Par Emanuel Cancella
La Petrobras [pour: Petróleo Brasileiro S.A.] est une entreprise d’Etat. Une des différences entre une entreprise privée et une entreprise d’Etat est l’engagement que dernière est censée avoir non seulement face au profit, mais aussi pour ce qui a trait à un projet de développement national. Pour cette raison, il faut se méfier lorsqu’on entend claironner que «la Petrobras a subi des pertes en 2012», ce qui est un grand mensonge. Comme rien ne se passe par hasard, il n’a pas fallu longtemps pour que l’on entende avancer des justifications en faveur d’une privatisation présentée comme «sortie inévitable de la crise». Le fait est que les vautours ne se reposent jamais et qu’ils sont toujours prêts à fondre sur leurs proies.
Nous allons mettre les points sur les i : la Petrobras a fait en 2012 un bénéfice de 21,1 milliards de reais [quelque 10 milliards de CHF]. Cela après production, raffinage, commercialisation, transport et garantie d’approvisionnement de dérivés du pétrole dans tout le pays. C’est d’ailleurs cela sa fonction constitutionnelle. Si l’on se livre à des comparaisons avec les autres entreprises brésiliennes, la Petrobras est restée [en 2012] le leader. Suivie de la Banque Itaú qui a fait un bénéfice de 13,59 milliards de reais [6,4 milliards de CHF]. Mais les banques se servent de différentes brèches légales pour tromper le fisc, elles n’ont pas d’engagement social et elles n’investissent pas dans le développement national (au contraire de ce que font – ou devrait faire – les entreprises d’Etat).
Par exemple: la Petrobras paie des royalties à l’Union [Etat fédéral], aux Etats et aux municipalités. La compagnie finance également 50% du Programme d’Accélération de la Croissance, le PAC. De plus, elle est l’entreprise qui paie le plus d’impôts à l’Union, aux Etats et aux municipalités. Sans compter les innombrables projets culturels. Y a-t-il une autre entreprise qui garderait pendant huit ans le prix de l’essence gelé afin d’empêcher l’explosion de l’inflation et des prix? Cela peut-il être considéré comme mauvais pour le peuple brésilien? Il est bon de réfléchir au rôle social de l’entreprise, avant d’applaudir ces gens à l’esprit étroit qui ne calculent qu’en fonction du bénéfice immédiat. Historiquement, c’est le capital d’Etat qui a toujours financé le développement de notre pays.
Mais pourquoi la Petroboras a-t-elle fait moins de bénéfice en 2012?
Les critiques faites à la Petrobras portent sur la chute de son bénéfice de 32%. Une des raisons principales de cette chute a été l’importation d’essence faite pendant une certaine période par l’entreprise afin de satisfaire la demande sur le marché interne. Pour stimuler l’industrie automobile, le gouvernement a exonéré les acheteurs du paiement de l’IPI [l’Impôt sur les produits industrialisés]. Résultat: il a augmenté significativement le nombre des voitures sur les routes, évitant ainsi au secteur de devoir attendre un renouvellement de la demande.
Pour faire croître la consommation, la Petrobras a dû importer une partie de l’essence en la payant plus cher, puis elle l’a revendue sur le marché interne en subventionnant une partie de son coût. Mais la question que l’on ne peut taire est la suivante: pourquoi la Petrobras a-t-elle dû subventionner également l’essence distribuée dans les stations telles que Shell, Esso, Texaco, Repsol, etc. ? Pourquoi celles-ci n’ont-elles pas partagé avec la Petrobras les pertes subies sur le coût final de l’essence? Il revenait à l’Agence nationale du Pétrole et du Gaz de l’imposer.
Nous ne le répéterons jamais assez, la Petrobras est encore une entreprise d’Etat et, pour cela, doit penser au futur et non seulement au profit immédiat. Le souci du futur l’a d’ailleurs conduite à construire cinq raffineries supplémentaires ce qui, en plus de couvrir le marché interne, devrait permettre l’exportation de dérivés du pétrole.
Alors pourquoi privatiser?
La société [civile] doit rester attentive, puisque la présidente de la compagnie, Maria das Graças Foster [depuis 2012, mais ayant effectué toute sa carrière au sein de Petrobras, c’est une proche de la Présidente Dilma Rousseff], est en train de prendre la tête d’une campagne menée avec les grands médias dans le but de discréditer la compagnie d’Etat et d’ainsi rendre possible sa privatisation, que ce soit totale ou partielle. En effet, dans les coulisses, on réfléchit déjà à la création d’une entreprise de raffinage et à la vente de 30% des actions de cette entreprise.
Dans la province de Bacia de Santos [la plus grande province pétrolière du Brésil], Foster a déjà vendu des participations dans ce bassin de ressources pétrolières – BS-4 – au méga-entrepreneur Eike Batista [qui est à la tête de la holding EBX qui contrôle des sociétés dans le pétrole, le gaz, l’extraction minière, l’offshore qui est décisif étant donné les ressources pétrolières en mer], à travers le plan de développement [PAC]. Dit en clair: Graça Foster est en train de brader les puits de pétrole qui sont le patrimoine de tout le peuple brésilien? A quel genre de privatisation devons-nous nous attendre maintenant?
Comme les travailleurs l’avaient déjà fait dans le passé avec les campagnes Fora Collor [Dehors, Collor en 1992] et Fora FHC [même revendication, mais pour Fernando Henrique Cardoso], qui tournaient principalement autour du thème des privatisations, il est l’heure aujourd’hui de mener la campagne Fora Graça Foster, Já ! [Dehors Graças Foster, tout de suite !] Les crises aux Etats-Unis et en Europe, qui ont des conséquences sur le monde entier, ne suffisent-elles pas à montrer combien le néolibéralisme est nocif ?
Les syndicats discutent le départ de la présidente Graças Foster
Les syndicats du secteur pétrolier liés à la Fédération nationale des Industries pétrolières (FNP) discutent déjà d’une action en justice pour la destitution de la présidente de la Petrobras et de son comité directeur, au motif qu’elle priorise des mesures étrangères à l’intérêt national et qu’elle salit l’image de la Petrobras. Foster a annoncé dans la presse la nécessité d’augmentations successives du prix des combustibles, ce qui causerait un préjudice à toute la société et provoquerait une hausse de l’inflation. L’une des façons de résoudre ce problème serait de revoir la marge de bénéfice des sociétés distributrices, par exemple.
D’un autre côté, les augmentations favorisent les actionnaires. A Londres, le 3 juillet 2012, Foster a déclaré (sur la chaîne Globo) à des investisseurs étrangers: «Nous allons consacrer nos vies à vous faire récupérer la valeur de vos actions». En plus de cela, Foster a été une fervente partisane des ventes aux enchères de pétrole, ce qui constitue un bradage de notre pétrole. La présidente de la Petrobras utilise la même stratégie de privatisation que sous l’ère Collor et FHC: elle discrédite l’entreprise pour en justifier la privatisation.
La présidente de la Petrobras s’est auto-intitulée «ex-trieuse de déchets» [elle est ingénieur en génie chimique]. Dès lors, en tant qu’ex-bas salaire, elle devrait donc se préoccuper des mères de famille brésiliennes qui, dans les campagnes, sont en train d’abandonner le gaz domestique – le prix de la bonbonne étant trop élevé – pour se tourner vers le bois et le charbon. Foster pourrait également faire l’effort d’augmenter la subvention du diesel, soulageant ainsi le porte-monnaie des travailleurs qui dépensent la moitié d’un salaire minimum pour aller au travail et en revenir. Mais Foster semble n’être préoccupée que par les investisseurs étrangers. (Traduction par A l’Encontre)
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Emanuel Cancella est coordinateur de la Fédération nationale des Industries du Pétrole (FNP) et membre de Sindipetro [le syndicat des travailleurs du pétrole] de l’Etat de Rio de Janeiro. Article publié dans Correio da Cidadania en date du 8 février 2013.
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