Par Yossi Gurvitz (Yesh Din)
Les FDI pourraient très bien construire un faux village quelque part sur une dune perdue dans le Néguev pour leurs entraînements. Mais le fait de s’entraîner dans un village palestinien a un autre but, occulté: montrer aux Palestiniens qui est le maître.
A fin mai 2013, les habitants du village d’Imatin ont été surpris un soir lorsqu’une importante force – les preuves indiquent qu’elle était de la taille d’une compagnie – a envahi leur village. Les troupes se sont déployées entre les maisons, effectuant ce qui avait l’air d’être un entraînement au combat dans un milieu habité.
Les soldats, évidemment armés jusqu’aux dents, ont traversé, mètre par mètre, tout le village, faisant comme s’il s’agissait d’un champ de bataille. Cette perturbation a été très stressante pour les femmes, les vieilles personnes et les enfants du village. Le lendemain, le même scénario s’est répété: à la tombée du jour, un convoi de véhicules des FDI s’est regroupé au centre du village avant de déverser environ 100 soldats lourdement armés qui se sont engagés dans le simulacre de combat.
Yesh Din avait déjà recueilli d’autres documents concernant des cas analogues. En 2007, un Palestinien de Tel Rumeida, Hebron, a protesté après que sa maison a été choisie comme site d’entraînement. Lorsqu’il a dit aux soldats que l’entraînement ferait probablement peur à son petit frère, ils ont répondu «cela ne vous concerne pas ». Mais voyons donc, il n’était après tout que le propriétaire de la maison !
Cette même année, les FDI se sont entraînées dans le village de Beit Lid, où les soldats ont pris possession des maisons au cours de la nuit avec des tirs et des hurlements. En 2012, dans le village de Deir Astia des soldats qui s’y entraînaient ont, semble-t-il, soit volontairement soit par accident, lancé des grenades de gaz étourdissants et lacrymogènes à l’intérieur d’une maison habitée. A l’époque, suite aux plaintes de Yesh Din, l’armée a prétendu qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un entraînement, mais plutôt d’un incident de «waving the flag» [déployer le drapeau]. En 2009, les Yesh Din ont été informés que le procureur général militaire (Military Advocate General) enquêtait sur ce qui s’était passé ; depuis lors, l’organisation n’a reçu aucune nouvelle, et cette pratique continue.
Il est vrai que l’invasion d’Imatin n’est pas la pire des injustices sur lesquelles Yesh Din enquête quotidiennement. En effet, parmi les incidents documentés par Yesh Din il y a entre autres du terrorisme juif contre des agriculteurs, des incendies, des vols de terres, le pillage, les maltraitances envers de personnes détenues à tort, des intimidations. A Imatin personne n’a été blessé, les soldats n’ont pas fait usage de violence contre les villageois, ni pillé les maisons: ils se sont contentés d’intimider les habitants en se déplaçant entre les cours de leurs maisons. Néanmoins cet incident est aussi important que les autres dans la mesure où il permet de comprendre l’essence de l’occupation israélienne en Cisjordanie, à savoir qu’elle ne reconnaît pas aux Palestiniens des droits humains fondamentaux.
Les Palestiniens deviennent les acteurs involontaires dans le film de guerre manigancé par le commandement militaire. Au gré des lubies de ce dernier, les cours des maisons sont saisies sans préavis pour que ses soldats puissent venir s’adonner à leurs jeux guerriers. Quand le commandement militaire le voudra, les gens devront s’enfermer dans leurs maisons et trembler en entendant les hurlements lancés dans une langue étrangère par des hommes armés qui sont entraînés à les considérer comme des ennemis.
On a tendance à justifier tout ce que fait Israël en Cisjordanie en invoquant les «besoins de sécurité». Ces besoins peuvent s’avérer remarquablement flexibles: ils peuvent, par exemple, exiger que l’on arrache des enfants palestiniens de leurs lits durant la nuit sous prétexte que leurs jets de pierres constituent un danger mortel. Par contre ces besoins de sécurité disparaissent lorsque ce sont des Juifs qui jettent des pierres: leurs pierres sont certainement pacifistes.
Ce qui s’est passé à Imatin ne peut cependant pas être justifié par des «besoins de sécurité». Les FDI contrôlent la grande majorité du Néguev ainsi qu’une bonne partie du Trésor public du pays. Si ces militaires veulent s’entraîner dans quelque chose qui ressemble à un village palestinien, ils peuvent très bien en construire une réplique quelque part dans les énormes terrains d’entraînement dont ils disposent déjà. Mais c’est justement ici que réside le nœud du problème: s’ils avaient pour objectif d’atterrir à Junia, une banlieue huppée de Beyrouth, les FDI n’imagineraient pas d’utiliser Césarée ou Savion pour une nuit d’entraînement. Mais pourquoi se gêner en ce qui concerne les villages palestiniens? Après tout, leurs habitants ne sont pas vraiment des êtres humains. Comme le dit une chanson en hébreu: «ils ne sont ni homme ni femme, ils ne sont qu’un objet, une ombre.»
Au XVIIIe siècle, le Premier ministre britannique de l’époque, Pitt l’aîné [1708-1778] , vociférait devant les membres du Parlement que: «Dans sa maison, même l’homme le plus pauvre peut défier toutes la puissance de la couronne. Sa maison est peut-être précaire, le toit peut trembler, le vent peut la traverser et la pluie y pénétrer, mais le Roi d’Angleterre ne peut pas y entrer, et ses forces n’oseraient pas franchir le seuil de cette masure en ruines!». Le paysan britannique du XVIIIe siècle avait donc davantage de droits que le paysan palestinien du XXIe siècle – sauf évidemment s’il était irlandais, puisque c’est en Irlande [occupée par les Britanniques] que sont nées les lois qui sont, aujourd’hui, nos Décrets d’exception.
L’entraînement à Imatin s’est terminé sans faire des victimes, mais cela n’a pas toujours été le cas. L’entraînement de l’Unité Duvdevan (cerise ) dans le village de Ramoun en avril 2012 a entraîné une catastrophe. Les soldats de cette unité se font passer pour des Palestiniens. Les villageois ont pris les soldats déguisés qui rôdaient dans le village pour des voleurs et les ont attaqués. Un Palestinien a été tué et un autre a été blessé, avant d’être maltraité par les soldats. L’attention du public s’est focalisée sur les mauvais traitements subis par le prisonnier plutôt que sur le fait qu’un entraînement des FDI s’était soldé par la mort d’un Palestinien. Car, tant qu’elles peuvent les justifier comme étant «nécessaires du point de vue militaire», les FDI – lorsqu’ils sont découverts – se soucient davantage pour leurs «valeurs» que pour les conséquences inattendues de leurs actions.
Ce qui s’est passé à Ramoun aurait très bien pu se passer à Imatin. Si des jeunes du village avaient essayé de chasser les envahisseurs qui entraient nuitamment dans les cours de leurs maisons, les militaires auraient riposté avec des balles réelles dans un lieu densément peuplé, avec le risque de faire plusieurs victimes. Apparemment les FDI n’ont pas pris en compte la possibilité que des Palestiniens puissent réagir à l’invasion nocturne de leurs cours – après tout, ils ne sont pas réellement humains.
Il y a une autre raison – que les FDI ne veulent pas avouer – pour organiser des entraînements en territoire palestinien. Ils pourraient très bien s’entraîner dans un coin perdu du Néguev, mais le fait d’organiser des entraînements dans un village réel montre aux Palestiniens que les militaires israéliens sont leurs maîtres, qu’ils peuvent perturber leurs vies quand ils le veulent et dont la présence suffit à les obliger à s’enfermer chez eux. Même si cet objectif n’est pas explicité, il est en fin de compte la raison déterminante de ces entraînements. Yesh Din a déposé une plainte auprès du Procureur général de l’armée et exigé une enquête sur l’incident à Imatin, mais vu son empressement sur cette question depuis 2009, il y a peu de chance pour que les choses avancent. Le fait d’intimider les résidents de Cisjordanie est beaucoup trop important pour que les FDI y renoncent. (Traduction A l’Encontre)
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Article publié sur le site israélien +972. L’auteur travaille, entre autres, comme bénévole pour des organisations de défense des droits humains.
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