Par Gilbert Sinoué
«Voilà que, depuis quelques jours, la Presse Internationale, nous bassine avec l’expression «coup d’Etat». Quarante-huit heures que les diplomates (dont on connaît l’esprit visionnaire) poussent des cris d’orfraie en évoquant la déposition de M. Morsi «président élu démocratiquement».
«Coup d’Etat!» crie la planète. «Coup d’Etat!»
La Turquie de Monsieur Erdogan condamne. Y aurait-il un lien avec les événements récents de la place Taksim? Non bien sûr. La Russie «appelle à la retenue». L’UE «désapprouve l’intervention militaire». L’Allemagne la considère «dangereuse». M. Obama, de plus en plus amnésique depuis son brillant discours du Caire du 4 juin 2009, se dit très «préoccupé».
Le Quai d’Orsay [Affaires étrangères de la République française] s’est contenté de «prendre acte». Le ministre des Affaires étrangères britannique, qui a oublié que le ridicule tue, nous dit: «Le Royaume-Uni ne voit pas dans les interventions militaires un moyen de régler des conflits dans un système démocratique.» Bien sûr, la douce Angleterre n’a jamais usé d’un processus aussi brutal, ni aux Malouines, ni en Palestine, ni en Inde, ni en Egypte, ni en Irak, et sûrement pas en Afrique du Sud, quand elle massacrait allègrement les Boers et les Zoulous, ni ailleurs dans le monde.
Bref… je pose une question: de qui se moque-t-on? A quoi jouent nos chers «démocrates»? Ont-ils jamais appris la véritable définition du coup d’Etat? Elle est pourtant claire et sans équivoque: «Prise du pouvoir de façon violente et illégale» ou encore «renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale et brutale».
Est-ce donc ce qui s’est passé en Egypte le 3 juillet 2013? N’a-t-on pas vu un peuple en marche comme jamais dans l’histoire, exiger le départ d’un dirigeant qu’il jugeait d’une incompétence nobélisable, doublé d’un pyromane? N’a-t-on pas vu que c’était le peuple et lui seul qui faisait son «coup d’Etat», et non les chefs militaires, ces derniers n’ayant agi que pour empêcher un bain de sang.
Mais où donc va le monde? Hier, sur RMC [radio généraliste monégasque à capitaux français] dans l’émission d’Eric Brunet, (formidable journaliste au demeurant), j’ai dû livrer combat pendant une heure pour tenter de tordre le cou à cette réaction internationale aussi stupide que dangereuse: «coup d’Etat». Lorsque Moubarak fut destitué à quelque chose près dans les mêmes circonstances, a-t-on entendu cette expression, une fois, une seule? Jamais. Bizarre non?
Peu importe. Je veux conclure par ceci: si seulement en 40 le peuple allemand avait eu les c… s du peuple égyptien en destituant un homme «démocratiquement élu», cela nous aurait évité des millions de morts et la Shoah. Mais cet argument, l’Occident ne l’entend sûrement pas. Il ne veut pas l’entendre
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Gilbert Sinoué, écrivain français né au Caire en 1947. Ce «billet» nous a été envoyé par Jacques Chastaing. Gilbert Sinoué est l’auteur, entre autres de: Les nuits du Caire, Arthaud, mai 2013; Le livre du Saphir, Folio, 1997; Inch’Allah. Le souffle du Jasmin (T1), J’ai lu Roman, 2011; Le tome 2 s’intitule, Le cri des pierres, 2011; Un bateau pour l’enfer (Poche 2006) sur le drame du bateau – avec 900 juifs allemands – qui quitta Hambourg en 1939 et ne trouva aucun port d’accueil… et revint à Hambourg.
Merci pour cet excellent article Gilbert Sinoué…