Par Sybille Vincendon, Gilbert Laval
et Lilian Allemagna
«Projet suspendu»,«travaux stoppés». Des cercles gouvernementaux à Paris, jusqu’au conseil général du Tarn, qui souhaite depuis plus de vingt ans réaliser le barrage de Sivens, il n’est plus question que de remise «à plat» d’un projet controversé et qui semble désormais compromis. Certes le sénateur Thierry Carcenac, président (PS) du conseil général du Tarn depuis vingt-trois ans, continue à défendre la pérennité de son barrage. Il envisage juste de «suspendre les travaux, en aucun cas sine die», mais l’Etat veut reprendre la main. Une réunion de «l’ensemble des parties prenantes» est prévue au ministère de l’Ecologie mardi. «Mon rôle est de trouver des solutions. C’est la raison pour laquelle j’avais diligenté un rapport d’inspection», a souligné mercredi 29 octobre la ministre Ségolène Royal.
L’origine du projet
A la fin des années 1980, quand le barrage commence à être envisagé, le problème est simple: comment disposer en été de l’eau que l’on aura stockée en hiver? Mais à une bonne question, il arrive qu’on apporte de mauvaises réponses…
En deux mois sur place, Nicolas Forray et Pierre Rathouis, ingénieurs des Eaux et forêts, experts mandatés par Royal, ont réuni des éléments accablants: du constat des besoins aux impacts environnementaux en passant par le financement, tout était bancal. Dans ce bassin-versant de la rivière Tescou, 324 km2 entre Tarn et Tarn-et-Garonne, le territoire est très rural. Mais depuis les premières réflexions sur la possibilité d’un barrage, il a changé. «L’agriculture occupe encore 88% de ce territoire», mais elle est «en net recul», lit-on dans ce rapport. La surface agricole utile est passée de 3000 hectares en 2000 à 28’700 en 2010 et le nombre d’exploitations chutait de 1038 à 738.
De plus, «la nature des cultures a aussi changé», avec des «cultures sèches ou faiblement irriguées (céréales à paille, sorgho, tournesol) [qui] ont progressé», tandis que le maïs, très gourmand en eau, «est en nette régression», disent les experts. Dans la période récente, entre 2000 et 2010, «les surfaces irriguées ont diminué d’un tiers», passant de 18,5% des terres cultivées en 2000 à 12,5% en 2010.
Dans ces conditions, pour combien d’agriculteurs est-on en train de construire Sivens? 81 dit le conseil général du Tarn, 19 affirment les opposants. Les rapporteurs s’en tiennent à 30. Mais ils observent qu’au fil des années, les exploitants ont créé des «retenues collinaires individuelles», des réservoirs dont le potentiel «est aujourd’hui largement sous-utilisé». Alors, besoin d’eau ou pas? «La pénurie d’eau est une réalité incontestable», admettent les deux experts. Mais quelle pénurie? Evalués au doigt mouillé, les besoins ont été surévalués et logiquement, Sivens a été surdimensionné. Selon le rapport, 448’000 m3 auraient suffi au lieu des 1,5 million de m3 prévus par le barrage. En 2008, le conseil général du Tarn a décidé de passer une convention publique d’aménagement pour construire Sivens. Le texte de la convention signalait que «dès 1989», les reconnaissances de terrain s’étaient heurtées «à des oppositions locales». Il faudra attendre 2004 pour le choix d’une solution technique, trop grande et avec trop d’impact sur l’environnement.
L’aval du gouvernement
Arrivée en juin 2012 au ministère de l’Ecologie, Delphine Batho [relevée de ses fonctions le 2 juillet 2013 par Hollande—Valls] tente de bloquer ce projet. «Dès octobre 2012, je rédige une circulaire qui met fin au financement public des retenues de substitution comme c’est le cas pour le projet de barrage à Sivens», explique-t-elle à Libération. La ministre déchire deux circulaires prises sous la droite: l’une autorisant les agences de l’eau à financer ce type de projet et une autre permettant de se passer d’enquête publique. Le projet est alors «rhabillé», dit-elle, par les élus locaux en «soutien au débit d’étiage» pour contourner son moratoire.
Par la suite, l’enquête publique se déclare favorable au projet, «sous réserve» de l’avis du conseil national de la protection de la nature (CNPN). Lequel sera… défavorable. «Le 5 juin 2013, je dis alors au préfet du Tarn que je ne l’autorise pas à signer les arrêtés», poursuit Batho. Le projet est bloqué. Mais la ministre est limogée le 2 juillet. Début septembre, le CNPN, à nouveau sollicité, se redit «défavorable». Peu importe : un mois plus tard, la préfète du Tarn signe deux arrêtés qui ont valeur de feu vert pour les travaux. Une nouvelle circulaire autorise le financement par l’Etat d’un projet de ce type. «Or il y a 4,25 millions d’euros d’argent public dans ce projet, affirme Batho. Si l’Etat décide de ne pas mettre 1 euro, le projet tombe.»
Le nouveau ministre de l’Ecologie Philippe Martin a-t-il été moins sourcilleux que sa prédécesseure ? Parmi les dirigeants écologistes, on estime qu’entre Batho et Royal, c’est Martin, président PS du conseil général du Gers, voisin du Tarn qui a laissé filer les autorisations. «Ce sont des intérêts bien compris entre territoires, fait valoir un poids lourd d’EE-LV [Europe-Ecologie-Les Verts] Martin voulait à ce moment-là être président de la région Midi-Pyrénées!» Et donc ne pas se fâcher avec ses camarades du Tarn. L’ex-ministre se défend auprès de Libération : «Pendant les neuf mois où j’ai été ministre de l’Ecologie, je n’ai pas eu à traiter, de quelque façon que ce soit, ce dossier. Pas plus que tout autre dossier concernant une retenue d’eau d’ailleurs.»
Des élus locaux quasi unanimes
Ils ont été 43 conseillers généraux sur 46 à voter en mai 2013 les délibérations autorisant le lancement du barrage dans la forêt de Sivens. Un seul a voté contre, un élu de «sensibilité écologique». Deux conseillers généraux Front de Gauche se sont abstenus. Les élus de droite ont voté avec les socialistes. Ce qui n’a pas empêché mercredi, le président départemental de l’UMP, maire de Lavaur et ex-député de la Droite Populaire, Bernard Carayon, de demander, au nom du «respect de la victime et de sa famille […] l’arrêt de ce désastre humain et politique». Pour le coup, le président (FDSEA – Fédération nationale des syndicats des exploitants agricoles, membre des organisations patronales françaises] de la Chambre d’agriculture, Jean-Claude Huc, s’en étouffe : «Il demande l’arrêt du barrage et c’est le maire de ma commune. Il va falloir qu’il me reçoive et me donne quelques explications.» Il n’y a pas un maire d’une commune riveraine des lieux qui ait jamais protesté contre ce projet. Les agriculteurs de la vallée eux-mêmes à l’exception des rares partiellement expropriés, n’ont jamais moufté. «Ce projet est depuis au moins quinze ans dans les tuyaux et n’a jamais suscité de révolte populaire, analyse le député PS Valax. Tout a été fait dans les règles, il est temps que les règles de la République l’emportent».
Localement, le premier projet de barrage à Sivens date de 1989, à la demande du département voisin en aval, le Tarn-et-Garonne. «J’ai toujours entendu parler d’un éventuel barrage dans la forêt de Sivens, reprend Huc. Il faut savoir que cette vallée est la plus pauvre de tout le département. L’irrigation aurait permis à des exploitations familiales d’y vivre un peu plus correctement.» [1] Ainsi, il se félicite d’avoir toujours travaillé, «main dans la main avec le conseil général». En particulier à partir de 2004 : «Il s’agissait alors pour nous de mesurer les possibilités nouvelles, dans le respect des territoires, qu’offrait un stockage de l’eau sur le Tescou.» Il concède que le projet était déjà «un peu surdimensionné», mais «la sagesse paysanne, s’amuse-t-il, indique qu’il faut toujours un peu plus que de besoin en prévision des mauvais jours…»
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[1] «Philippe Maffre, membre du comité départemental de la Confédération paysanne, a son idée sur la question. Le syndicaliste reconnaît l’existence de «problèmes de sécheresse» dans la vallée du Tescou. «Ma grand-mère vient de là, et déjà gamin, j’entendais parler de cette guerre de l’eau.» Mais il estime qu’un réservoir pouvant stocker 1,5 million de m3 est surdimensionné et, surtout, trop coûteux. «Ces huit millions d’euros, pourquoi on les mettrait là et pas ailleurs ? Les problèmes de sécheresse, il y en a partout en France.» Pour lui, d’autres solutions auraient pu être envisagées, comme celle des «retenues collinaires», des réservoirs de taille plus modeste que les agriculteurs «pourraient partager». «Au lieu de ça, on a choisi de confier les travaux à la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, s’inquiète-t-il. Les paysans vont se retrouver aux mains de cette technostructure.» Maffre fustige aussi le flou entourant le nombre de bénéficiaires potentiels de la retenue d’eau. Les autorités parlent de 81 exploitations, les opposants de 19. Les experts mandatés par Ségolène Royal ont, dans leur rapport publié lundi, tapé au milieu : entre 30 et 40 exploitants. «Huit millions d’euros pour aussi peu de monde, c’est beaucoup», dénonce Maffre». (publié dans le quotidien Libération du 30 septembre 2014)
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Agrobusiness, conflits d’intérêts, mauvaise gestion
Par Nicolas Bérard
Elle est enfin sortie de son silence. Ségolène Royal, ministre de l’écologie, a annoncé mercredi 29 octobre, à la sortie du conseil des ministres, avoir convoqué une réunion «entre les parties prenantes» mardi prochain 4 novembre, sans préciser si les opposants qui ont occupé la zone du Testet seront invités. «Il faut que l’on trouve une solution qui justifie l’engagement des fonds publics et européens sur des ouvrages comme ceux-là», a déclaré la ministre. De son côté, Thierry Carcenac, président socialiste du conseil général du Tarn, a annoncé la suspension sine die des travaux du barrage. Mais mercredi, dans un entretien, l’élu socialiste explique ne pas vouloir renoncer pour autant à ce projet.
Le pouvoir et les élus locaux tentent ainsi de désamorcer la crise grandissante que provoque la mort de Rémi Fraisse, ce jeune militant de 21 ans tué le 26 octobre lors d’affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier du barrage de Sivens. «On sentait que ça allait arriver… » Julie, zadiste [de zone à défendre] de 37 ans, n’est guère étonnée par le drame qui a eu lieu au Testet. De nombreux manifestants avaient déjà été blessés et chacun, sur place, s’attendait à ce que les affrontements virent à la tragédie. Le décès de Rémi Fraisse, qui selon toute vraisemblance a été tué par une grenade offensive, n’est donc pas une réelle surprise pour nombre d’opposants : plutôt la confirmation qu’ils ont à faire face, depuis plusieurs semaines, à une réplique totalement disproportionnée des forces de l’ordre.
Pourquoi les autorités ont-elles déployé un dispositif aussi impressionnant de forces de l’ordre et pourquoi celles-ci semblaient bénéficier d’une telle liberté d’action? Le tout pour un projet qui, selon les termes employés par les deux experts missionnés par le ministère de l’écologie, est tout simplement « médiocre »… La réponse se trouve dans un savant cocktail fait de conflits d’intérêts, d’alliances politiciennes et d’agrobusiness.
Si les opposants, notamment le Collectif Testet, se sont aussi rapidement méfiés du projet du barrage de Sivens, c’est que les méthodes employées par le conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, et la CACG (compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), maître d’ouvrage délégué, ne sont pas nouvelles. L’étude du barrage de Fourogue, construit à la fin des années 1990, apporte un éclairage saisissant sur les abus constatés, ou à venir, concernant la retenue de Sivens. Car les deux ouvrages ont été construits sur un schéma tout à fait similaire.
Premier enseignement à tirer de ce barrage de Fourogue de 1,3 million de m3 mis en service en 1998: il est beaucoup trop grand par rapport aux besoins réels des agriculteurs. Mediapart a pu se procurer un mail, daté du 18 octobre 2013, envoyé par le directeur des opérations de la CACG au directeur de l’eau et de l’environnement du conseil général du Tarn, aujourd’hui en charge du dossier de Sivens. Il y fait part de «la faible souscription des irrigations [:] à ce jour 269 ha au lieu des 400 prévus par la chambre d’agriculture».
Ce surdimensionnement n’est pas sans rappeler celui dénoncé dans le cadre du projet de Sivens. Le Collectif Testet n’a dénombré que vingt exploitants susceptibles d’utiliser le réservoir de 1,5 million de m3 qui a été prévu sur la zone du Testet. Le rapport des experts, sévère dans son constat général mais néanmoins modéré dans son approche globale, estime pour sa part que le nombre de bénéficiaires est « de l’ordre de trente, et les préleveurs nouveaux environ dix ». On est loin des quatre-vingt-un exploitants annoncés par les promoteurs du projet. Cette surestimation du nombre de bénéficiaires n’est pas financièrement indolore. Non seulement elle conduit à mener des travaux plus importants et donc plus chers que ce que réclame la situation, mais, en plus, elle engendre des déficits chroniques dans la gestion des ouvrages. C’est ce que vient de nouveau démontrer le précédent de Fourogue : dans son courrier, le directeur des opérations de la CACG explique que l’exploitation du barrage souffre d’« un déséquilibre d’exploitation important ».
Alors que les recettes nécessaires à l’équilibre de cette retenue sont estimées à 35’000 euros par an, les recettes effectives annuelles ne sont que de 7000 euros. Résultat : après quinze années d’exploitation, la CACG déplore à Fourogue un déficit global de 420’000 euros. Pas d’inquiétude, néanmoins : la CACG et le conseil général se sont mis d’accord pour partager la note. S’adressant toujours à son collègue du conseil général, le directeur des opérations de la compagnie écrit dans un mail du 22 novembre 2013: «Faisant suite à nos échanges en préfecture, je te propose de mettre un poste de rémunération de 50 % de la somme (…), soit 210 k€ correspondant à la prestation suivante : “Grosses réparations (15 ans)”. »
La faiblesse des recettes s’explique aussi par un autre facteur : l’ouvrage de Fourogue n’a plus de véritable cadre juridique. En cause : l’annulation de la DIG (déclaration d’intérêt général), que les opposants ont obtenue en justice en 2005 suite à une longue procédure débutée avant le lancement des travaux. En l’absence de cette DIG, la CACG, qui a construit l’ouvrage, n’a pas pu le rétrocéder au conseil général comme cela était initialement prévu.
Pas de mise en concurrence
Le conseil général et la CACG ont-ils cherché à régulariser cette situation? Une fois de plus, ils ont plutôt décidé de laver leur linge sale en famille. Le département a ainsi signé une petite vingtaine d’avenants successifs pour confier la gestion du barrage à la compagnie. Ce qui n’est pas franchement légal. Un rapport d’audit accablant sur la situation du barrage, daté de mars 2014, note par exemple que la signature de l’un de ces avenants «doit être regardée comme la conclusion d’un nouveau contrat entre le conseil général et la CACG. Ce nouveau contrat s’apparente à une délégation de service public devant être soumise à une obligation de mise en concurrence».
Mais de mise en concurrence, il n’y a point eu… En outre, grâce à ces avenants, la compagnie d’aménagement gère le barrage depuis désormais quinze ans. Et, prévient encore le rapport, «une durée trop longue peut être considérée comme une atteinte au droit de la concurrence».
Lorsqu’il s’agit de la gestion de l’eau, la CACG devient vite, non pas l’interlocuteur privilégié du conseil général, mais plutôt son interlocuteur exclusif. Le rapport d’audit explique ainsi que «le contrat de concession d’aménagement a été signé entre le conseil général du Tarn et la CACG en l’absence de procédure de mise en concurrence conformément aux textes applicables aux concessions d’aménagement alors en vigueur. […] Or, la réalisation de la retenue d’eau constituait une opération de construction et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une concession d’aménagement. Contrairement aux concessions d’aménagement, les opérations de construction pour le compte d’un pouvoir adjudicateur devaient déjà être soumises à une procédure de mise en concurrence.»
Grâce à ces «concessions d’aménagement», comme cela est encore le cas pour le barrage de Sivens, la CACG n’a pas à se soucier des concurrents. Il lui suffit de se mettre d’accord sur un prix avec les élus du département. Pourquoi la CACG bénéficie-t-elle d’un tel favoritisme alors que sa gestion est contestée ? Une inspection réalisée en janvier 2014 par les services préfectoraux préconisait par exemple certaines rénovations à effectuer sur la retenue de Fourogue. Par courrier, il a été signifié à la CACG que «le système d’évacuation des crues présente des signes de désordre laissant un doute sur la sécurité de l’ouvrage en crue exceptionnelle et nécessite des travaux à effectuer rapidement». N’ayant reçu aucune réponse de la compagnie dans les deux mois qui lui étaient impartis, les services d’État ont perdu patience et lui ont adressé un nouveau courrier le 15 avril. Ils exigent alors qu’elle se décide enfin à «réaliser rapidement un diagnostic de l’ouvrage déterminant l’origine de ces désordres (…) et [à] mettre en place des mesures compensatoires de surveillance et de sécurité sans délai», ces deux derniers mots étant soulignés pour marquer l’urgence.
La solution finalement adoptée sera d’abaisser le niveau d’eau retenue. Ce qui ne pose aucun problème technique, puisque le barrage est beaucoup trop grand, comme l’explique en creux le courrier du responsable de la CACG: «Le volume consommé en année moyenne pour [l’irrigation] oscille plutôt autour de 200 000 m3.» Ils avaient prévu 900 000 m3… Pour comprendre les liens étroits qui unissent le conseil général et la CACG, il faut se tourner vers le fonctionnement de cette dernière. Société anonyme d’économie mixte, son conseil d’administration est principalement composé d’élus départementaux et régionaux, pour la plupart des barons du PS local ou du parti radical de gauche. Le président de ce conseil, par exemple, n’est autre que Francis Daguzan, vice-président du conseil général du Tarn. À ses côtés, on trouve André Cabot, lui aussi vice-président du conseil général du Tarn, mais aussi membre du conseil d’administration de l’Agence de l’eau, qui finance la moitié du projet de barrage de Sivens (dans le montage financier, l’Europe doit ensuite en financer 30 %, les conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne se partageant équitablement les 20 % restants).
On trouve ensuite des représentants des chambres d’agricultures, tous adhérents à la FNSEA, syndicat fer de lance de l’agriculture intensive. Aucun représentant de la Confédération paysanne dans ce conseil d’administration. Seule la Coordination rurale a obtenu un strapontin, mais ce syndicat se dit favorable au barrage. Pour compléter le tableau, siègent un administrateur salarié et des représentants de grandes banques. Des élus juges et parties, des partisans de l’agriculture intensive et des banquiers, chacun, ici, a intérêt à favoriser des ouvrages grands et onéreux.
Un chantier à marche forcée
Pour y parvenir, ce n’est pas très compliqué : les études préalables à la construction d’une retenue sont confiées à… la CACG, qui se base, pour (sur)estimer les besoins en eau du territoire, sur les chiffres de… la chambre d’agriculture, tenue par la FNSEA. Le conseil général, soucieux de la bonne santé financière de sa société d’économie mixte, n’a plus qu’à approuver, sans trop regarder à la dépense. Un fonctionnement en vase clos qui laisse beaucoup de place aux abus, et bien peu à l’intérêt général.
Exemple, à Sivens : compte tenu du fait que « la quantité de matériaux utilisables pour constituer une digue est insuffisante sur le site et, d’autre part, le coût des mesures compensatoires (…) et du déplacement d’une route et d’une route électrique », le conseil général explique dans sa délibération actant la construction du barrage que « le coût de l’ouvrage est relativement onéreux » – et encore, l’ouvrage était alors estimé à 6 millions, contre plus de 8 aujourd’hui. Pourtant, comme l’ont regretté les experts dépêchés par Ségolène Royal, aucune alternative n’a sérieusement été recherchée, et le projet a été voté en l’état par les élus. Pourquoi la CACG se serait-elle décarcassée à trouver un projet moins cher, alors qu’elle savait déjà qu’elle se verrait confier la construction de cette retenue ? Il ne reste plus, ensuite, qu’à lancer les travaux, et vite. L’exemple de Fourogue a montré aux élus que, quels que soient les recours en justice, l’important était de finir le chantier avant que les délibérés ne soient rendus. Aujourd’hui, le barrage baigne certes dans l’illégalité, mais il existe…
Le 14 septembre, les manifestants ont eu un aperçu de l’empressement des promoteurs à boucler les travaux du Testet. Ce dimanche-là, ils s’attendaient tous à une mobilisation très importante de forces de l’ordre dès le lendemain. La raison : deux jours plus tard, le tribunal administratif de Toulouse allait rendre son délibéré sur la légalité du déboisement. Grâce à de solides arguments en leur faveur, ils avaient bon espoir que le juge leur donne raison. « Ils vont tout faire pour finir le déboisement avant le délibéré », estimait alors Fabien, un jeune zadiste de 25 ans, qui se préparait à voir débarquer en nombre les gendarmes mobiles au petit matin.
Ce fut finalement encore plus rapide : les escadrons sont arrivés dès le dimanche soir afin que les machines puissent s’installer sur la zone, et commencer à couper les arbres restants à la première heure. Le mardi, le tribunal administratif n’a finalement pas donné raison à France Nature Environnement, à l’origine du recours en référé : il s’est déclaré incompétent, tout en condamnant l’association à 4’000 euros d’amende pour « saisine abusive ». Mais, de toute façon, le déboisement avait été achevé quelques heures plus tôt. On n’est jamais trop prudents… À marche forcée, le conseil général et la CACG entendent donc finir le plus rapidement possible le chantier de Sivens. Ainsi, les opposants n’ont jamais obtenu ce qu’ils souhaitaient : un débat contradictoire avec le président du conseil général du Tarn. Droit dans ses bottes, Thierry Carcenac (PS) n’a jamais pris le temps de les recevoir. Le premier ministre Manuel Valls a clairement exprimé son soutien au projet, ce qui n’a sans doute pas déplu à Jean-Michel Baylet [membre du Parti radical et d’une dynastie politique dans le Tarn-et-Garonne] , président du département du Tarn-et-Garonne mais aussi président des radicaux de gauche aujourd’hui si précieux à la majorité socialiste.
Pour que les travaux avancent, les promoteurs ont ainsi pu compter sur le soutien sans faille de l’État et de la préfecture, qui a mobilisé durant des semaines d’importantes forces de l’ordre. Les zadistes, organisés en « automédias », ont fait tourner sur les réseaux sociaux des vidéos prouvant les abus de certains gendarmes mobiles. Lorsqu’il s’est exprimé après le drame, le dimanche 26 octobre, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve s’est pourtant surtout attaché à défendre le travail des forces de l’ordre et à rejeter la faute sur « un groupe [de manifestants] extrémistes de 200 personnes environ ».
Cette course effrénée a déjà eu raison des experts du ministère, qui estiment que, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole », « il semble difficile » d’arrêter le chantier. La mort de Rémi Fraisse a mis un coup d’arrêt aux travaux. Mais pour combien de temps ? Deux jours plus tard, Thierry Carcenac n’avait pas du tout l’intention d’abandonner le projet : « L’arrêt total du projet de barrage à Sivens aurait des conséquences sur l’indemnisation aux entreprises. »
Son empressement à reprendre les travaux n’est pas anodin : rien ne dit que, comme pour Fourogue, la déclaration d’intérêt public du barrage de Sivens ne sera pas annulée en justice. Cette question fait l’objet de l’un des nombreux recours déposés par le Collectif Testet et d’autres associations. Et les délibérés pourraient ne pas être rendus avant deux ans. (publié sur le site Médiapart, le 29 octobre 2015)
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Rémi: «Ni oubli ni pardon»
Le décès de Rémi Fraisse, ce week-end à Sivens dans le Tarn, n’est pas un accident. C’est le résultat de deux mois de violences policières croissantes envers les opposantEs à un barrage que les experts de Ségolène Royal viennent de disqualifier sur de nombreux points du dossier.
Rémi, jeune toulousain de 21 ans et militant investi au sein de Nature Midi-Pyrénées, a été victime de l’explosion d’une grenade offensive dans le dos. De nombreux témoignages mettent en cause la responsabilité policière dans un contexte où les tirs de lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de flash-balls ont duré une partie de la nuit. Durant la nuit où Rémi a trouvé la mort, au moins dix personnes ont été évacuées à l’hôpital, dont trois avec des blessures graves. De peur de voir se multiplier les résistances comme à Notre-Dame-des-Landes, l’État cherche à briser par la violence et la criminalisation un mouvement qui s’étend et s’approfondit.
Environ 4000 manifestantEs, beaucoup de jeunes, ont fait le déplacement dans une ambiance d’abord festive. La solidarité est venue de toute la France, y compris des représentantEs d’autres luttes contre des grands projets inutiles imposés, Notre-Dame-des-Landes par exemple. Un week-end très réussi et bien organisé: parking, navettes, aire de campement, chapiteaux avec activités ludiques, stand d’information des associations et des politiques, lieux de débats, restauration, etc. Débats et témoignages se sont succédés. Un bon millier de personnes ont écouté avec attention toutes les interventions, pour la plupart convergentes dans les grandes lignes.
Changer de société
Bien présent, le NPA a montré l’engagement de notre parti pour le maintien d’une agriculture solidaire, écologique et non-productiviste. Prenant la parole au nom du NPA, François Favre a fait le parallèle entre le barrage de Sivens, le barrage de la Barne dans le Gers et d’autres projets similaires dans tout le Sud-Ouest. Chiffres à l’appui, il a montré le coût exorbitant de cette production d’eau pour irriguer des cultures de maïs intensives. Il a aussi démonté le mécanisme des conflits d’intérêts dans des montages financiers faits en dehors de toute consultation et de toute participation de la population. C’est bien le système capitaliste qui génère ce genre de projet, où les profits à venir pour quelques-uns motivent une offensive contre l’intérêt de tous. Pas d’autres solutions que de changer de modèle de société. Bien accueilli, Philippe Poutou est arrivé samedi en fin d’après-midi, où il a pu échanger avec de nombreux acteurs de la lutte et participer à diverses activités.
La lutte doit s’amplifier
Commandé par le ministère de l’Écologie, le rapport d’expertise critique fortement le projet, donnant ainsi raison aux opposantEs, mais «juge difficile d’arrêter le chantier»! Les travaux sont suspendus jusqu’à mercredi 29 octobre. La décision de reprise est entre les mains du gouvernement et du conseil général. La mort de Rémi ne doit pas rester impunie. Comme l’ont revendiqué des milliers de manifestantEs un peu partout en France, «ni oubli ni pardon»! Ainsi lundi 28 octobre à Albi, 500 personnes se sont rassemblées devant la préfecture avant de converger vers le tribunal de grande instance. Le cortège s’est vu bloqué par les gardes mobiles, le centre-ville encerclé et les gazages ont commencé, comme la veille à Gaillac. La journée s’est soldée par une dizaine d’arrestations. Depuis lundi, des contrôles routiers, avec gendarmes en tenue militaire, ont été mis en place dans le département, notamment sur les routes d’accès à la ZAD du Testet… Le NPA condamne cette situation de violence policière provoquée par l’obstination du conseil général et de l’État, une obstination qui vient de conduire à l’irréparable. Des rassemblements ont lieu dans les jours qui viennent: soyons y nombreuses et nombreux! Rien n’arrêtera le mouvement. (CorrespondantEs du NPA 81)
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