Par Benjamin Barthe, Laure Stephan et Louis Imbert
La taille de l’enclave rebelle d’Alep diminue inexorablement. Mardi 6 novembre, dix jours après leur percée initiale, les forces loyalistes avaient regagné près des deux tiers des quartiers orientaux de la métropole syrienne, saisis par les insurgés à l’été 2012.
Après s’être emparées, ces derniers jours, des districts de Karm Al-Myassar, Karm Al-Qaterji et Karm Al-Tahhan, les troupes pro-Assad se trouvaient à moins d’un kilomètre de la citadelle qui surplombe la vieille ville d’Alep. La jonction avec cette place forte, conservée durant toute la guerre, devrait faciliter la reconquête du quartier d’Al-Chaar, plus au nord, et permettre aux assaillants d’acculer leurs adversaires dans un ultime carré, au sud-est de la ville.
Le gros de l’offensive, qui a fait des centaines de morts dans la partie insurgée de la ville – et plusieurs dizaines à l’ouest, sous des tirs rebelles – est assuré par les unités d’élite de l’armée syrienne, la garde républicaine et la quatrième division blindée. Le recul des rebelles dans la Ghouta, la banlieue agricole de Damas, où de nombreux accords d’évacuation des insurgés ont été conclus ces derniers mois, a facilité le transfert vers Alep d’une partie de ces unités, traditionnellement affectées à la défense de la capitale.
Leurs hommes ont été déployés sur les axes de pénétration loyaliste, depuis l’est et le nord-est d’Alep. On les voit sur de nombreuses vidéos, progresser dans des quartiers d’habitations, derrière des T-72, de gros tanks de confection russe. Leur mobilisation a une signification politique. Pour la «libération» de la deuxième ville du pays, une offensive susceptible de donner un coup fatal à la rébellion, Damas avait à cœur de mettre en avant ses propres soldats.
Ces unités sont pourtant les dernières forces dotées de réelles capacités d’attaque de l’armée syrienne. On estime qu’en cinq ans et demi de conflit, du fait des désertions et des pertes humaines, celle-ci a perdu plus de la moitié de ses effectifs, qui se situeraient aujourd’hui autour de 150’000 hommes. Les conditions de vie des simples troupiers peuvent être particulièrement difficiles.
Soldats syriens «affamés»
Rencontré à Beyrouth, un jeune milicien du Hezbollah, le mouvement chiite libanais, affirme avoir croisé dans l’ouest d’Alep, où il a servi pendant plusieurs mois, des soldats syriens «affamés», auxquels de maigres portions de nourriture («œufs et pommes de terre») ne parvenaient que tous les deux ou trois jours. Il attribuait cette situation à la «corruption» des officiers.
Les groupes paramilitaires syriens constituent le deuxième composant de l’offensive loyaliste. Il s’agit de formations rompues aux combats, indépendantes de l’armée sur le papier, mais incorporées à celle-ci dans la réalité, constituées d’anciens militaires et de recrues externes, très aguerries, parfois puisées dans les rangs des chabihas, les hommes de main du système Assad.
Le plus connu de ces groupes est la Force du Tigre, commandée par le colonel Souhaïl Al-Hassan, une idole des pro-Assad, qui est issu des renseignements de l’armée de l’air, le service de sécurité le plus redouté du régime syrien. Ses hommes participent à la poussée contre le flanc est d’Alep, aux côtés des unités d’élite.
Un autre groupe paramilitaire, les Faucons du désert, participe à l’offensive. Il est commandé par Mohamed Jaber, un homme d’affaires alaouite (la confession du clan Assad) enrichi dans le trafic pétrolier avec l’Irak, du temps de l’embargo imposé au régime de Saddam Hussein. Chargée à sa création, en 2012-2013, de protéger des convois d’hydrocarbures traversant le désert syrien, contre les attaques de groupes armés rebelles, cette milice privée s’est ensuite mise au service de l’armée.
Les milices chiites étrangères constituent la troisième composante de l’offensive loyaliste, peut-être la plus nombreuse en termes d’hommes. Elles sont principalement déployées dans le sud de l’agglomération alépine. Ces groupes accompagnent et parfois devancent l’armée régulière. Ils opèrent avec une certaine autonomie, mais sous commandement général iranien.
On trouve dans cette catégorie le Hezbollah, dont les premiers martyrs sur le champ de bataille syrien ont été recensés en 2012, mais aussi des groupes irakiens, comme Harakat Al-Nujaba, déployé sur le front de Cheikh Saïd, un quartier sud d’Alep, et puis des formations composées de chiites pakistanais ou afghans, comme la Liwa Fatemiyoun.
Ceux-là sont directement intégrés dans la chaîne de commandement des Gardiens de la révolution, la principale force armée iranienne. Régulièrement placés en première ligne, ils y meurent en masse. Au mois de novembre, au moins 42 de leurs «martyrs» ont été enterrés en Iran, avec les honneurs de l’Etat. Depuis septembre 2013, Ali Alfoneh, chercheur-associé à la Fondation pour la défense des démocraties, à Washington, a recensé plus de 600 morts afghans et pakistanais en Syrie, et près de 2’200 pour l’ensemble des forces dépêchées par Téhéran depuis 2012.
La coordination entre toutes ces composantes, longtemps anarchique, semble s’être améliorée. Les opérations sont «plus efficaces, car il y a enfin une meilleure coordination. Jusqu’ici, il y avait trop de “boss” – les Russes, les Syriens, les Iraniens, le Hezbollah – dans la bataille d’Alep, et cela a créé du chaos», confiait fin novembre le milicien du Hezbollah, rencontré à Beyrouth. Selon le quotidien libanais Al-Akhbar, des commandants de ce mouvement ont récemment rencontré, en vis-à-vis, pour la première fois, des officiers russes présents à Alep.
Mardi ou mercredi [réunion annulée selon l’AFP du 6 décembre à 14h24], des pourparlers devaient s’ouvrir à Genève entre Russes et Américains, pour débattre d’un éventuel mécanisme d’évacuation des rebelles. Un scénario que ceux-ci, bien qu’aux abois, continuent de rejeter. «C’est aux Russes de quitter Alep», a lancé Yasser Al-Youssef, du groupe islamiste Nourredine Al-Zinki. (Article publié dans Le Monde, datée du 7 décembre, p. 3)
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Veto russe, chinois à une trêve. Le Venezuela s’y est rallié
La Russie et la Chine ont opposé leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU, lundi 5 décembre, à une résolution demandant une trêve de sept jours à Alep. Le Venezuela a aussi voté contre ce texte présenté par l’Espagne, l’Egypte et la Nouvelle-Zélande. L’Angola s’est abstenu. Les onze autres pays du Conseil ont voté pour. C’est la sixième fois que la Russie bloque ainsi une résolution sur la Syrie depuis le début du conflit, en mars 2011, et la cinquième fois pour la Chine. Moscou a affirmé donner la priorité à des pourparlers avec les Etats-Unis, qui devaient débuter mardi ou mercredi à Genève. Les deux grandes puissances pourraient s’entretenir d’un mécanisme d’évacuation des rebelles d’Alep. Une perspective que ceux-ci ont jusqu’ici toujours refusée.
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