouvait de cette famille, dont le chef était malade et qui manquait de moyens.
Ses proches avaient fini par entendre dire que Fadi était mort en détention. Mais ils n’étaient parvenus à obtenir ni la restitution de sa dépouille, ni l’acte de décès dont sa femme avait besoin pour régulariser à la fois son mariage et la situation de la petite fille qu’elle avait mise au monde après l’arrestation de son mari. Alors qu’elle avait dû se résoudre encore une fois à graisser la patte à un fonctionnaire, elle avait entendu dire que, peut-être…, finalement…, son mari pourrait être encore en vie dans l’une des geôles du pouvoir. Cela pouvait évidemment expliquer le refus des autorités de restituer à sa famille le corps du jeune homme.
Malheureusement, la famille avait dû se rendre à l’évidence en découvrant, comme des dizaines d’autres familles de disparus à travers toute la Syrie, la photo de celui qu’elle recherchait parmi celles des milliers de victimes mises en ligne sur le site de l’Association pour les Disparus et les Détenus d’Opinion.
Quelques jours après le début de cette opération, ce sont près de 90 victimes qui ont été identifiées dans le seul gouvernorat de Damas campagne. Outre Daraya (36) et al-Hasiba, elles étaient originaires des villes ou des quartiers de Doummar (17), Zabadani (15), Qatana (8), Kanaker (7), Ma’damiyet al-Cham (5) et Qoudsaya (1). Mais ces chiffres sont encore loin d’être définitifs, ne serait-ce que parce que seul un tiers des clichés a pour l’heure été posté.
D’autres associations ont été créées en Syrie et des pages ouvertes sur Facebook pour aider les familles à retrouver leurs proches, comme «Disparus et morts anonymes» qui s’est fixé pour objectif de publier les photos des Syriens et Syriennes enlevés et tués par les services de renseignements dans le secret de leurs prisons et celles de leurs compatriotes non identifiés après leur décès. D’autres espèrent, en contribuant à la diffusion des photos de César, pousser les Etats démocratiques et les organisations de défense des Droits de l’Homme à tout mettre en œuvre pour «stopper la machine à tuer de Bachar».
Ou, mieux encore, pour que justice soit faite et obtenir la mise en accusation du «traître qui tue son peuple» devant une cour pénale internationale pour «crimes contre l’humanité».
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