Déclarations du Forum Social Mondial Migration
Le Forum Social Mondial Migrations (FSMM) réuni à Mexico du 2 au 4 novembre 2018 s’est saisi dans plusieurs de ses ateliers de l’analyse du «Pacte Mondial pour une Migration dite Sûre, Ordonnée et Régulière» qui sera ratifié par les chefs d’Etats et des gouvernements à Marrakech (Maroc) en décembre prochain [voir ci-dessous]. Beaucoup d’espoirs ont été mis dans les capacités des Nations Unies à mettre en place des outils de protection des droits des migrant·e·s et de renforcement de la liberté de circulation. Quelles que soient nos approches respectives par rapport à ce Pacte, nous sommes conscients de la nécessité qu’il doit exister un cadre qui garantit et protège les droits des migrant.es.
En l’absence d’un droit international spécifique sur les migrations, encore moins un «droit de migrer», le Pacte est censé combler ce vide par la confirmation des principes universels, des Déclarations et autres Pactes en la matière en un moment où se développent les discours et arguments selon lesquels les politiques actuelles, axées sur le contrôle des frontières, ne sont pas seulement dommageables en termes d’atteinte aux droits des personnes, mais qu’elles sont aussi inefficaces au regard même de leurs objectifs.
Or tel qu’il est proposé dans sa version finale le Pacte s’apparente plus à un instrument, au service des pays riches, des multinationales et du capital, de contrôle des entrées en fonction de leurs intérêts.
Certes, il réaffirme quelques principes positifs contenus d’ailleurs dans plusieurs conventions internationales, mais son caractère non contraignant pour les Etats vide ce Pacte de tout son sens.
Au vu des lignes directrices du Pacte, dans sa version actuelle, il ne propose aucune voie permettant de résister aux évolutions inquiétantes des discours et pratiques politiques d’hyperfermeture à la migration. Nous sommes face à un outil qui va, dans de nombreuses régions du monde, faire reculer les droits des migrant·e·s. Ce sera surtout le cas pour les précarisé·e·s tels que les personnes sans titre de séjour, les mineurs ou les femmes migrantes.
De plus, plusieurs points sont particulièrement inquiétants, en particulier :
- La mise à l’écart de la Convention Internationale de Protection des Travailleurs Migrants et de leur Familles;
- La mise en exergue d’une gestion uniformisée et commune des données sur les migrations et les personnes migrantes, ceci comprenant des données biométriques;
- La légitimation de la détention de migrants et des centres de rétention;
- La non remise en cause de politiques ou de lois criminalisant les migrants;
- Le principe de «deux poids deux mesures», un outil non contraignant qui favorise de fait le plus fort et ne donne aucune garantie effective aux plus vulnérables ;
- Un cadre particulièrement adapté pour la mise en place de politiques de migration choisie;
- Le fait que, concernant le développement du Sud, cela se résume à un ensemble de bonnes intentions sans objectifs qualitatifs, concrets et sans évaluation des programmes d’aide au développement.
A l’évidence, tel qu’il est proposé dans sa version finale, le Pacte s’apparente à une recherche de consensus entre des Etats sur la gestion sécuritaire des migrations et une recherche de renforcements des mesures sécuritaires pour mettre fin au principe inaliénable de la liberté de circulation et risque de devenir un outil pour légitimer des reculs au niveau des droits des migrants plutôt qu´un instrument pour une gouvernance respectueuse du droit international et des droits des migrants. Il peut servir, d’une part, pour justifier des politiques d’exclusion et de criminalisation des migrants et, d’autre part, pour concrétiser les rêves des pays du Nord, maintes fois annoncés, à savoir l’immigration choisie (qui vide les pays du Sud de leurs compétences) et l’immigration jetable.
Face aux défis migratoires d’aujourd’hui, face à la montée des discours et actes populistes, discriminatoires et racistes, nous organisations de la société civile réunies au sein du FSMM à Mexico réaffirmons notre attachement aux droits fondamentaux des personnes migrantes et de leurs familles. La seule réponse sensée est celle de la solidarité et de l’égalité des droits pour tous. Une politique juste est celle qui se met au service de la personne, de toutes les personnes indépendamment de leur race, leur religion, leur sexe ou leur nationalité, qui prévoit des solutions adaptées pour garantir la sécurité, le respect des droits, de la justice et de la dignité pour tous, qui sait voir le bien de son propre pays en prenant en compte celui des autres pays, dans un monde toujours plus interconnecté. (Mexico, le 4 novembre 2018)
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Halte à la guerre aux migrations! Oui à un Pacte mondial qui protège la dignité et les droits humains des migrants
Les 10 et 11 décembre 2018, les chefs d’États et de gouvernements, sous l’égide de l’ONU, sont invités à signer à Marrakech le pacte mondial pour des «migrations sûres, ordonnées et régulières». Beaucoup d’espoirs ont été mis dans les capacités des Nations Unies à mettre en place des normes de protection internationales des droits des migrant.es et de renforcement de la liberté de circulation. Ce Pacte inspire des réactions diverses et en sens opposés. De nombreuses ONG y voient un texte protecteur alors que d’autres s’y opposent fermement et articulent une critique du texte soulignant non seulement qu’il manque d’ambition mais qu’il représente un recul aux droits actuels. Les Etats européens dominés par des formations nationalistes, populistes ou xénophobes y voient une atteinte à leur souveraineté. Plusieurs états membres de l’UE (Union européenne), hostiles à l’accueil des réfugiés, comme la Hongrie, la Pologne, l’Autriche ou la Tchéquie, ont déjà dit leur opposition au texte.
Ces gouvernements dirigés par des partis ouvertement en guerre contre les migrations voient dans ce pacte une possible remise en cause des politiques hyper-restrictives qu’ils mènent. Donald Trump, pour les États-Unis, campe dans un refus de toute approche fondée sur le multilatéralisme et a fait savoir depuis longtemps son rejet du Pacte. A l’exception notable des conventions de l’OIT ou de la convention internationale pour la protection des travailleurs migrants et les membres de leur famille, non ratifiée par la plupart des Etats membres de l’UE, il manque à la communauté internationale un cadre juridique spécifique pour prendre en considération la question des migrations. L’adoption du Pacte mondial est censée combler ce vide.
Or le consensus à l’issue des négociations penche en faveur de la mise en place d’un dispositif non contraignant en adéquation avec les intérêts des pays industrialisés à hauts revenus qui fait fi des besoins des migrant·e·s et des pays du Sud moins développés dont ils proviennent. Bien que nous soyons conscients et favorables à la nécessité de créer un cadre international qui garantit et protège les droits des migrant.es, nous ne pensons pas que le texte du Pacte soit une réponse à la hauteur des besoins de protection des migrant.es dans le monde. Le texte proposé est en réalité fortement inspiré par les intérêts et les approches européennes et nord-américaines dans le domaine des migrations.
Le Pacte est-il un texte qui crée un droit international à la liberté de circulation? Permettra-t-il de protéger les migrants aussi efficacement que le permet la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille? Évitera-t-il la multiplication des cimetières de migrants morts à nos frontières? Va-t-il prohiber définitivement la détention de migrants et les centres de rétention? Permettra-t-il une remise en cause de politiques ou de lois criminalisant les migrants? Evitera-t-il le pillage des ressources humaines et matérielles des pays pauvres et le recours à l’immigration choisie? Ira-t-il au-delà des bonnes intentions en matière de développement en dressant des objectifs mesurables et des mécanismes d’évaluation des programmes d’aide? Evitera-t-il la logique de surveillance et de contrôle notamment via la collecte et le stockage des données biométriques des migrants dans des bases de données communes et uniformisées?
A toutes ces questions, nous répondons par la négative! Au final, le Pacte Mondial reste un accord non-contraignant négocié au niveau intergouvernemental dans des conditions de conflits et de manque de solidarité entre Etats mus principalement par des soucis sécuritaires de contrôle. Il ne défie pas la logique des politiques d’immigration répressives qui, loin de réduire le nombre d’entrées de migrants, contribuent à des violations graves des droits humains.
Ces politiques sont coûteuses sur le plan humain et favorisent des stratégies toujours plus complexes et dangereuses de franchissement illégal des frontières. Elles font le lit des réseaux mafieux et sont porteuses de nouvelles insécurités dans des zones déjà fortement fragilisées par des conflits de natures multiples. Le Pacte vise à établir pour la première fois un cadre intégré pour une gouvernance mondiale des migrations internationales. Tel qu’il est formulé dans sa version finale, ce Pacte s’apparente à la recherche d’un consensus minimal entre États riches et pauvres, qui garantit aux premiers la liberté de poursuivre la gestion sécuritaire de leurs frontières. Ce texte ne contribue en rien à inscrire, dans le réel, le droit inaliénable à la liberté de circulation tel que fixé à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Au contraire, il pourrait même légitimer et justifier des reculs au niveau des droits des migrants plutôt que contribuer à une gouvernance respectueuse des droits humains des migrants. Dans la mesure où il ne l‘interdit pas, il pourrait même servir à justifier des politiques d’exclusion et de criminalisation des migrants et donner corps aux souhaits des pays du Nord de renforcer l’immigration choisie, qui vide les pays du Sud de leurs compétences, et institutionnaliser l’immigration jetable. Ensemble, nous appelons à la résistance à la criminalisation des migrants et des réfugiés ! Ensemble, mobilisons-nous et agissons pour défendre les droits humains de tous les migrants et réfugiés et renforcer la solidarité transnationale. (Marrakech, le 8 décembre 2018)
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