Il est des chiffres que les milieux financiers, pourtant avides de données en tout genre, préfèrent oublier. Ceux publiés par la Commission européenne de l’UE le mercredi 1er décembre font manifestement partie du nombre.
D’ailleurs, leur publication a donné lieu à un silence assourdissant. Pourtant, au moment où des pays de la zone euro sont poussés les uns après les autres au bord du gouffre, où les marchés financiers ne cessent de donner des leçons de rigueur aux Etats en exigeant toujours plus de sacrifices sur les budgets sociaux, censés être à l’origine de tous les maux, il n’est pas inutile de regarder ce que les Etats européens, choisissant d’éviter toute douleur aux banques, ont consenti pour soutenir le système financier depuis le début de la crise.
Selon les statistiques établies par la Commission européenne, «le volume des aides publiques en faveur du secteur financier, autorisées par la Commission européenne entre octobre 2008 et octobre 2010, s’est élevé à environ 4.589 milliards euros». Il faut répéter le chiffre tellement il est hallucinant: 4.589 milliards d’euros. Cela représente l’équivalent des PNB (produit national brut) de l’Allemagne et de la France confondues. Comprenant ce que ce montant peut avoir d’effrayant, la Commission s’empresse d’en diminuer l’impact. Il ne s’agissait, souligne-t-elle, que d’autorisations données à des aides publiques. Cela donne malgré tout l’idée des efforts que les Etats étaient prêts à consentir pour sauver le système financier.
Dans la réalité, poursuit la Commission européenne, une partie seulement a été dépensée. «Le montant des aides publiques effectivement utilisé en 2009 a été nettement moins élevé, puisqu’il a atteint 1.106,6 milliards d’euros, contre 957 milliards d’euros en 2008», précise le communiqué. Mais, assure Bruxelles, ces aides ont eu des répercussions très limitées sur l’endettement public des Etats. En un mot, il ne faut surtout pas croire que les Etats paient pour les banques. Et ces aides, bien entendu, n’ont rien à voir avec la crise actuelle de l’euro.
A l’appui de sa démonstration, la Commission explique que 76% des aides (soit 840 milliards d’euros) ont été accordées sous la forme de prêts et de garanties publiques pour faciliter le maintien du crédit interbancaire. «Ces prêts et ces garanties n’ont une incidence sur les finances publiques que s’il y est fait appel», insiste la Commission européenne.
Le coût du sauvetage du système financier est donc des plus limités, selon ses calculs. En 2009, les Etats ont dépensé 132 milliards d’euros (12% des aides) pour recapitaliser les établissements bancaires et une centaine de milliards (9% des aides dépensées) pour financer des structures ad hoc héritant d’actifs toxiques des banques. Rien d’insupportable à écouter la Commission européenne. A titre de comparaison, cependant, l’ensemble des aides publiques des Etats européens pour le reste de l’économie s’est élevé à 73 milliards d’euros.
La position de la Commission européenne tendant à minimiser les engagements hors bilan des Etats pour sauver les banques doit cependant être relativisée. Car ces derniers peuvent représenter des bombes à retardement comme vient de le découvrir l’Irlande. A l’automne 2008, les garanties offertes par le gouvernement irlandais sur ses banques devaient coûter à peine 1,5 milliard d’euros au budget de l’Etat. En 2009, selon les statistiques européennes, le gouvernement n’a dépensé que 11 milliards d’euros pour son système financier. Mais la machine s’est emballée en quelques mois. L’addition s’élève aujourd’hui à plus de 50 milliards. Et le plan de sauvetage élaboré avec le FMI et l’Union européenne prévoit de remettre au pot au moins 30 milliards d’euros supplémentaires pour aider le système financier irlandais.
Les relevés européens recèlent d’autres surprises, sur la France notamment.
Aides autorisées et réellement versées en 2008 et 2009 © commission européenne
Depuis des mois, le gouvernement français assure que le sauvetage des banques françaises n’a rien coûté aux finances publiques. Mieux, l’Etat a gagné de l’argent grâce aux banques, n’a cessé de répéter la ministre des finances, Christine Lagarde. L’essentiel de cette présentation gouvernementale porte en fait sur les 21 milliards d’euros apportés sous la forme de prêts subordonnés aux huit plus grandes banques et que celles-ci se sont empressées de rembourser à la fin de 2009.
Mais il y a eu d’autres aides, soigneusement passées sous silence. L’Etat a d’abord recapitalisé Dexia et la BPCE (née de la fusion entre les Banques populaires et les Caisses d’épargne) à hauteur respectivement de 3 et 5 milliards d’euros. En parallèle, une structure spéciale, la Société de financement de l’économie française (SFEF), été créée pour lever des fonds sur les marchés avec la garantie de l’Etat pour le compte des établissements financiers. Ayant obtenu l’autorisation de lever jusqu’à 260 milliards d’euros, la Sfef n’a fait appel aux marchés que pour 77 milliards, jusqu’à sa fermeture au 31 décembre 2009. Mais la dette continue à courir au moins jusqu’en 2015. Enfin, une enveloppe de 22 milliards, provenant du surplus des fonds récoltés sur le Livret A, a été mise à la disposition des banques afin de faciliter le crédit aux entreprises.
Au total, le sauvetage du système financier français pendant la crise s’est élevé à 128 milliards d’euros, mis à la charge des finances publiques, si on s’en tient aux comptes publics. Les statistiques européennes font apparaître des chiffres un peu différents. Le gouvernement français a sollicité l’autorisation d’aides pour un montant de 351 milliards d’euros, nettement moins que l’Allemagne (592 milliards) ou la Grande-Bretagne (850 milliards). Entre 2008 et 2009, un total de 210 milliards d’euros a effectivement été dépensé, soit sous forme de garanties, soit sous forme de recapitalisation, selon Bruxelles. C’est-à-dire nettement plus que ce qui a été officiellement annoncé.
Comment expliquer cette différence ? Le ministère des finances, comme à son habitude, n’a pas daigné nous répondre. Cela suscite malgré tout quelques interrogations tant sur la solidité du système financier français que sur l’importance des engagements publics pour l’aider. Car une partie de ces aides se retrouve dans l’endettement public. Et à écouter les orthodoxes de la finance, le trou de la sécurité sociale est insupportable mais pas le déficit créé pour aider les banques. Mais à part cela, comme l’a répété dernièrement le directeur général de la grande banque BNP Paribas, Baudoin Prot, «les banques françaises n’ont aucunement contribué aux origines de la crise» et les aides de l’Etat de l’époque n’ont rien «coûté aux contribuables».
Cet article a été publié sur le site du quotidien français Mediapart.
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