Trois enseignements à tirer de l’actuelle crise provoquée par Ebola, depuis l’Etat espagnol

arton43593-6c6aaPar Vicente Pertegaz, Begoña Beviá, Manuel Girón, Carlos Esquembre et Mercedes Martínez

Le taux de mortalité de la souche de virus d’Ebola qui est à l’origine de l’état d’urgence sanitaire actuelle en Afrique peut atteindre 70%. Il n’existe ni traitement ni prévention spécifique. Le diagnostic précoce reste l’élément clé pour faire face à l’infection et pour pouvoir identifier les personnes avec lesquelles les malades ont été en contact. D’après l’équipe d’experts de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) pour l’Ebola et compte tenu du taux de contagion, le nombre de personnes contaminées en Afrique occidentale passera de 4’500 – chiffre atteint en septembre – à 20’000 début novembre 2014. Selon le Centre de Contrôle de maladies états-unien, cette maladie pourrait toucher plus d’un million de personnes en janvier 2015.

L’importance de cette crise humanitaire sans précédent n’est apparue et devenue publique – dans l’Etat espagnol – qu’à partir du moment où une première personne européenne a contracté la maladie à Madrid. En même maintenant, le débat public reste confiné à la question de notre protection «locale», ce qui constitue une attitude politique et sanitaire insensée.

L’Afrique continue (dans les grands médias) de rester dans l’oubli, captive des transnationales de la pharma, des gouvernements inconsistants et liés à d’anciennes puissances coloniales et des besoins en matières premières (commodities) du monde développé. Le Fonds monétaire international (FMI), l’Europe, les Etats-Unis et la Chine (mal)gouvernent, au mieux, les pays concernés en Afrique, pays qui ont été dans l’impossibilité de développer des services publics, alors que leurs faibles ressources ont été privatisées, devenant ainsi inaccessibles à l’ensemble de la population [1].

Comme l’a souligné un éditorial du New England Journal of Medicine, ce n’est pas le virus en tant que tel mais plutôt le contexte qui a permis le développement mortifère de l’épidémie. C’est le premier enseignement que l’on doit tirer de cette crise.

Pour répondre à l’urgence internationale, le gouvernement espagnol s’est borné à rapatrier deux personnes malades (à l’exclusion d’autres personnes, que l’on prive de l’assistance suite à l’adoption du décret 16/2012 sur la réforme de l’assurance maladie) alors qu’il n’existait pas un seul hôpital ayant le niveau de protection adéquat, mettant ainsi en danger la santé de sa population en général et du personnel sanitaire en particulier (y compris le personnel de nettoyage). Le seul hôpital qui aurait pu recevoir ces cas est depuis plus d’une année en cours de démantèlement (fermeture de services et éparpillement du personnel entraîné). Sans compter qu’en pleine crise on a poursuivi le processus de transformation de cet établissement en un centre pour malades chroniques destiné à prendre en charge des tâches qui ne sont pas suffisamment rentables pour les centres privés. C’est le deuxième enseignement que l’on doit tirer de la crise: la privatisation détruit les services et la capacité de répondre à une crise sanitaire, et ce aussi bien dans la Comunidad de Madrid et dans le Pays de Valence qu’en Afrique occidentale. Le «contrôle du déficit budgétaire» (autrement dit les coupes sociales) ainsi que le transfert des dettes générées par les grandes banques et les entités financières au secteur public sont à l’origine des réductions des dépenses sociales et du processus accéléré de privatisation (du secteur de la santé, de l’éducation, etc.).

Le troisième enseignement concerne la réponse donnée pour ce qui a trait aux traitements et aux vaccins. On a connu des épidémies de Ebola depuis 1976. [Voir à ce propos l’article publié sur ce site en date du 26 août 2014, entretien avec Peter Piot.]. Malgré le temps écoulé n’ont pas été développés ni des traitements ni des vaccins pour les prévenir. Adrian Hill, le scientifique qui dirige la réponse du Royaume-Uni à la pandémie d’Ebola, a lancé une accusation très grave contre la grande industrie pharmaceutique. A la question de savoir pourquoi il n’y avait pas de vaccins, le Prof. Hill a répondu: «Mais qui fabrique donc les vaccins? Actuellement la production commerciale de vaccins est monopolisée par 4 ou 5 mégafirmes – GSK, Sanofi, Merck, Pfizer, Roche… – qui figurent parmi les plus grandes compagnies du monde. Le problème est que, même si on découvre un moyen de fabriquer un vaccin, les grandes entreprises considèrent qu’il ne vaut la peine de le produire qu’à condition qu’il existe un marché important.»

Des milliers de morts (4’033 au 10 octobre) auraient pu être évitées depuis le début de cet épisode si ces firmes avaient développé un vaccin, ce qui, d’après le Prof. Hill, était faisable. Cette épidémie aurait pu être évitée. La recherche et la production de vaccin et de médicaments essentiels ne peuvent pas rester entre les mains de l’industrie privée, elles requièrent une industrie publique du médicament.

Il y aura d’autres épidémies et flambées d’Ebola et d’autres infections nouvelles ou re-émergentes. Notre réponse à ces événements est encore lente, mal financée et mal préparée. Les services de santé devraient être bien dotés, publics, sous le contrôle des citoyens et orientés vers la prévention.

La prestigieuse revue scientifique The Lancet alertait il y a quelques mois déjà sur le fait que les coupes budgétaires effectuées par le gouvernement espagnol pouvaient avoir «de graves conséquences pour la santé de la population». Depuis 2010, les budgets de la santé ont perdu un total de 9 milliards d’euros […]. (Article publié le 19 octobre 2014 sur le site Viento Sur, traduction et édition A l’Encontre)

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Vicente Pertegaz, Begoña Beviá, Manuel Girón, Carlos Esquembre y Mercedes Martínez représentent l’Associació Ciutadana en Defensa de la Sanitat (ACDESA-PV).

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[1] Selon la publication Sciences et Avenir Santé, du 24 octobre 2014: «Au Mali, un premier cas d’Ebola, en provenance de la Guinée voisine, a été confirmé. Il s’agit d’une fillette de 2 ans venue de Guinée voisine avec sa grand-mère, qui a été placée en quarantaine à Kayes (ouest), a annoncé jeudi soir le ministère de la Santé. Toutes les personnes ayant été en contact avec l’enfant ont été placées sous surveillance, selon les autorités sanitaires.

La Côte d’Ivoire, pays limitrophe de la Guinée et de la Sierre Leone, était parvenu a échapper à la contamination. Aujourd’hui, un aide-soignant potentiellement contaminé, serait entré dans le pays clandestinement. Il est activement recherché.

Ces alertes interviennent quelques heures après que la présidente du Liberia, le pays le plus touché, Ellen Johnson Sirleaf [une ancienne cadre de la Banque mondiale placée à la présidence par les Etats-Unis], a appelé à un contrôle strict des frontières de la part des trois pays concernés afin d’empêcher une résurgence du virus dans les rares régions où l’épidémie recule.

“Nous avons remarqué que la communauté internationale réagissait avec davantage d’infrastructures mais pas beaucoup de personnels de santé. Et les infrastructures sont vitales pour avoir des centres de traitement et des hôpitaux, mais si ces infrastructures n’ont pas de personnel, c’est du gaspillage”, a expliqué la présidente de la Commission de l’Union africaine (UA), Nkosazana Dlamini-Zuma, tout en reconnaissant la modestie des effectifs déployés par l’UA, d’une trentaine de personnels de santé.

A Bruxelles, la Commission européenne a annoncé le déblocage de 24,4 millions d’euros «pour donner un coup de fouet» à la recherche. Le nouveau commissaire européen aux Affaires humanitaires, le Chypriote Christos Stylianides, va coordonner la riposte européenne à l’épidémie, a annoncé jeudi 23 octobre le président sortant du Conseil européen, Herman Von Rompuy.

Aux Etats-Unis, le cofondateur de Microsoft, milliardaire et philanthrope américain, Paul Allen, a annoncé le même jour qu’il portait ses dons à 100 millions de dollars (environ 79 millions d’euros) [la philanthropie des hyper-riches, ajustements structurels du FMI et privatisation des systèmes sanitaires se complètent mutuellement, avec des effets pervers tels qu’étudiés par des épidémiologistes à partir des actions spécifiques sur le sida de la Fondation Bill Gates, cofondateur de Microsoft – réd. A l’Encontre].

Malgré l’augmentation des moyens dans les trois pays principalement touchés [Liberia, Sierra Leone et Guinée], l’OMS souligne que, dans les centres de traitements, un quart seulement des 4700 lits nécessaires pour parvenir à l’objectif de l’ONU d’isoler 70% des malades au 1er décembre sont actuellement disponibles. La mise en place de ces lits et une meilleure détection des cas suspects pourrait éviter des dizaines de milliers de nouveaux cas d’ici au 15 décembre au Liberia, selon une simulation informatique réalisée sur la province de Monrovia, la plus peuplée du pays.» (Réd. A l’Encontre)

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