Par Benjamin Barthe
Un rapport de Physicians for Human Rights met en lumière la politique de destruction du système de santé menée par le régime de Bachar el-Assad. Il impute dix attaques aux brigades rebelles depuis mars 2013.
Pour la première fois depuis le début du conflit en Syrie, un rapport met en lumière, dates et chiffres à l’appui, l’entreprise de destruction du système de santé syrien mise en œuvre par le régime Assad, dans le cadre de sa stratégie d’éradication de l’insurrection. Publiée mercredi 14 mai 2014 par l’ONG américaine Physicians for Human Rights (PHR), cette étude dénombre 150 attaques, perpétrées entre mars 2011 et mars 2014, contre des structures ou des professionnels du système médical syrien. Etayée par des sources multiples et notamment des vidéos, l’enquête démontre que ces assauts, responsables de la mort d’au moins 468 médecins, infirmiers, brancardiers et pharmaciens, ont été commis à 90% par les forces gouvernementales.
«Caractère intentionnel»
Le rapport ne prétend pas à l’exhaustivité. Ses auteurs, qui n’ont pas pu corroborer de nombreuses allégations d’attaques, notamment contre les cliniques de fortune mises en place par l’opposition, subodorent que le nombre total de coups portés au réseau de santé syrien est largement supérieur aux 150 cas dûment recensés.
L’intérêt du travail de PHR réside dans le fait qu’il lève toute ambiguïté sur la politique de la terre brûlée adoptée de manière délibérée par les autorités de Damas. Vingt hôpitaux ont été bombardés à de multiples reprises, jusqu’à ce qu’ils soient obligés de fermer leurs portes. Le fait qu’au moins 24 des bâtiments touchés soient situés à l’écart d’autres constructions prouve, selon l’ONG américaine, «le caractère intentionnel» des attaques.
«Ce qui se passe en Syrie est du jamais-vu, explique Susannah Sirkin, la directrice du département international de PHR. «On sait qu’en temps de conflit, la neutralité des structures de santé est souvent violée. On l’a constaté, par exemple à Sarajevo, au Darfour ou en Somalie. Mais la manière systématique avec laquelle le régime syrien bombarde ses hôpitaux et tue ses médecins est unique dans l’histoire des trente dernières années.»
Selon les décomptes de PHR, au mois de mars 2014, près de la moitié des hôpitaux syriens et 93% des ambulances du pays avaient été endommagés, détruits ou mis hors service. «Il s’agit d’une violation flagrante des Conventions de Genève et d’un crime contre l’humanité», accuse Susannah Sirkin.
Le rapport de PHR s’articule autour d’une carte interactive, particulièrement instructive (voir ci-dessous, en fin d’article). La localisation des attaques, leur chronologie, les cibles visées et les armes employées racontent la graduelle intensification du conflit syrien et la descente aux enfers d’un pays tout entier.
C’est au début de l’année 2012, à Homs, alors que la révolution se militarise peu à peu et qu’une partie de la ville bascule du côté des rebelles, que l’armée syrienne commence à bombarder les hôpitaux. En janvier, février et mars de cette année, plusieurs d’entre eux sont touchés par des tirs d’obus et de roquettes, notamment à Bab Amro, l’un des bastions de la révolte.
Acharnement
Cette politique s’est amplifiée à Alep, à partir de juillet 2012, date à laquelle les anti-Assad se sont emparés des quartiers orientaux. La banque de sang de la ville a été l’une des premières structures médicales visées. Puis l’hôpital Dar al-Chifa, l’un des principaux de cette métropole de 2,5 millions d’habitants, a été bombardé. Une première fois en août, une deuxième en octobre et une troisième en novembre. Même acharnement sur les hôpitaux Omar ben Abdelaziz, Zahi-Azrak, Jaban, Kadi-Askar et Ansari. Selon PHR, de tous les établissements de santé de l’est d’Alep, seuls quatre centres de petite enfance et cinq cliniques spécialisées en traumatologie sont encore en activité.
Le diagnostic n’est pas moins dramatique dans la banlieue de Damas, une autre place forte de la rébellion, soumise à des frappes quasi quotidiennes; 24 des 44 cliniques de la région et trois des six hôpitaux publics sont hors service. Le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, assiégé par l’armée syrienne, ne compte plus qu’une pharmacie en activité, alors qu’il en abritait plus d’une centaine avant la guerre. Le rapport impute dix attaques aux brigades rebelles, la première d’entre elles ayant été commise en mars 2013, signe de la lente «radicalisation» de l’opposition.
PHR appelle à l’entrée immédiate de convois humanitaires dans les secteurs tenus par la rébellion, en application de la résolution 2139 du Conseil de sécurité des Nations unies, restée quasi lettre morte depuis son vote en février. L’ONG réclame aussi la saisine de la Cour pénale internationale, pour éviter que les violations des lois de la guerre perpétrées par le régime Assad ne deviennent «une nouvelle norme». (Article publié dans le quotidien français Le Monde, 14 mai 2014)
Carte interactive PHR (cliquez sur la carte pour l’avoir en mode interactif)
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