Iran: répression des activités syndicales, élection et «ouverture» vers l’Occident

Hassan Rohani
Hassan Rohani

Par rédaction A l’Encontre et Mansour Osanloo

La victoire électorale d’Hassan Rohani – dès le premier tour, il a obtenu 50,68% des voix – est d’abord un signe en direction des puissances impérialistes. Hassan Rohani a été membre du Conseil suprême de défense nationale durant deux ans, puis en a été écarté par Ahmadinejad. Il était aussi responsable du «dossier nucléaire» avant d’en être écarté.

Le candidat Saïd Jalili, parmi les plus «conservateurs», était considéré comme intransigeant sur le dossier nucléaire et très «fidèle» au guide suprême Ali Khamenei. Rohani, dans le contexte politique actuel de l’Iran, est considéré comme un «religieux modéré». Son porte-parole Saïd Reza Salehi déclarait le 10 juin 2013: «Hassan Rohani a rédigé un programme précis sur le nucléaire. Sa stratégie principale, c’est d’avoir des relations avec l’Occident et de diminuer les tensions, pour régler cette question du nucléaire et trouver une solution par la discussion.»

Sortir de la dite impasse nucléaire implique de lever les sanctions économiques qui se répercutent, d’une part, sur la marge de manœuvre des acteurs économiques dominants et, d’autre part, sur la vie quotidienne, de plus en plus difficile, des masses laborieuses iraniennes, qu’elles travaillent ou soient au chômage ou dans la précarité.  C’est ce qu’explique dans l’article ci-dessous Mansour Osanloo, ex-président des syndicats des conducteurs de bus, arrêté et torturé de façon terrifiante pour avoir simplement engagé une activité de défense des travailleurs. Pour les fractions au pouvoir, islamistes, l’interdiction d’une activité syndicale indépendante participe de leur approche néolibérale au plan économique.

Cette répression anti-syndicale et politique s’inscrit aussi dans le cadre des articles de la Constitution, dont deux ont une importance concrète. L’art. 12 qui affirme : «La religion officielle de l’Iran est l’islam selon l’école juridique jaffarite duodécimaine [l’école jaffarite – Chiite Dudécimaine – est une école Juridique islamique à part entière, il existe d’autres écoles: malékite, hannafite, chafiite et hanbalite]. Ce principe ne sera jamais susceptible de modification.» Art. 115: «Le président doit être élu parmi les hommes [le mot utilisé dans le texte original est Rejal] versés dans la religion et la politique et possédant les qualifications suivantes: Iranien d’origine, nationalité iranienne, capacité à diriger, avisé, justifiant d’un passé sans tache, honnête et pieux, croyant et adhérent aux fondements de la Républiques islamique d’Iran ainsi qu’à la religion officielle du pays.» C’est sur base qu’ont été sélectionnés entre autres les candidats, initialement au nombre de 686, qui se sont inscrits pour succéder à Mahmoud Ahmadinejad. Certains «anti-impérialistes» vont-ils regretter Ahmadinejad et son orientation parce qu’il apparaissait plus «ferme» face à «l’Occident» que Rohani? Quand on lit les balivernes de certains «anti-impérialistes» soutienant le régime d’Assad en Syrie – soutien de facto ou implicite – on peut se risquer à penser que de telles «élaborations» regrettant Ahmadinejad se feront jour sur la Toile. Il est vrai qu’Einstein disait: «Deux choses sont infinies: l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue.»

Le corps constitué des pasdarans défend ses intérêts  politiques, économiques et militaires avec une autorité tout aussi grande que celle de Khamenei. De fait, ils verrouillent la situation politique et institutionnelle intérieure. En un mot: autant les élections représentent un message en direction de «l’Occident», autant le régime et ses règles en place restent ancrés dans une continuité. Sauf à imaginer, ce qui n’est pas impossible, une crise sociale de plus grande ampleur avec des expressions politiques massives, certes diversifiées,  contre le pouvoir en place, ce que confirment peut-être les manifestations présentes dans la rue. (Rédaction A l’Encontre)

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Des enfants dans un ateler de mécanique à Téhéran
Des enfants dans un ateler de mécanique à Téhéran

L’élection présidentielle iranienne ne sera ni libre ni juste. Les candidats présentés au vote ont été sélectionnés à l’avance lors d’une enquête approfondie, motivée politiquement, qui n’a d’autre objectif que d’assurer l’élection d’un président docile, qui sera loyal au chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei. Indépendamment du résultat du vote, le défi le plus urgent autant du prochain président que de l’ayatollah Khamenei va être de faire face à une marée montante de mécontentement résultant de la dégradation rapide de la situation économique.

Le monde extérieur est principalement intéressé à savoir si l’élection marquera un changement de la position du régime iranien sur la question du nucléaire. Pour l’Iranien et l’Iranienne «de la rue», toutefois, la question la plus importante est celle des conséquences de cette élection sur son porte-monnaie; en particulier l’effet qu’elle aura sur les masses qui travaillent dur, celles dont le pouvoir d’achat a drastiquement diminué alors qu’elles luttent pour assurer les besoins les plus élémentaires de leurs familles.

Les travailleurs de l’industrie, les enseignant·e·s, les infirmières, les employé·e·s de l’Etat et du secteur des services ont été frappés durement. La gestion économique médiocre du gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad, conjuguée avec des sanctions internationales drastiques, a fait du sort de ces travailleuses et travailleurs l’aspect le plus important de la politique intérieure de l’Iran.

La situation au sein du pays peut sembler calme en raison de la répression gouvernementale brutale, mais d’amples protestations ouvrières existent. Des dissidents de toute provenance sociale, incluant des jeunes formés mais sans emploi ainsi que des femmes, sont à la recherche de tous les instants possibles durant lesquels ils pourront exprimer pacifiquement leurs doléances. Rien que la semaine dernière à Ispahan, lors des funérailles [le 4 juin] de l’ayatollah Jalaledin Taheri, célèbre membre du clergé dissident, des milliers de personnes scandèrent «Mort au dictateur!» et «Tous les prisonniers politiques doivent être libérés!».

Les autorités sont conscientes de la bombe à retardement que crée l’appauvrissement de larges couches de la population. Lors d’une récente réunion du Conseil national de sécurité d’Iran, des officiels de haut rang ont exprimé leurs préoccupations au sujet de possibles émeutes «de la faim».

Je sais jusqu’où les autorités peuvent aller. J’ai passé plus de cinq ans en prison en raison de mes activités en faveur de l’organisation des travailleurs. J’ai été torturé physiquement et psychologiquement; j’ai été menacé d’être violé. Mes interrogateurs ont aussi souvent menacé d’emprisonner, de torturer et de violer ma femme et mes enfants.

Puyesh, mon fils, a été emprisonné et brutalement torturé. Les autorités ont expulsé mon autre fils, Sahesh, de son université. Les services secrets ont enlevé son épouse, Zoya, à trois reprises. Elle a été battue et menacée. Elle a fait une fausse couche lors de l’un de ces enlèvements. Saeed Mortazavi, le fameux procureur de Téhéran, a menacé à plusieurs reprises mon épouse alors qu’elle continuait la procédure pour ma défense auprès de la Justice. Mes interrogateurs l’ont également très souvent harcelée par des appels menaçants et des SMS indécents.

J’ai été mis en cellule d’isolement pour la plus petite protestation contre mon traitement. Une fois, je l’ai été pendant 7 mois et 23 jours. Les interrogateurs ont souvent menacé de me tuer, me disant: «Personne ne sait que tu es ici, nous pouvons aisément te tuer en toute impunité.» Ils me rappelèrent à plusieurs reprises les massacres de prisonniers politiques au cours des années 1980 et les nombreuses personnes qui ont été tuées en détention depuis lors.

J’ai cependant été suffisamment chanceux pour bénéficier d’un large soutien, en particulier de la part des syndicats internationaux et des organisations des droits humains. La diffusion des nouvelles au sujet de mon affaire a eu un effet sur ma relation avec les gardiens. Ils prirent connaissance – par le biais des chaînes télévisées satellitaires ainsi que par Internet – des informations au sujet de mon activité syndicale et des raisons qui aboutirent à mon emprisonnement. Un changement de leur comportement en résulta au fil du temps. Je suis même arrivé à tisser des rapports amicaux avec certains de mes gardiens de prison, qui étaient eux-mêmes issus de familles ouvrières, leur expliquant comment faire aboutir des plaintes contre leurs employeurs, plainte ayant trait à leurs conditions de travail.

J’ai récemment quitté le pays parce que j’étais menacé de mort. Des travailleuses et travailleurs iraniens de nombreux secteurs continuent cependant à s’organiser; certains de façon publique, d’autres le font clandestinement pour éviter la répression. Les intimidations, les poursuites judiciaires et l’emprisonnement des militants syndicaux s’accroissent, mais les syndicats n’ont pas pu complètement être réduits au silence et certains ont même remporté quelques succès limités. Mes collègues du syndicat des conducteurs de bus de Téhéran sont parvenus à gagner une augmentation de salaire de 18% malgré les emprisonnements et le licenciement de plusieurs membres. Ample chômage, inflation galopante, manque de biens élémentaires ainsi qu’un déclin abrupt du taux de change de la monnaie iranienne [qui se répercute sur les prix des biens importés] ont un impact tellement négatif sur la vie des travailleurs et des salarié·e·s qu’ils ne peuvent se permettre de rester silencieux et indifférents.

Face à cette crise économique, aucun des actuels candidats présentés à l’élection n’a mis en avant un programme économique concret et crédible pour faire face aux préoccupations des travailleuses et des travailleurs. Ils ont fait référence à des problèmes et critiqué la gestion médiocre ainsi que la corruption du gouvernement Ahmadinejad, mais ils n’ont pas proposé ou discuté de solutions pour améliorer le sort des travailleuses et travailleurs.

Nous accueillons le soutien international de toutes celles et ceux qui se préoccupent de notre lutte. La gauche américaine s’est opposée à juste titre à un aventurisme militaire contre l’Iran, mais elle doit aussi s’opposer aux sanctions qui frappent les Iraniennes et Iraniens «de la rue». Elle doit également soutenir nos luttes visant à obtenir la liberté d’expression et d’association ainsi que le droit à la négociation collective et celui de défendre des améliorations sur les lieux de travail. Ces libertés élémentaires sont essentielles à notre dignité ainsi que pour l’avenir d’un Iran réellement démocratique. (Traduction A l’Encontre)

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Opinion publiée dans l’édition du 15/16 juin 2013 de l’International Herald Tribune. Mansour Oslandoo est ancien président du syndicat des conducteurs de bus de Téhéran. Il a été emprisonné par le gouvernement iranien entre 2006 et 2011.

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