L’homosexualité est-elle soluble dans le conformisme ? de Jacques Fortin *

Par André Duret

Le terme homosexuel a été inventé en 1868. Avant, on disait «inverti», aujourd’hui on dit «orientation affective, sensuelle et érotique envers les personnes de son sexe»

Ce ne sont pas seulement des pratiques, nous dit l’auteur, mais la personnalité, l’identité qui s’y engagent. Avant, les pratiques homoérotiques étaient pensées dans un continuum sexuel, ne signalaient pas une pratique exclusive, mais une variation de et dans la sexualité ordinaire.

Selon les sociétés et les régimes politiques, elles étaient plus ou moins réprimées ou tolérées. La peine de mort pour sodomie n’a été abolie en Grande-Bretagne qu’en 1861.

C’est dans la mouvance de mai 1968, dans celle du MLF surtout, que la revendication gay s’est élaborée et mise en mouvement. La création du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) date de 1971. Le slogan «arrêtons de raser les murs» – pour faire court – donne «l’impulsion à ce qui deviendra comme une «insurrection» silencieuse»: pour la dépénalisation, pour une reconnaissance «à égalité». C’est le lancement des gay pride..

Les années 1980 sont une période d’expression individuelle (coming out ou aveu public)) et de résistance contre le sida, puisque sitôt éclose, la mouvance homosexuelle est décimée. Peu politisée, très peu organisée, soucieuse de sortir des ghettos, cette mouvance – via certains intellectuels – milite pour l’abandon des mesures répressives (abrogation des fichages) et l’accès aux traitements et prévention.

Puis vient la revendication pour une reconnaissance «à égalité», le PACS, le mariage, les enfants. Pour Jacques Fortin, ces revendications se sont fondues dans le conformisme le plus ironique: « insérer le possible homosexuel dans le relationnel socialement légitimé de l’institution maritale… pourtant le mariage n’est pas anodin. Il repose sur des présupposés de propriété et de domination. Nous sommes-nous battus pour ça ?» Donc, pour quoi d’autre ?

La «vision» d’une sexualité libérée a fait long feu – peut-on estimer. En effet, elle ne peut pas inventer un rapport au monde révolutionnaire par le seul miracle d’elle-même. Dès lors, la nostalgie des temps où le combat gay côtoyait toutes les autres luttes d’émancipation – entre autres de dites minorités opprimées – est forte. Peut-être montre-t-elle un chemin à retrouver. Mais. alors, quelle perspective ? A partir de quelles alliances de classe, au-delà des impératifs de lutte unie sur des droits démocratiques; cela d’autant plus face à la montée en Europe de la droite dure autoritaire, vecteur du racisme et de la xénophobie, nourris par une législation étatique ?

Dans son chapitre intitulé «crise de l’hétérosexisme», Jacques Fortin dit que «la révolution industrielle du XIXe siècle a disloqué la Famille, la place de la personne, les castes et classes, la culture, le territoire, en même temps que la domination bourgeoise s’acharnait à les recomposer et que dans ces dislocations, un des rapports qui structurait la vie courante s’est enrayé: le patriarcat ! porté par la revendication d’égalité des femmes s’opposant aux dominations masculines (héréditaire, bourgeoise, domestique, patronale).»

L’hétérosexisme est, selon lui, entré en crise comme vision du monde fondée sur l’ «ordre symbolique des genres, sublimant lui-même la dualité biologique en dualité ontologique, avec sa Loi qui préside au refoulement, et à l’interdit qui verrouillent la différence des sexes, et le reste, sa prédestination sexiste».

Si le patriarcat vole en éclats, si le «tout-venant populaire» n’est «qu’individus dispersés dans un univers disloqué», alors il y aurait place pour inventer d’autres conditions de socialités et d’intimités.

C’est donc ici que les homosexualités viendraient en disposition émancipatrice (parmi d’autres) du genre humain. En risquant une référence – qui pourrait nous être reprochée comme relevant d’une analogie anthropocentrique biaisée – y aurait-il un espoir, éventuellement, dans une société démarchandisée de renouer avec l’héritage de nos cousins bonobos ? Ces grands singes cultivant une socialité hypersexualisée, sexualité d’apaisement et de plaisir, et dont nous portons aussi certaines dispositions…

En fait, ce petit livre fait le point avec concision et sans chichis sur l’historique (la littérature académique anglo-saxonne ne l’écrase pas) et les aléas des aspirations et des luttes des gays.

* Jacques Fortin est militant homosexuel sans le Sud de la France depuis 1975. Il a fondé la revue Masques, ainsi que l’ Université d’été des homosexualités de Marseille. Membre du NPA. Editions Textuel. Collection Petite encyclopédie critique. 2010.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*