Mais que s’est-il donc passé dans la nuit du 2 au 3 octobre à Kunduz en Afghanistan, peut-on lire ce matin 6 novembre sur le site du magazine américain The Atlantic. Un mois après le bombardement par l’armée américaine d’un hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF), l’ONG a publié un rapport de 13 pages (voir ci-dessous le communiqué de presse et le résumé du rapport) qui revient en détail sur ce drame qui a fait 30 morts parmi les patients et les membres de MSF. «Il n’y avait aucune raison d’attaquer l’hôpital: aucun combattant armé ne s’y trouvait, aucun combat ne s’y déroulait. Il n’y avait pas de combats non plus aux alentours. Ce soir-là, la nuit était calme», peut-on lire notamment dans ce document, basé sur les témoignages des membres de l’équipe qui ont échappé aux frappes.
Ce rapport explique, par ailleurs, pourquoi aucun membre du personnel international n’a été tué dans ce bombardement. Quelques heures avant l’attaque, MSF a en effet été contacté par des diplomates français et australiens, les informant que plusieurs membres du personnel international risquaient d’être kidnappés. L’ambassade de France à Kaboul a également demandé à MSF les numéros de téléphone portable de ses ressortissants. Ce qui a poussé l’ONG à faire dormir le personnel international dans un bâtiment séparé. D’où cette question, pour l’instant sans réponse: les services secrets français et australiens avaient-ils été informés par leurs homologues américains de cet éventuel kidnapping? Et si oui, s’agissait-il d’une manœuvre destinée à évacuer les expatriés d’un lieu que les Américains avaient prévu de bombarder?
Après le bombardement par l’armée américaine de l’hôpital de Kunduz en Afghanistan, le 3 octobre dernier, après celui attribué à la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite sur un autre établissement de MSF à Haydan au Yémen le 27 octobre, au total pas moins de 14 hôpitaux ont été bombardés ces dernières semaines en Syrie. Selon un médecin originaire d’Alep, interrogé dans les colonnes du quotidien Le Temps (5 novembre 2015), les attaques contre les hôpitaux ont quadruplé depuis l’intervention russe. Face aux accusations, Moscou a d’ailleurs convoqué mardi dernier les attachés militaires occidentaux, pour leur demander d’apporter des preuves officielles ou de démentir.
Toujours est-il que dans un monde en train de se radicaliser et où les espaces de négociation sont réduits à peau de chagrin, les hôpitaux n’apparaissent plus comme des sanctuaires. «Ces violations sont devenues tellement fréquentes qu’on risque de penser que bombarder délibérément des civils et viser des hôpitaux sont une conséquence inévitable de la guerre», s’est lui-même alarmé le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. En clair, l’action humanitaire risque aujourd’hui d’être sacrifiée, au nom de raisons supérieures toujours plus cyniques. Désormais, la fin justifie les moyens sans principe ni valeur, renchérit le journal, avant de s’interroger: comment dès lors s’étonner du niveau de désespoir, qui pousse des populations entières sur les routes de l’exil? Nous publions ci-dessous le communiqué de presse de MSF ainsi que le résumé du rapport interne en français dans lequel se trouve le lien avec le texte complet en anglais. A cela s’ajoutent deux vidéos fournies par MSF. (Rédaction A l’Encontre)
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Entre 2h08 et 3h15 du matin ce samedi, le 3 octobre 2015, l’hôpital de traumatologie de MSF à Kunduz, Afghanistan, a été bombardé au cours d’une série de raids aériens menés chacun à 15 minutes d’intervalles environ. Le bâtiment principal de l’hôpital, qui abritait le service des soins intensifs, les salles d’urgences et le service de physiothérapie, a été frappé avec précision plusieurs fois, au cours de chaque raid aérien, alors que les bâtiments tout autour ont été presque totalement épargnés.
Quand l’attaque a eu lieu, 105 patients et plus de 80 personnels nationaux et internationaux de MSF étaient à l’hôpital. 30 personnes au total ont été tuées par l’attaque, dont 13 personnels MSF et 10 patients, et sept corps méconnaissables ont été retrouvés dans les ruines et n’ont à l’heure actuelle pas pu être identifiés. Un membre du personnel MSF et deux patients toujours portés disparus – et présumés morts – pourraient faire partie de ces sept corps non-identifiés; des examens médico-légaux sont toujours en cours.
A ce jour, MSF confirme également que 27 travailleurs MSF, ainsi que de nombreux patients et leurs accompagnants, ont été blessés lors de l’attaque. Dans le chaos qui a suivi, il a été a été extrêmement difficile de retrouver la trace des patients et le nombre total de blessés pourrait être impossible à déterminer.
Notre personnel n’a signalé la présence d’aucun combattant armé ou combats dans l’enceinte de l’hôpital avant l’attaque. La structure de MSF à Kunduz était un hôpital pleinement opérationnel, rempli de patients et de personnels MSF.
L’attaque a eu lieu malgré le fait que MSF ait fourni les coordonnées GPS de l’hôpital à la Coalition et aux autorités militaires et civiles afghanes, pas plus tard que le jeudi 29 septembre. L’attaque s’est poursuivie plus de 30 minutes après que nous avons alerté les autorités militaires américaines et afghanes à Kaboul et à Washington que l’hôpital était frappé.
Dès le 28 septembre, quand d’importants combats ont éclaté dans la ville de Kunduz, jusqu’au moment de cette attaque, les équipes MSF de Kunduz ont soigné 394 blessés à l’hôpital. L’hôpital MSF était la seule structure de ce genre dans le nord-est de l’Afghanistan, fournissant gratuitement des soins chirurgicaux spécialisés vitaux. En 2014, plus de 22 000 patients ont été soignés à l’hôpital et plus de 5900 interventions chirurgicales ont été effectuées. L’hôpital a été partiellement détruit et n’est plus en état de fonctionner, laissant des milliers de personnes privées de soins médicaux d’urgence, au moment où ils en ont le plus besoin.
Nous exigeons l’ouverture d’une enquête indépendante par la Commission d’enquête Internationale Humanitaire (IHFCC.org) pour établir les faits de cet événement. La CIHEF n’est pas un organe de l’ONU. Elle a été établie en 1977 en vertu du premier protocole additionnel, article 90 des Conventions de Genève qui encadre les règles de la guerre, puis est devenue effective en 1991. La CIHEF a été mise en place précisément dans ce but: enquêter indépendamment sur les violations du Droit humanitaire, telles que les attaques sur les hôpitaux, qui sont protégés en zones de conflits. (MSF, 5 novembre 2015)
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Revue interne sur l’attaque de l’hôpital de Kunduz
en Afghanistan
Cette revue interne donne la vision de ce qui s’est passé à l’intérieur de l’hôpital avant, pendant et après les frappes aériennes.
Médecins Sans Frontières (MSF) diffuse aujourd’hui un document interne revenant sur les frappes aériennes menées par les forces américaines, le 3 octobre dernier, sur son hôpital situé au nord de l’Afghanistan. L’examen chronologique des événements – avant, pendant et immédiatement après – les attaques aériennes ne révèle aucun élément qui expliquerait pourquoi l’hôpital a été attaqué. Il n’y avait pas de combattants armés ou d’affrontements dans l’enceinte de l’hôpital.
La revue interne de MSF décrit des patients brûlant vifs dans leur lit, du personnel médical décapité ou amputé et d’autres abattus par l’avion alors qu’ils fuyaient le bâtiment en feu. Au moins 30 personnes ont été tuées, dont 13 membres du personnel de MSF et 10 patients; 7 corps méconnaissables doivent encore être identifiés.
«De l’intérieur de l’hôpital, on voit bien que cette attaque a été menée dans le but de tuer et de détruire, affirme Christopher Stokes, directeur général de MSF. Mais nous ne savons pas pourquoi. Nous n’avons pas la vision depuis le cockpit ni sur ce qui s’est passé dans les chaînes de commandement militaires américaine et afghane.»
Les résultats préliminaires de la revue de MSF établissent clairement les faits durant les jours qui ont précédé et pendant l’attaque, et de l’intérieur de l’hôpital. La revue inclut les détails de la transmission des coordonnées GPS et le journal des appels téléphoniques passés par MSF aux autorités militaires afin de tenter d’arrêter les frappes aériennes. Afin que la neutralité de l’hôpital, basée sur le droit international humanitaire, soit respectée, MSF avait conclu un accord avec toutes les parties au conflit.
«Nous avons respecté notre partie de l’accord: le centre de traumatologie de MSF à Kunduz était un hôpital complètement fonctionnel avec des opérations chirurgicales en cours au moment de l’attaque américaine, explique le Dr Joanne Liu, Présidente internationale de MSF. La politique de MSF interdisant l’introduction d’armes dans l’enceinte de l’hôpital était respectée et le personnel de l’hôpital contrôlait complètement les bâtiments avant et pendant les frappes aériennes.»
Des combattants blessés appartenant aux deux parties au conflit sur Kunduz, ainsi que des femmes et des enfants figuraient parmi les 105 patients présents au cours de l’attaque.
«Certains rapports publics affirment que l’attaque sur notre hôpital pourrait être justifiée par le fait que nous y soignions des Talibans, poursuit Christopher Stokes. Selon le droit international humanitaire, les combattants blessés sont des patients, ils ne peuvent pas être attaqués et doivent être traités sans discrimination. Le personnel médical ne devrait jamais être puni ou attaqué pour avoir fourni des soins à des combattants blessés.»
Le document, qui fait partie d’une analyse des événements menée par MSF et toujours en cours, est basé sur 60 débriefings d’employés nationaux et internationaux de MSF qui travaillaient dans le centre de traumatologie de 140 lits; sur des informations internes et publiques; sur des photos de l’hôpital avant et après l’attaque; sur la correspondance par email; et le journal des appels téléphoniques.
«L’attaque a anéanti notre capacité à soigner des patients au moment où notre aide était particulièrement indispensable, souligne le Dr Joanne Liu. Un hôpital en état de marche et qui traite des patients ne peut tout simplement pas perdre son statut de structure protégée et être attaqué.» (MSF, Kaboul/Bruxelles/New York, 5 novembre 2015)
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