15 septembre: Madrid une marée de couleurs

Manifestants sur la Place de Colón, Madrid, le 15 septembre 2012

Par Susana Hidalgo
et Daniel  Ayllón  

Le quotidien El Pais (16 septembre 2012) demandait la raison pour laquelle des personnes manifestaient le 15 septembre à Madrid. Voici quelques réponses: «Parce que je participe à un projet public de recherche sur le VIH et nous dépendons de subventions étatiques qui ont cessé d’arriver» (Carolina Gutiérrez, 37 ans). «Parce qu’on m’a abaissé le salaire et on m’a augmenté le temps de travail et j’ai deux filles au chômage» (Cristobal Crespo, 62 ans). «Parce que depuis janvier le collège public dans lequel je travaille ne reçoit plus un centime» (Maria del Carmen Pascual, 58 ans). «Parce que le système ferroviaire est en danger», pouvait-on lire sur le tee-shirt d’un groupe de travailleurs de Renfe, la société nationale de chemin de fer.

217 collectifs d’origines diverses, des ONG, des organisations féministes, des associations de médecins, de juristes, etc. ainsi que les deux centrales syndicales – l’Union générale des travailleurs et les Commissions ouvrières – ont constitué ce qui est dénommé le Sommet social. L’initiative a été prise dès juillet au siège des Commissions ouvrières. Cette mobilisation du 15 septembre avait la forme d’une «marche sur Madrid» qui a réuni des dizaines de milliers de personnes, les organisateurs ont parlé de 400’000 à 500’000 personnes et le gouvernement de 65’000. L’objectif pour les appareils des centrales syndicales se réduisait à revendiquer un référendum sur les mesures d’austérité. Ignacio Fernandez Toxo, secrétaire général des Commissions ouvrières, se limita à une vague allusion à une grève générale, en affirmant que «la clé de cette dernière était dans les mains du gouvernement». Il faut souligner l’absence des principaux dirigeants du PSOE, entre autres de son secrétaire général Rubalcaba.  Dans l’article publié ci-dessous ressort la place dans cette mobilisation du secteur qualifié de «bloc alternatif». Pour saisir l’ampleur de cette manifestation, il faut avoir à l’esprit qu’en neuf mois, depuis la victoire du Parti populaire (PP) en novembre 2011, trois plans d’austérité ont été adoptés et imposés. Ils touchent tous les domaines: des retraites à la loi sur le travail (déjà flexibilisée sous Zapatero) aux allocations de chômage et à la durée de versement de ces allocations, en passant par le financement des secteurs de la santé et de l’éduction qui dépendent des 17 régions autonomes, dont la majorité se trouvent dans une situation financière désastreuse, aussi bien sous les effets de la récession que du paiement de la dette et de la restriction des recettes.

Les dernières données sur le chômage (El Pais, 16 septembre 2012) indiquent que le nombre de chômeurs enregistrés (corrigé des variations saisonnières) s’élève à 4’786’300; fin 2011, le nombre était de 4’258’700. Pour avoir un chiffre plus près de la réalité, il faut ajouter à ces données 1 million de personnes, ce que confirme l’enquête sur la population active qui signale le chiffre de 5,7 millions en juillet 2012 (El Pais, 20 septembre 2012). Le chômage des jeunes entre 15 et 24 ans se situe à la fin du 2e trimestre 2012 à hauteur de 53,28%. Il ne cesse d’augmenter. Un autre trait caractéristique réside dans l’accroissement du nombre de chômeurs et chômeuses «de longue durée» avec une hausse particulière pour les personnes ayant plus de 55 ans. Selon l’association des entreprises de travail temporaire, 67% de cette couche serait au chômage depuis plus d’un an. Et cela au moment où le gouvernement élève l’âge de la retraite en le passant de 65 à 67 ans. Pour ce secteur important de salarié·e·s se combinent la perte de travail, la réduction du montant de leur retraite et l’abaissement de ce qui pouvait apparaître comme une sorte d’assurance privée pour leur vieillesse: la valeur de leur logement. La baisse des prix des biens immobiliers anciennement bâtis est de 15,7% du 1er trimestre 2010 au 2e trimestre 2012.

Si le gouvernement a obtenu une «assurance» de la part de la Banque centrale européenne pour un plan de sauvetage du système financier, à hauteur de 100 milliards d’euros, il est peu probable, malgré toutes les manœuvres du ministre des Finances Luis de Guindos, que l’Espagne puisse échapper à un nouveau plan d’austérité qui touchera tous les secteurs déjà frappés. Après avoir cité la liste des conditions attachées à un «sauvetage», le quotidien El Pais conclut: «Grèce, Irlande et Portugal démontrent que, dans un pays renfloué, l’appétit réformiste de ses créanciers est pratiquement infini.» (15 septembre 2012) Le volume de titres placés à court terme sur le marché par le Trésor de l’Etat de la monarchie espagnole, du 2 août au 20 septembre, démontre l’appétit des investisseurs qui savent que l’on peut encore saigner «le malade espagnol». Ils peuvent obtenir un taux d’intérêt à hauteur de 3,9% pour un titre ayant une échéance à 3 ans. En comparaison au même titre émis par le gouvernement suisse ou allemand, on réalise leur intérêt, dans le double sens du terme.  (Rédaction A l’Encontre)

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Madrid, samedi 15 septembre. A midi, on entendait par les haut-parleurs sur la Place de Colón: «Pour être un bon gouvernant nous allons exiger le certificat de bonne personne!» Et c’était approuvé par toutes sortes de personnes, des «indignés», des enfants, des chômeurs et chômeuses, des personnes qui ont un travail. Tous avaient répondu à l’appel du Sommet social. La manifestation, convoquée par 150 syndicats et organisations, parmi elles l’UGT (Union générale des travailleurs) et les CCOO (Commissions ouvrières), se divisa en marées selon la couleur: le blanc du personnel de la santé; l’orange des services sociaux; le vert des enseignants… Des personnes avec des tee-shirts qui ont ajouté et rajouté des couleurs jusqu’à ce que tout le centre de Madrid se soit converti en un kaléidoscope. Un ensemble divers et changeant, mais avec quelque chose en commun: «Nous en avons marre que chaque mois il y ait une mauvaise nouvelle supplémentaire contre les citoyens, contre leurs droits, ils sont en train de nous noyer», résumait Paqui, qui était venue de Caceres en Estrémadure.

Quatre personnes ont été détenues par la police pour «désobéissance et résistance» parce qu’elles avaient déroulé une banderole appelant à une manifestation pour encercler le Congrès des députés le 25 septembre prochain. La nouvelle de ces détentions s’est tout de suite diffusée à travers les réseaux sociaux, où l’«indignation» contre la «dictature policière» s’est rapidement étendue sur Twitter.

Les arrestations ont eu lieu vers 11h du matin. Une demi-heure plus tôt, des centaines de personnes s’étaient concentrées devant les portes du Ministère de la santé, de la politique sociale et de l’égalité. Chaque colonne de manifestants avait choisi un point de départ, selon l’administration qui la concerne. Devant ce ministère se sont rassemblées les chemises blanches motivées par les coupes dans les soins et aussi les chemises orange pour les services sociaux. Lidia Ucher et Yolanda Polo, expertes en Aide au développement, ont voulu souligner que ceux qui vivent en dehors d’Espagne souffrent également des coupes budgétaires. Elles ont rappelé que «la Coopération a été la politique sociale qui a souffert la plus forte amputation (60%)».

«Nous avons besoin d’un secteur, d’une profession qui tire le reste», affirmait Antonio, qui se trouve aujourd’hui au chômage. Ses paroles furent presque une prémonition du tonnerre d’applaudissements qu’on a pu entendre près de la Place de Colón, au moment où est apparu un groupe de pompiers. Entre sirènes, applaudissements et sifflets, un homme leur a crié: «Vous alors, vous en avez des c…!»

Les pompiers, les héros; le méchant, Mariano Rajoy, le premier ministre. Son visage, ses gestes spontanés quand il ne se surveille pas étaient présents sur beaucoup de pancartes. Les protestations se dirigeaient aussi contre la chancelière allemande Angela Merkel. Et les banquiers furent copieusement sifflés. Des slogans déjà classiques – «Nous ne payerons pas, nous ne leur devons rien!» ou «Il n’y a pas de pain pour autant de chorizo» [chorizo veut dire brigand, et pas seulement un saucisson de la péninsule Ibérique] – se mêlaient aux tambours qui parcouraient les marées de manifestants pour animer les gens. Un couple, avec une fille handicapée, se plaignait de ce qu’il leur en coûtait pour réussir à toucher les aides que prévoit la Loi sur la dépendance. «Et pendant ce temps, de l’argent pour sauver les banques, il y en a», dénonçaient-ils.

Aux abords de la Place Colón, la police avait bloqué la rue Genova, au milieu de grandes protestations, afin d’éviter que les manifestants ne s’approchent du siège du PP.

Le Bloc critique dénonce «une attaque idéologique et stratégique»

En même temps que la marche convoquée par les syndicats se déroulait la manifestation alternative. Le 15-M [le Mouvement du 15 mai], Ecologistas en Accion ou Izquierda Anticapitalista ont manifesté de manière alternative dans ce qui s’appelle le Bloc critique.

«La majorité de la population, les 99%, tout particulièrement la classe travailleuse et les couches sociales les plus défavorisés, subissons une attaque brutale et sans pitié à nos droits du travail et à nos droits sociaux du fait d’une crise causée et provoquée par ceux qui veulent nous la faire payer.» Microphone en main, la porte-parole du Bloc critique a ainsi ouvert à 11h du matin la ronde des discours alternatifs à la manifestation des grands syndicats, dans le rond-point de Charles Quint à Atocha, à Madrid.

Les organisations qui avaient convoqué le bloc étaient la CGT [centrale syndicale issue de l’anarcho-syndicalisme], Ecologistas en Accion, Juventud sin Futuro, Cristianos de Base/Redes, Asamblea Feminista et Izquierda Anticapitalista. Ces organisations pouvaient compter sur l’appui du 15-M, qui, sans souscrire le manifeste, avait aussi appelé les citoyennes et citoyens à se réunir à 11h sur ce même rond-point.

Parmi les affiches d’appel à la grève générale [voir sur ce site l’appel de la CGT à la grève générale pour le 31 octobre 2012] et de refus de payer la dette publique «illégitime», environ 5000 personnes ont entrepris la marche jusqu’à la Place de Colón en entonnant les slogans classiques comme «A-anti-anticapitalistas!» ou encore celui tant repris dans les grandes manifestations de mai et juin «Haut les mains, ceci est un sauvetage».

Entre pétards, klaxons et centaines de pancartes, c’est le 15-M qui a mis en mouvement, en chantant le cantique «nous avons la solution, les banquiers en prison», les milliers de personnes qui ont rejoint cette partie de la manifestation. (Traduction A l’Encontre)

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Article publié sur le site MASpublico.

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