Entretien avec Sotiris Martalis
Le 25 janvier, les élections générales se tiendront en Grèce. La campagne médiatique contre Syriza est très vigoureuse, même si certains médias font quelques ouvertures. Le Financial Times du 15 janvier 2015 citait un communiqué de l’ambassade américaine – rendue public par WikiLeaks – qui affirmait: «Les médias privés grecs sont la propriété d’un petit groupe de gens qui ont hérité ou fait fortune […] et qui sont liés entre eux par des liens du sang, des mariages et ont des relations étroites avec les milieux officiels du gouvernement ou d’autres oligarques et hommes d’affaires des médias.» Parmi eux on peut citer: Vardis Vardinoyannis, qui contrôle Motor Oil Hellas et la chaîne de télévision Star, tout en ayant une participation dans Mega Channel. George Bobolas, actif dans le secteur de la construction, dans le réseau routier privé. Il est aussi présent dans Mega Channel et le quotidien Ethnos. La liste pourrait être prolongée avec les noms de Dimitrios Capelouzos, Spiros Latsis, Michalis Sallas…
Les derniers sondages donnent les résultats suivants. L’institut Kapa pour le grand quotidien officialiste To Vima indique les intentions de vote suivantes: SYRIZA, 31,2%; Nouvelle Démocratie, 28,1%; To Potami, 5,4%; PASOK, 5%; KKE, 4,9%; Aube dorée, 4,7%; Grecs indépendants, 2,7%. Les indécis comptent pour 9,6% des réponses. Le quotidien de SYRIZA Avgi fournit les résultats d’une enquête effectuée par l’institut Public Issue: SYRIZA, 35,5%; Nouvelle Démocratie, 30,5%; To Potami, 7%; KKE, 7%; Aube dorée, 6,5%; PASOK, 5%; Grecs indépendants, 3%. L’institut fait, en date du 15 janvier, la projection en termes de députés à la Vouli (parlement): SYRIZA, 142; Nouvelle Démocratie, 82; To Potami, 18; PASOK, 17; KKE, 14; Aube dorée, 17.
Pour saisir les traits politiques les plus importants de la campagne électorale en cours, nous nous sommes entretenus avec Sotiris Martalis, membre de la direction de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), membre du Comité central de SYRIZA et dirigeant syndical du secteur public ADEDY. (Rédaction A l’Encontre)
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Peux-tu décrire l’atmosphère en Grèce actuellement? L’impression que le peuple fait face à l’austérité domine-t-elle?
Sotiris Martalis: On peut dire que règne plutôt une atmosphère d’attente et de préparation à un changement. L’ensemble des travailleuses et travailleurs, au cours de ces quatre dernières années – depuis l’application des plans d’austérité de 2010 –, a mené de très nombreuses batailles: plus de 30 journées nationales de mobilisation, l’occupation de bâtiments publics (ministères des Finances, de la Santé, de l’Education, etc.), plusieurs encerclements du Parlement face à des corps policiers, un mouvement des Indigné·e·s (en 2011) qui a occupé certaines places, un large refus de payer les péages face aux hausses de tarif et à la privation de routes, etc. Néanmoins, tous ces efforts n’ont pas abouti à renverser le gouvernement et à mettre fin à ses politiques brutales d’austérité. Dès lors, la volonté de changement s’est exprimée sur le plan électoral: c’est ce qui explique l’importance de la croissance des intentions de vote en faveur de SYRIZA (Coalition de la gauche radicale). Pour rappel, en 2009, lors des élections législatives anticipées, SYRIZA a réuni 4,6% des suffrages; aux élections législatives de juin 2012, 26,89% des voix, et 26,5% aux élections européennes de mai 2014. Actuellement, les intentions de vote indiquent une différence entre la Nouvelle Démocratie (ND) et SYRIZA de quelque 5 points (respectivement 30,5% contre 35,5%). La politique des classes dominantes consiste à diffuser un message de panique, quasi de terreur, en cas de victoire de SYRIZA. L’économie grecque s’effondrerait et la situation serait bien pire, d’autant plus qu’une prétendue relance existerait. La principale attaque porte sur le danger d’une sortie de la Grèce de l’Eurozone (dite «Grexit»). Il y a trois jours, les grands médias affirmaient que SYRIZA mettrait la main sur l’épargne déposée dans les banques. Hier, une tentative de susciter la panique a été créée lorsque deux des quatre banques les plus importantes ont fait appel à un Soutien exceptionnel à la liquidité bancaire, mécanisme prévu par la Banque centrale européenne (BCE). De tels appels ont été faits précédemment pour des sommes plus importantes. Le moment où l’Eurobank Ergasias SA (EUROB) et Alpha Bank (ALPHA) se sont adressées à la BCE ne relève pas du hasard. La date est choisie une semaine avant les élections du 25 janvier.
Mais ces menaces ont été utilisées à satiété depuis longtemps et, après les élections de 2012, les gens y croient de moins en moins. Il faut insister sur la dimension sociale des intentions de votes: dans les quartiers populaires d’Athènes et du Pirée, la différence entre la Nouvelle Démocratie et SYRIZA est de 20% ou plus en faveur de cette dernière. Interrogé sur le plus grand risque à l’occasion d’une possible victoire de SYRIZA, un ancien ministre du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) a répondu: ce sont les attentes et les espoirs que la Coalition de la gauche radicale va créer parmi la population. Il s’agit en effet de leur plus grande crainte et, pour notre part, réside là notre plus grand espoir. L’information a couru ces deux derniers jours selon laquelle les employé·e·s licenciés de l’ERT [1], le soir même de la victoire électorale de SYRIZA, réoccuperaient les bâtiments de la radiotélévision. Il y a là, sous une forme particulière, l’indication que les chômeurs, les travailleurs, les retraité·e·s ont le ferme espoir que SYRIZA mettra fin aux politiques d’austérité.
Comment se déroule la campagne électorale de SYRIZA?
Le slogan général utilisé par SYRIZA dans la campagne électorale est le suivant: «L’espoir arrive!» Toutefois, ce qui est plus important réside dans les engagements concrets pris par SYRIZA. L’augmentation du salaire minimum qui doit passer de 531 euros pour les jeunes de moins de 25 ans et de 586 pour les plus âgés à 751 euros. La réintroduction d’une 13e allocation de retraite. La suppression des impôts directs pour les revenus annuels inférieurs à 12’000 euros, ce qui conduira à l’élimination de la taxe complètement injuste nommée ENFIA, c’est-à-dire un impôt portant sur les surfaces immobilières – que le logement soit occupé ou pas, or beaucoup de Grecs disposent en province d’une petite maison familiale – et qui ne peut être payé par les personnes ayant des bas revenus et, en particulier, le nombre très élevé de chômeurs. Cette taxe avait été introduite comme étant provisoire. Elle a pris la forme d’un impôt permanent. La réduction de la TVA (taux standard de 23%, taux réduit oscillant entre 6% et 13%) sur les aliments et le fioul. Encore plus important: la réintroduction des contrats collectifs qui ont été supprimés par le gouvernement d’Antonis Samaras (ND) et d’Evángelos Venizélos (PASOK). La durée de campagne électorale est très courte, elle est de quelque 20 jours. Cela donne une tonalité intense aux débats politiques dans chaque endroit: sur les lieux de travail, dans les universités, dans les cafés, etc. Il y a un mélange de véritables questions et de thématiques biaisées sous l’influence des médias. Ainsi, nous faisons face à des interrogations de ce genre: SYRIZA défiera-t-elle la troïka ou le nouveau gouvernement va-t-il être étouffé au même titre que ce qui s’est passé à Chypre? Que va faire SYRIZA sur la question de la dette? Où trouver l’argent pour assurer la sécurité sociale? SYRIZA va-t-elle obtenir à elle seule une majorité parlementaire absolue, soit 151 député·e·s sur 300? Et, si ce n’est pas le cas, avec qui va-t-elle coopérer?
Les organisations locales de SYRIZA et leurs membres sont actifs du matin au soir et organisent des caravanes, des meetings sur les lieux de travail, des rassemblements tous les soirs dans les quartiers, dans les principales villes du pays et dans les villages. A cette occasion, les positions de SYRIZA sont expliquées et les débats politiques sont nombreux. Conjointement existe une bataille concernant la sélection des candidats sur les listes présentées par SYRIZA; certaines instances dirigeantes n’ont pas facilité la représentation de candidat·e·s de la Plateforme de gauche, soit celle réunissant le Courant de gauche et le Red Network. Autrement dit, mettre une croix en faveur d’un candidat ou d’un autre, ce qui traduit aussi des préférences politiques pour des courants et personnalités membres et composant la coalition de fait qu’est SYRIZA. L’élection de candidat·e·s liés à la Plateforme de gauche a son importance, car il est nécessaire de soutenir des militant·e·s qui participent et soutiennent les combats des travailleuses et travailleurs et pour maintenir une orientation de gauche radicale solide pour que, demain, le groupe parlementaire de SYRIZA soit capable d’engager des batailles sur des objectifs concrets.
Antonis Ntavanellos et toi-même avez indiqué l’insistance mise par la Plateforme de gauche sur le fait qu’un gouvernement de gauche doit s’appuyer sur les masses laborieuses et leurs mobilisations. Constate-t-on des éléments de cette orientation lors de la campagne?
En réalité, la Plateforme de gauche met l’accent sur un point central: le succès d’un gouvernement de gauche dépend de la mobilisation des travailleurs et du mouvement populaire. Malgré le déclin de la vague sociale qui s’est exprimée entre 2010 et 2012, les luttes n’ont jamais cessé en Grèce. Dans les derniers mois, on a assisté à neuf mois de lutte permanente des nettoyeuses du ministère des Finances, qui avaient été licenciées; il en va de même pour les surveillant·e·s des écoles, les enseignant·e·s et le personnel administratif des universités. La bataille contre la loi mettant «en réserve» – en fait un statut de pré-licencié – 15% des employé·e·s du secteur public a abouti à ce qu’elle ne soit pas appliquée. La dernière journée nationale de mobilisation a eu lieu le 24 novembre 2014. Sous la pression de ces luttes et le mécontentement croissant dans la société, le gouvernement Venizélos-Samaras ne pouvait qu’échouer.
Néanmoins, nous ne faisons pas face aux élections dans un contexte de luttes sociales montantes. Au contraire, règne un climat que l’on peut caractériser ainsi: la victoire électorale va battre en brèche les politiques d’austérité, c’est ce que la population attend avec espoir. Cette confiance populaire se renforce et une victoire de la gauche peut – nous l’espérons – ouvrir un nouveau cycle de luttes qui fera pression sur le gouvernement. Mettre fin à l’austérité peu encourager une vague de radicalisation et donner au programme de SYRIZA un caractère transitoire et faire du gouvernement de SYRIZA un gouvernement de gauche effectif, engageant une transition vers une rupture. L’orientation de SYRIZA doit prendre appui sur les décisions du Congrès de SYRIZA, de 2013, qui s’est prononcé pour la nationalisation des banques, pour mettre fin aux privatisations, pour instaurer un contrôle public – démocratique et des travailleurs – sur les plus grandes firmes appartenant à l’Etat, telles que la firme d’électricité, les télécommunications, la loterie nationale, etc. Une telle orientation, dans sa dynamique, conduit à un conflit avec lesdites «libertés» de circulation du capital, telles qu’instaurées et défendues dans l’Eurozone.
Existe-t-il une attente confiante dans le fait que SYRIZA obtiendra une victoire telle qu’elle sera capable de former à elle seule un nouveau gouvernement?
L’objectif de SYRIZA est d’obtenir une majorité parlementaire de 151 député·e·s. Mais cela ne dépend pas seulement de la position comme premier parti (cela donne un «bonus» de 50 député·e·s), ni du seul pourcentage des suffrages obtenus. Selon les sondages portant sur les intentions de vote, la répartition des sièges est la suivante: 144 sièges pour SYRIZA, 81 pour ND, 18 pour le KKE (Parti communiste grec), etc. Que SYRIZA obtienne une majorité absolue dépend de deux facteurs. Le premier: SYRIZA obtiendra-t-elle plus que 35% des voix. Le second: combien de suffrages obtiendront les partis qui se présentent et combien n’atteindront pas le quorum de 3%. Nous espérons que les 36% puissent être obtenus, ou un résultat proche. Mais personne ne peut dire avec certitude que SYRIZA détiendra une majorité parlementaire.
Si quelques sièges de député·e·s manquent à SYRIZA pour atteindre la majorité absolue, que va-t-il se passer selon toi? Le KKE va-t-il, avec réticence, soutenir un gouvernement SYRIZA? S’ils maintiennent leur attitude ultra-sectaire actuelle, que se passera-t-il?
Un des principaux arguments des élites dominantes et des médias est que SYRIZA ne disposera d’aucun allié, dans la mesure où le KKE non seulement se refuse à toute coopération avec SYRIZA, mais l’attaque systématiquement. Ainsi, un des arguments de la propagande bourgeoise est que les petits partis bourgeois – To Potami (le Fleuve, lancé en mars 2014 par un journaliste de TV, Stavros Théodorakis) et le PASOK – devraient se renforcer avec un double objectif: d’une part, limiter l’indépendance de SYRIZA et, de l’autre, obliger SYRIZA à constituer un gouvernement de coalition avec l’un d’entre eux, ce qui briderait les «orientations extrêmes» de SYRIZA.
La mise en œuvre du programme de SYRIZA dépendra d’un facteur clé: la mobilisation des masses. Les résultats des élections vont déterminer une partie du caractère du gouvernement futur. En obtenant une majorité absolue, cela évite d’être l’otage d’alliés étrangers à la gauche. A cela s’ajoute l’essor de luttes afin que SYRIZA soit contrainte d’appliquer son programme.
C’est pour cette raison qu’une large partie des membres de SYRIZA – pas seulement ceux qui sont favorables à la Plateforme de gauche qui représente entre 35 et 40% des membres – sont systématiquement en faveur d’une unité d’action entre SYRIZA, le KKE et ANTARSYA (front d’une dizaine d’organisations se définissant comme anticapitalistes, crédité de 1,4% des intentions de vote). Cette orientation de front unique est la seule voie à suivre pour assurer une possible victoire des travailleurs et des forces populaires. Il est évident pour tout le monde que le champ politique le jour qui suivra les élections ne sera pas le même et que des pressions fortes s’exerceront sur le KKE et ses membres en cas de refus de toute collaboration.
Si nous faisons face à un résultat qui impliquerait une fraction parlementaire insuffisante pour obtenir une majorité parlementaire absolue, trois solutions peuvent se présenter. La première: une tentative de former un gouvernement de gauche. Soit avec la participation du KKE, soit avec un soutien extérieur de ce dernier (ne votant pas contre les décisions du gouvernement SYRIZA). La deuxième: avoir de nouvelles élections législatives dans un délai d’un mois. La troisième résiderait dans l’alliance avec un ou plusieurs partis bourgeois pour former un gouvernement d’unité nationale, quelque chose qui est inacceptable non seulement pour tous les membres de la Plateforme de gauche, mais aussi pour la majorité des membres de SYRIZA.
Quels sont les principaux débats au sein de SYRIZA et avec les autres forces de gauche?
Au cours de la dernière période, deux questions ont dominé les débats au sein de SYRIZA. La première a trait aux alliances. La Plateforme de gauche met l’accent sur un critère: nos alliances doivent se faire avec des partis et des organisations qui se situent à gauche, soit le KKE et ANTARSYA. La seconde question renvoie à la priorité à donner aux membres et aux instances du parti (bureau politique, comité central, congrès ou conférence nationale) et non pas à la fraction parlementaire, même si existe un gouvernement de gauche. Malheureusement, le sectarisme aussi bien du KKE que d’ANTARSYA n’augmente pas les pressions en faveur de la gauche de SYRIZA. Les camarades du KKE et d’ANTARSYA ont comme seule orientation celle consistant à spéculer sur une possible intégration de SYRIZA au système, d’échapper ainsi à une politique de front unique active modifiant les rapports de forces au sein de la gauche. Ils se cantonnent dans un propagandisme, dans le contexte d’une situation tout à fait nouvelle et qui était impensable il y a quelques années, qui renvoie toute rupture avec l’austérité et le système à un avenir incertain.
Pour ce qui a trait à la solidarité, entre autres à l’échelle de l’Europe, elle nous paraît importante. Comment conçois-tu celle-ci?
Au cours des dernières semaines, nous avons organisé des meetings internationalistes avec des militant·e·s de divers pays. Il y a aussi des appels signés par des personnalités qui soutiennent SYRIZA. Tout cela est très positif. Il faut surtout mettre l’accent, après la victoire de SYRIZA, sur une campagne effective de solidarité, afin d’aider à rompre l’isolement relatif de la gauche grecque et d’un gouvernement SYRIZA par les diverses instances de l’Union européenne. De notre côté, nous espérons qu’une victoire de SYRIZA qui déboucherait sur une dynamique de luttes contre l’austérité et de mise en question du paiement de la dette ainsi que des contraintes budgétaires antisociales stimule un mouvement semblable dans différents pays d’Europe. Pour nous, il est certain que les principaux affrontements n’ont pas encore eu lieu. Il faudra, si possible, que nous les menions ensemble. (Traduction Antonis Martalis)
Sotiris Martalis est membre de la direction de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), du Comité central de SYRIZA et observateur à son bureau politique, membre du comité exécutif du syndicat du service public ADEDY.
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[1] ERT: Radio télévision nationale, la seule qui dispose d’un signal sur l’ensemble du territoire – îles y compris. La chaîne a été fermée de manière autoritaire par le gouvernement Samaras au printemps 2013. Les personnes qui y travaillaient l’ont occupée plus d’un an. Elles ont organisé des débats politiques, des concerts publics, des lectures de poèmes, des soirées de chants, etc. L’ERT était devenue un lieu de rassemblement populaire. (Réd. A L’Encontre)
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Assemblée-débat
29 janvier 2015, 20h15
Buffet de la Gare Lausanne
(Grand Salon, 2e étage)
La Grèce, après les élections du 25 janvier
Avec Charles-André Udry
Organisée par le site A l’Encontre, MPS, Cercle La brèche
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