Pour parvenir à s’infiltrer dans Alep, où les combats font rage depuis près de trois mois, il faut se faire accepter et suivre une petite unité combattante venue des campagnes pour relever les groupes qui font le coup de feu dans Alep. Ces groupes viennent des villes et villages avoisinants où ils se reposent et prennent ensuite la place des troupes combattantes à Alep, au rythme d’une rotation par semaine.
Ce sont des katibas, de petites formations d’une dizaine à une vingtaine de rebelles, qui sont regroupées sous le commandement d’un chef de brigade. Des brigades qui, elles, rassemblent plusieurs milliers de rebelles, comme la principale, la Liwa al-Tawhid qui contrôle l’ensemble de cette zone libérée au nord de la Syrie et qui mène les combats à Alep. C’est le seul moyen d’entrer dans la ville d’Alep de manière sûre, car les rebelles rentrent par les zones qu’ils contrôlent, et donc permettent de ne pas tomber entre les mains des forces gouvernementales, qui restent, elles, maîtresses de plusieurs accès à cette ville, notamment à l’ouest, la route de l’approvisionnement depuis Damas.
Fusils mitrailleurs contre tanks, hélicos et chasseurs-bombardiers
Sur le terrain, il est clair que les forces rebelles contrôlent une bonne partie de la ville. Probablement plus de la moitié, puisqu’il est possible de traverser de larges parties de cette cité, d’ouest en est et du nord au sud, où les rebelles sont presque comme chez eux. A part certains îlots où l’armée gouvernementale est positionnée et lourdement armée, c’est la rébellion qui contrôle la plupart des quartiers centraux, comme le vieux souk, par exemple, à côté de la citadelle.
Les banlieues résidentielles sont, elles, soit neutres, comme les grands quartiers kurdes, soit plutôt fidèles au régime baasiste en place. Pourtant, le rapport des forces n’est pas en faveur des rebelles qui tiennent tout juste leurs positions avec des fusils mitrailleurs. Ils n’ont guère plus, face à la puissance militaire de l’armée loyaliste avec ses tanks, ses mortiers qui permettent des bombardements incessants et très efficaces. Et surtout face à l’aviation, hélicoptères et chasseurs-bombardiers qui font, eux aussi, un mal considérable.
La situation pourrait se résumer ainsi: les rebelles sont majoritairement maîtres du terrain au sol, mais pas des airs; et contre cette maîtrise des airs, ils ne peuvent rien faire.
C’est pourquoi, l’euphorie qui régnait chez eux les premières semaines a laissé place à plus de réalisme. Si les chefs de la rébellion rencontrés dans la région, à quelque niveau qu’ils soient, demeurent persuadés de leur victoire finale, ils sont aussi conscients que l’issue de cette bataille n’est pas pour demain. Parce que, soulignent-ils, l’infériorité de leur matériel, de leur armement, ne leur permet pas de faire mieux que tenir les places conquises, en fait, au début de la bataille d’Alep, grosso modo fin juillet, donc près de trois mois auparavant.
«Neutraliser l’aviation»
Les fronts ne bougent quasiment pas. Pour preuve, cette très dure bataille qui a permis à la rébellion de prendre la Grande Mosquée des Omeyyades dans le centre après 36 heures de combats et qui a été reperdue quelques heures après. De la même manière, le souk, conquis après des combats très durs aussi, est tenu par quelques dizaines de rebelles à peine. Combien de temps pourront-ils tenir la place? Les rebelles attendent donc de la communauté internationale qu’elle neutralise l’aviation de Bachar el-Assad et surtout qu’elle leur fournisse des armes plus conséquentes. Sans ça, elle ne pourra pas prendre l’ascendant sur les troupes du régime baasiste, c’est certain.
En attendant, la vision qu’offre la ville est celle d’un véritable cloaque où les poubelles ne sont plus ramassées depuis longtemps, les rues sont encombrées de toutes sortes d’obstacles qui servent à faire des barrages. Il n’y a souvent pas d’électricité, pas d’eau, la plupart des magasins sont fermés, il n’y a que quelques étals de produits de première nécessité, parfois de petits marchés improvisés. C’est aussi une ville dévastée, car les immeubles sont en grande partie détruits.
C’est enfin une ville fantôme où les habitations sont le plus souvent vides, car une bonne moitié de la population a quitté la ville, le centre notamment, et ceux qui sont restés, surtout des hommes, luttent littéralement pour leur survie, traversant en courant les rues pour aller chercher du pain sous les bombardements, se cachant de jour comme de nuit. Quand on sait que l’hiver approche, on ne peut que s’inquiéter pour les conditions de vie de ces gens en sursis, menacés aussi par les épidémies et les maladies. (Article réalisé pour RFI, le 18 octobre 2012)
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